Le goût des merveilles (Eric Besnard, 2015)
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Le goût des merveilles (Eric Besnard, 2015)
Peu de films de fiction français traitent du syndrome d'Asperger même si cela est en train d'évoluer en lien avec la prise de conscience progressive du retard considérable pris par notre pays dans la connaissance et la prise en charge adéquate des troubles autistiques. Retard encore très loin d'être comblé si l'on en juge par la critique du film de Benoît Sotinel dans le Monde qui qualifie l'Asperger "d'importation américaine" (expression révélatrice d'un chauvinisme bas du front) ou les ravages de la lecture psychologique de l'autisme qui l'attribue à la maltraitance parentale et entraîne des placements forcés en institution traumatisants, excluants et débilitants. Quand les personnes atteintes de ces troubles ne sont pas internées, elles sont néanmoins la plupart du temps exclues de la société (80% des enfants autistes ne sont pas scolarisés, l'accès à l'emploi s'avère également d'autant plus compliqué que les adultes autistes sont sous-diagnostiqués etc.) Enfin le mot autiste est lui-même utilisé de façon stigmatisante en France.
Ce préambule me semble nécessaire pour comprendre le décalage entre la réalité et le film, une comédie romantique dans laquelle (presque) tout le monde est particulièrement bienveillant envers Pierre (Benjamin LAVERNHE), où ses qualités sont exacerbées (d'autant qu'il fait partie des autistes de haut niveau ayant des capacités hors-normes en mathématiques et informatique ce qui facilite son acceptation alors que c'est loin d'être le cas chez tous les autistes*) et où son inclusion dans la société des neurotypiques semble (presque) ne poser aucun problème. Certes il y a en toile de fond la menace de son internement mais jamais celui-ci n'est envisagé de façon sérieuse. Bref si l'on accepte cette dimension de conte de fée un peu à la "Chouchou" (2003) (en moins caricatural tout de même), le film vaut d'être vu car il est bien documenté sur le syndrome d'Asperger** et surtout il nous le fait ressentir en nous faisant entrer dans le monde de Pierre. Un monde où comme dans "Le Fabuleux destin d Amélie Poulain" (2001) l'hypersensorialité du personnage donne une dimension extraordinaire aux petits plaisirs de la vie (comme de caresser des textures ou d'observer la forme des nuages, les variations de la lumière ou les boutons de fleur) mais sans masquer pour autant ce que cette hypersensorialité a de problématique lorsque l'environnement devient agressif (comme dans "Love and Mercy" (2014), des scènes montrent le personnage faisant une crise de panique à la suite d'une exposition à des bruits ou des lumières trop fortes et il n'aime également pas être touché). On s'amuse aussi des stratégies utilisées par Pierre pour entrer en contact en évitant de recourir au téléphone ou se faire ramener chez lui sans avoir à prendre de taxi. Tout ce qui tourne autour de lui a beau être assez convenu (à commencer par le personnage joué par Virginie EFIRA) et son personnage, pas exempt de clichés, la délicatesse du film et sa beauté formelle le font in fine sortir des sentiers battus.
* Le fait de prendre pour sujet les autistes de haut niveau (sans déficience intellectuelle ni retard de langage) s'explique aussi par le fait que ce sont ceux qui peuvent le mieux témoigner de leur condition, ayant les outils pour le faire.
** Benjamin Lavernhe s'est appuyé sur les livres de deux autistes asperger célèbres: Temple Grandin et Joseph Shovanec mais aussi et ce que déplore Hugo Horiot (lui aussi asperger) dans le plus du "Nouvel Observateur" daté du 22 décembre 2015, sur ceux d'une psychanalyse, Chantal Lheureux-Davidse placée sur la liste noire des formations sur l'autisme. Preuve qu'il y a encore du chemin à faire.