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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 30 mars

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 30 mars

Pubblicato 30 mar 2020 Aggiornato 28 set 2020 Cultura
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 30 mars

 

Le jour où le monde bascula


 30 mars

On sait comme ce qu’il y a de plus rapide – la lumière – met du temps à nous parvenir. Nous ne sommes pas des lumières. On ne s’étonnera pas outre mesure du temps que nous mettons à prendre toute la conscience nécessaire d’un évènement traumatique avec estimation des causes et conséquences les plus tordues. Ainsi ne me suis-je jamais remis de ma naissance.

J’étais donc allé rendre visite au grand Creux – comme certains l’appelaient désormais. Du moins, il me semblait : dans les rues personne ne se parlait à moins de dix mètres de distance et la distance faisait que, les propos étant ra­rement bien compris, on se répondait au jugé, et forcément mal, mais cela ne changeait pas beau­coup de ce qu’avaient été les conversations ordi­naires, front contre front. Le sur­nom respectueux de grand Creux donné à la fosse, je le vé­rifiai auprès de mes correspondants Internet et dans quelques articles sur le site du jour­nal local. Je reviendrai à ces procédés peu sérieux, si mon des­tin s’y prête.

Je me tenais sur le bord de la fosse. J’avais l’impression d’être un modeste sujet se présentant, tête découverte, de­vant une vaste et royale présence. Il en faut beaucoup pour m’impressionner mais là j’étais cloué par la terreur. Je n’arriverai jamais à monter les marches de l’auguste silence des lieux.

Je n’eus pas à le faire. Qu’on se souvienne que les convois arrivaient avec le crépuscule. Il n’était jamais per­sonne pour assister aux vastes déversements, les familles n’en ayant plus l’autorisation. Chacun était ici un petit Mozart dans son corbillard soli­taire mené hors des murs de Vienne. Si, après Mozart, le si­lence est encore du Mozart, le silence du grand Creux était en­core l’humanité.

J’ai omis de dire – l’autre fois je ne le pouvais encore, émotionnellement parlant – qu’il se passa à l’arrivée du convoi qui menaçait mes pieds bien autre chose qu’une indignation, car...

Prenons le temps de la réflexion, il me faut mettre en ordre mes idées. Qu’on se souvienne de l’obscurité, qu’on se souvienne de ma consternation quand la benne se leva, qu’on se sou­vienne que j’étais proche du bord de l’abîme et que l’émotion trouble les réflexes ordinaires.

Ai-je besoin d’en dire plus pour l’instant ? Qui ne me devine ne mérite pas de me lire. Je m’y reprendrai une autre fois, j’aurai ce courage…

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est de Marc Potts]


 

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