Chapitre 13
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Chapitre 13
Mercredi 10 avril 2022
Il est dix heures et je suis encore allongée avec mes pieds qui dépassent des draps. A plat ventre, le menton posé sur mes bras croisés, je remue mes jambes comme si j’étais stressée. En vrai, je suis juste impatiente et en même temps j’appréhende cette journée. Un étrange paradoxe qui me provoque beaucoup d’émotion. Trop d’émotion. Je me tourne sur le dos et reprends l’oreiller pour le plaquer contre mon visage et crier dedans. La seconde d’après je le lance presque à côté de moi et ronchonne toute seule en m’asseyant. Il est temps que je me lève, que je quitte ce lit que j’aime tant.
— Bien dormi mon p’tit chat ? j’interroge Surimi en ouvrant le couvercle de l’aquarium pour lui donner quelques granulés à la spiruline. Maman a eu une nuit agitée, encore. Et je n’arrivais pas à m’endormir. Un peu plus et je serais redescendue te faire la conversation. Mais j’avais tellement la flemme de sortir du lit, aller jusqu’à l’escalier, descendre les marches… Surtout que j’aurais dû les remonter ensuite. Le tout, a fait que je suis restée dans le lit, sous la couette, à réfléchir en regardant le plafond. Mais attends une seconde…
Je me penche un peu plus pour mieux voir la plante.
— Tu as mangé un bout de ta fleur ! Surimi, c’est pas parce que je ne te donne pas beaucoup de granulés que tu dois manger le décor. C’est tonton Rick qui m’a dit de ne pas te goinfrer, que c’est mauvais pour toi. Et Rick a toujours raison, je précise en tendant mon index. Je ne vais pas t’acheter une fleur toutes les semaines, alors fait attention ou tu n’en auras plus.
Une fois mon avertissement lancé, je refais bouger mon doigt quelques secondes sur la vitre et il le suit. C’est devenu notre petit rituel matinal.
— Bon mon p’tit chou, Maman a rendez-vous. Donc je ne peux pas trainer. Même si je pars dans…
Un coup à l’horloge et je calcule le nombre d’heures.
— Presque sept heures. J’ai le temps. Mais tata Lili doit passer. Et je dois aussi faire des courses.
Après avoir listé mes objectifs du jour je me mets sur le canapé et m’y étale dans toute ma longueur.
— Je suis pleine de courage… Une vague de motivation et d’énergie me submerge.
Mon portable sonne. Par chance il est sur la table basse et je n’ai qu’à tendre le bras pour le saisir et décrocher.
— Bichette, c’est Maman !
Comme souvent, elle a dû mettre le haut-parleur et crie pour être sûre que je l’entende bien.
— Ca va ? Tu as vu comme il fait beau aujourd’hui ? Tu vas en profiter pour mettre le nez dehors ? J’ai pensé que je pouvais passer te voir. Nous pourrions aller marcher toute les deux.
— Maman, je l’interromps. Ma vitalité du jour à atteint les zéros.
— Raison de plus pour que je vienne et que je te secoue les puces.
— Lili passe déjeuner. Et je sors ce soir. Enfin, dans l’après-midi. Puis ce soir.
— Oh ? s’étonne ma mère. Où vas-tu aller ? Une soirée avec Aurélie ?
— Pas vraiment, je dis en entortillant une mèche entre mes doigts.
— Aurélie et quelqu’un d’autre ?
Ah, Maman et sa curiosité.
— J’ai rendez-vous avec quelqu’un pour visiter l’aquarium de la porte Dorée. Ensuite nous devons aller au restaurant.
— Non. J’ai dû mal comprendre. Tu vas sortir ce soir ?
— Oui, je fais en roulant des yeux. Et non, je ne suis pas malade.
— Tu es certaine de ne pas avoir de fièvre ? Tu tousses ?
— Je suis juste fatiguée. Mais tu sais le docteur m’a arrêté quelques cachets et je dors moins bien depuis quelques jours.
— Et ton poisson va bien ?
— Ca va, je réponds en me rasseyant. Il est tout content dans son océan. Je lui ai acheté une fleur lundi et il en a mangé la moitié. Elle doit être à son goût.
— Une fleur ?
— Oui enfin une fleur qui ne fait pas de fleur. Un truc vert que j’ai planté dans le sable et qui a des feuilles.
— Ce petit poisson a l’air de te remonter le moral. C’est bien que tu te sentes responsable de lui. Ca te motive à faire des efforts.
— C’est vrai. Mais il se peut que tout ne soit pas dû à Surimi, je commence en me pinçant les lèvres.
— Ah bon ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu te souviens que je me suis inscrite sur un forum d’aquariophile ? J’échange beaucoup avec quelqu’un, au sujet des poissons. Et puis à force de discuter, nous avons découvert que nous n’habitions pas très loin. Et il m’a conseillé une boutique spécialisée en aquariophilie. Nous y sommes allés ensemble.
— Tu as rencontré quelqu’un ?
— Il s’appelle Rick. Enfin son prénom c’est Alderick-Vince, mais il se fait appeler Rick.
— Alde quoi ? D’où ça sort ?
— De ses parents qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord, d’après ce que j’ai compris.
— Hmm. Et ce Rick est gentil ?
— Très gentil, je dis en me laissant retomber pour me rallonger. Nous nous sommes découverts des points communs. Il adore lire lui aussi, il est même éditeur. Incroyable, tu ne trouves pas ? Je lui ai prêté quelques livres.
— Hmm. Et il a l’air correct ? Tu penses que c’est un homme digne de confiance ?
— Maman. Pose-moi directement la question…
— Quelle question ? Je ne vois pas de quoi tu parles.
— « Est-ce que c’est un Mickaël numéro deux ? »
— Ah ! Maintenant que tu le dis, oui c’est une très bonne question.
— Mouais… Non, il n’a pas du tout la même mentalité. Du moins, je ne crois pas. Mais je ne l’ai pas vu longtemps.
— Et vous avez prévu de vous revoir ?
— Ce soir. Je le rejoins à dix-sept heures à l’aquarium, puis nous allons au restaurant.
— Rooooh, fait ma mère qui n’arrive pas à cacher sa joie. Alors tu vas bientôt me présenter mon nouveau gendre ? C’est fantastique. Chéri, Liloo a un nouvel amoureux, annonce ma mère à mon père qui doit être à côté.
— Attends, on en n’est pas là ! Déjà que Lili veut nous marier depuis la semaine dernière… Mais vous allez me porter la poisse à me mettre autant de pression. Nous devons encore faire connaissance et apprendre à nous connaître.
— Bien-sûr. Prenez votre temps. Nous ne sommes pas pressés. Pas du tout. Juste un peu, s’égaye ma mère.
Midi et quart ça sonne à l’interphone. J’appuie sur le bouton et entrouvre la porte pour qu’Aurélie puisse rentrer.
Je reviens dans le salon quand elle retire ses chaussures dans l’entrée.
— Coucouuu, me dit-elle en bougeant doucement le sac qu’elle a gardé dans une main.
— Trop bien, des hamburgers !
Je récupère le sac en papier et sors les frites, puis les papiers avec les burgers, les sachets de sauce…
— Bonjour l’arête, toc toc, c’est tata Lili, fait ma meilleure amie en tapotant légèrement avec son doigt sur la vitre. Il est bien là-dedans.
— Je trouve aussi. Et tu vas voir comme il nage. Il ne s’arrête plus du tout. Toujours à remuer ses nageoires.
— C’est bon signe. Et tu lui as raconté que tu avais rencontré l’homme de ta vie grâce à lui ?
Je lui tape sur la cuisse quand elle s’assoit à côté de moi sur le canapé.
— Surimi doit croire qu’il est le seul homme de ma vie. Il sort tout juste de sa dépression je te signale. Un rien pourrait le faire replonger, je chuchote.
— Replonger. Et tu as peur qu’il se noie ?
— Ne te moque pas de mon poisson, je lui ordonne en la pointant du doigt.
— Et ce p’tit truc va grandir ? Il mesure combien ? Trois ? Quatre centimètres ?
— Il peut faire jusqu’à trente centimètres.
— C’est énorme ! Ton arête va devenir un vrai requin.
— Pourquoi crois-tu que je lui ai acheté un océan ? Normalement il devrait faire dans les dix-sept centimètres. Je crois. J’espère qu’il ne grandira pas trop… Mais au moins il est dans un aquarium adapté et à la bonne taille. Maintenant libre à lui d’arrêter sa croissance quand il veut.
Aurélie croque dans son burger et je lui fais des gros yeux en ouvrant le papier qui recouvre le mien.
— Lili. Te rends-tu comptes de ce que nous sommes en train de faire ?
— On… man-ge, dit-elle la bouche pleine.
— Nous mangeons un hamburger au poisson. Oh bon sang…
Mes yeux regardent Surimi nager et je déglutis en ramenant mes yeux vers mes mains.
— En même temps, tu ne vas pas arrêter de manger de poisson.
Tandis que je garde le silence, nos yeux se croisent.
— Heu… Loulou, tu ne vas plus manger de poisson ?
— C’est comme si mon Surimi était entre les tranches de pain, je balbutie.
— Tu ne manges déjà plus beaucoup de viande. Tu vas finir végan.
— Oh… Tu as raison, je peux manger du poisson. Ce ne sont même pas des poissons rouges. Juste des poissons panés.
— Ex..a…cte…ment, continue Aurélie en mâchant sa bouchée. Alors tu as choisi comment t’habiller ?
— Nan, je dis avant de croquer dans mon burger. J’ai pen…sé à…une….ro…be, je continue en pensant que j’ai un congénaire de Surimi sous mes dents.
— Une robe. Très bon point. J’approuve. Laquelle ?
Aurélie est en train de piocher des frites quand je me lève d’un coup sec pour courir dans le couloir.
— Loulou ?
Elle doit entendre les bruits suspects qui émanent de la pièce d’à côté et continue de m’appeler.
— Ca va, je bafouille en ouvrant le robinet pour me rincer la bouche.
Lorsque je reviens dans le salon, elle m’apprend que mon teint à un peu viré.
— Tu es passée de blanc vampire à… vert.
— Je crois que je ne vais plus pouvoir manger de poisson, je lui dit en posant une main sur mon estomac.
Je termine mes frites et profite de la sauce ketchup qu’Aurélie m’a laissée.
— J’aimerais aller chez le coiffeur, je lui apprends en me léchant le bout de l’index.
— Oh. Tu vas refaire tes racines. Il était temps.
— Non. Je vais couper.
— Couper. Comme couper ? Avec les ciseaux ?
— Ouais, avec les ciseaux. Mais je laisserais la coiffeuse s’en servir.
— Mais tu adores tes cheveux longs.
— Négatif mon commandant. Mickaël adorait mes cheveux longs. Mais je trouve la longueur plus encombrante qu’autre chose. C’est lourd à porter. Surtout avec du roux. C’est énormément d’entretien.
— Oh. Alors tu vas te couper les cheveux. D’accord. Mais tu vas quand même refaire tes racines ? s’inquiète Lili.
— Négatif mon commandant. Je vais recolorer tous mes cheveux.
— C’est vrai qu’un petit coup de neuf ne fera pas de mal à ton roux.
— Vous êtes encore dans le négatif mon commandant. Je vais redevenir blonde.
— Blonde ? répète encore Aurélie. Mais tu adores le roux.
— Au risque d’encore me répéter… négatif mon commandant. Mickaël adorait le roux. Les cheveux longs et roux. Je m’enquiquine depuis des années avec mes cheveux pour lui plaire. Mais puisqu’il m’a larguée comme une vieille chaussette usée, j’estime pouvoir retrouver une tête qui me plait.
— Tu vas retrouver tes cheveux blonds et courts ? Comme quand tu étais au lycée ?
— Exactement mon commandant. Je dois juste décider de la coupe. Je pensais à un carré plongeant assez court. Histoire de redonner vie à ma coiffure et de vraiment changer de tête.
— J’approuve et adore ton idée. Je la valide à deux cents pour cent. Tu iras quand ?
— Au début je voulais y aller hier. Mais je n’ai pas complètement guéri de ma flemmingite suraigu. Je suis toujours en dépression à mener la même vie qu’un concombre.
Aurélie m’étudie en plissant les yeux.
— Qu’est-ce que le concombre fait dans l’histoire ?
— Concombre, courgette, poireau, navet, ce que tu veux. Je veux dire que j’ai encore l’énergie d’un légume. Même si je fais beaucoup d’efforts ces temps-ci.
— Merci Rick, ajoute Aurélie en haussant les sourcils.
— Et surtout merci Surimi. Vive mon p’tit chat, je dis en tournant la tête vers l’aquarium.
Aurélie reste un moment pour me conseiller sur ma tenue. Dans la chambre, le dressing est grand ouvert et différents vêtements sont étendus sur mon lit.
— La robe à fleurs est très jolie. Vraiment.
— Il ne fait pas si chaud, j’ai l’impression que la porter aujourd’hui serait prématuré.
— Ajoute un gilet, ou même une veste. Ou mieux, un gilet et au-dessus une veste.
— Mouais… Et celle-ci, elle n’irait pas ?
Je tiens une robe longue rouge évasée à bout de bras et attrape une ceinture dans un tiroir pour l’habiller un peu plus.
— Pas mal. Avec quelles chaussures ? questionne Aurélie.
— Je peux remettre mes bottines.
— Ok. Je valide. Mais ajoute une veste. Frileuse comme tu es, tu vas avoir froid ce soir. Et s’il te voit grelotter il peut prendre ça comme une excuse pour te serrer dans ses bras.
Je tire la langue à ma meilleure amie, preuve de ma grande maturité.
— Et pour les cheveux, je fais comme lundi. Un bandeau pour cacher la misère.
— Un petit peu de maquillage par-ci par-là. Ton beau sac à main. Et tu seras prête pour ton opération séduction.
— Je ne pars pas du tout dans l’idée de le séduire, je la contredis. Nous allons avant tout, visiter un aquarium.
— Ah oui, j’avais encore oublié. Les poissons… N’en prends pas au restaurant. S’il fait l’aller-retour dans ton estomac devant Rick ça pourrait faire désordre.
— Je vais devenir végan, je lui assure. Depuis le temps que je le dis.
Avec Aurélie nous repartons ensemble. En voiture, je la dépose près de son travail puis conduis jusqu’au SuperU. Je lui ai fait la promesse de l’appeler dès que je rentrais, même si je devais arriver chez moi en plein milieu de la nuit. Elle m’a affirmé que la seule excuse valable serait que je ne rentre pas. Mais je suis très loin de l’idée de finir la soirée chez Rick. Je me suis donc engagée à lui téléphoner.
— Juste pour être sûre qu’il ne t’a pas kidnappée, prétend-t-elle.
— Mais bien sûr.
— Et en même temps tu pourras me raconter la soirée. Tant qu’à faire, il faut rentabiliser l’appel. Surtout que me connaissant, je n’arriverais pas à fermer l’œil avant d’avoir tous les détails de votre visite à l’aquarium. C’est que je deviens une passionnée d’arêtes et de nageoires moi aussi.
Ah cette Lili… La reine des bonnes excuses.
Au supermarché, j’achète quelques babioles. Des pâtes, du riz, des œufs, de la crème fraîche, quelques pommes et des bananes. Bien-sûr, je n’oublie pas de refaire mon stock de kiris et pour innover je prends aussi du boursin avec du pain complet en tranches. Une boîte de céréales et deux litres de lait et je vais à la caisse.
A quinze heures j’arrive chez moi et range mes courses sans cesser de parler à Surimi.
— Je suis curieuse de savoir tous les poissons que je vais voir. J’espère que les photos sont autorisées. Il connait sûrement des restaurants pas loin. Ce serait mieux, parce que je ne connais pas plus que ça le quartier. Je n’y passe pas souvent à vrai dire. Juste en coup de vent lorsque je suis dans le tram, des fois. Il y a le zoo pas loin. Peut-être qu’il aimerait y aller ? Il n’y a pas de poissons, mais à un endroit on peut voir des lamantins. Une espèce de très très gros poisson, mais qui n’est pas un poisson. C’est un mammifère. Tu sais ce que c’est un mammifère mon p’tit chat ?
Comme il ne me répond pas, je lui explique la différence entre poisson et mammifère marin. Même s’il nage sans vraiment m’accorder son attention, je suis convaincue qu’il s’intéresse à tout ce que je dis et m’écoute. Pour qu’il ne se sente pas seul dans la soirée, je branche mon enceinte connectée pour la recharger.
— Maman te mettra de la musique en partant. Comme ça tu écouteras tes copines les baleines. Mais là, je vais devoir me préparer pour être toute jolie. C’est que je vais aller voir des poissons.
Est-ce que je me répète ? C’est fort possible. Je monte les marches pour aller dans la chambre où le cintre avec ma robe rouge est accroché en haut de la porte. Il me reste moins de deux heures avant de retrouver Rick. Je suis impatiente.