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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 13 mai

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 13 mai

Pubblicato 13 mag 2020 Aggiornato 28 set 2020 Cultura
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 13 mai

13 mai

As­sis sur mon banc dans le square, les jambes croisées avec une certaine élégance, j’avais pris l’habitude de tenir mes mains les plus éloignées de moi, si c’était possible, sans jamais tou­cher rien pour éviter tout risque de contact avec le mal, les bras le plus possible écar­tés, appuyés au dossier, les mains ballantes, le vi­sage peu à peu agité de tics gro­tesques, car saisi d’innombrables chatouillements faciaux – sorte de Christ nerveux sur sa croix, car il n’était pas ques­tion que je me touche la figure, selon les recom­mandations de l’Organisation mondiale de la santé dont les préoccupa­tions aussi pointilleuses qu’affolées m’étonnaient.

Vers 9h du matin, arriva un coureur à pied titubant, le premier d’entre les coureurs à pied titubant. Il faisait tant d’efforts épuisés qu’on l’aurait cru grimper une montagne – son Golgotha personnel, peut-être. Il ne m’entendit pas ricaner, il était bien trop occupé à souffler et grogner comme un cochon en rut, dispersant sa précieuse salive autour de lui. Se dou­tait-il qu’il ne courait pas : il fuyait. Il fuyait le vide de sa vie. Comme eux tous. La mairie avait eu tort. Puisqu’on les relâchait il n’y avait qu’une chose à faire : se cacher.

C’est ainsi que je vis depuis mes fenêtres closes plus de gens dans la rue, mon cher square envahi d’allées et venues de passants déterminés, et le pire : le boucan des voix au télé­phone et des moteurs de voiture passait à nouveau mes vitres – bref, ce qu’on appelait la vie, sans doute par déri­sion, reprenait. J’avais tant aimé notre cité en sommeil, les immeubles silencieux et rêveurs, les rues al­lant de rien à nulle part.

Une activité laborieuse et sensée agitait à nou­veau les citoyens dans tous les sens. J’eus pour la première fois depuis la venue du mal une petite dépression. Par bonheur, après une brève lutte avec moi-même, je sus retrouver mon indifférence. Après tout, il en mourait encore. Tout n’était peut-être pas fini de ce privilège des jours d’ennui léthargiques et heureux. La vraie vie reviendrait.

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est de Pablo Auladell]

 

 

 

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