JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 13 mai
Su Panodyssey puoi leggere fino a 10 pubblicazioni al mese senza effettuare il login. Divertiti 8 articles da scoprire questo mese.
Per avere accesso illimitato ai contenuti, accedi o crea un account cliccando qui sotto: è gratis!
Accedi
JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 13 mai
13 mai
Assis sur mon banc dans le square, les jambes croisées avec une certaine élégance, j’avais pris l’habitude de tenir mes mains les plus éloignées de moi, si c’était possible, sans jamais toucher rien pour éviter tout risque de contact avec le mal, les bras le plus possible écartés, appuyés au dossier, les mains ballantes, le visage peu à peu agité de tics grotesques, car saisi d’innombrables chatouillements faciaux – sorte de Christ nerveux sur sa croix, car il n’était pas question que je me touche la figure, selon les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé dont les préoccupations aussi pointilleuses qu’affolées m’étonnaient.
Vers 9h du matin, arriva un coureur à pied titubant, le premier d’entre les coureurs à pied titubant. Il faisait tant d’efforts épuisés qu’on l’aurait cru grimper une montagne – son Golgotha personnel, peut-être. Il ne m’entendit pas ricaner, il était bien trop occupé à souffler et grogner comme un cochon en rut, dispersant sa précieuse salive autour de lui. Se doutait-il qu’il ne courait pas : il fuyait. Il fuyait le vide de sa vie. Comme eux tous. La mairie avait eu tort. Puisqu’on les relâchait il n’y avait qu’une chose à faire : se cacher.
C’est ainsi que je vis depuis mes fenêtres closes plus de gens dans la rue, mon cher square envahi d’allées et venues de passants déterminés, et le pire : le boucan des voix au téléphone et des moteurs de voiture passait à nouveau mes vitres – bref, ce qu’on appelait la vie, sans doute par dérision, reprenait. J’avais tant aimé notre cité en sommeil, les immeubles silencieux et rêveurs, les rues allant de rien à nulle part.
Une activité laborieuse et sensée agitait à nouveau les citoyens dans tous les sens. J’eus pour la première fois depuis la venue du mal une petite dépression. Par bonheur, après une brève lutte avec moi-même, je sus retrouver mon indifférence. Après tout, il en mourait encore. Tout n’était peut-être pas fini de ce privilège des jours d’ennui léthargiques et heureux. La vraie vie reviendrait.
à suivre dans :
http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com
[l’image est de Pablo Auladell]