Chapitre 25 - Un puissant allié
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Chapitre 25 - Un puissant allié
Hildegarde de Bingen, désormais âgée de 60 ans, continue son œuvre avec une vigueur qui défie son âge. Elle achève la rédaction de son nouvel ouvrage, “Liber Vitae Meritorum” (Livre des Mérites de la Vie), une exploration profonde de la lutte éternelle entre les vertus et les vices. Cet ouvrage, riche en symbolisme et en enseignements, est destiné à devenir un pilier de la pensée chrétienne. Tandis qu’elle travaille, une de ses fidèles sœurs l’approche, la curiosité peinte sur son visage.
— Mère Hildegarde, comment pouvez-vous si clairement discerner la bataille entre le bien et le mal ? demande-t-elle.
Hildegarde lève les yeux de son manuscrit et répond avec cette sagesse qui lui est coutumière :
— Ma chère enfant, ce que je dévoile n’est qu’une toute partie de ce que Dieu m’a révélé. Je vais te faire un aveu : parfois, il me faut des jours, voire des semaines pour comprendre ce qu’il me dit. Alors, je m’appuie sur l’âme des hommes, leur vaillance et leur cruauté. Une peinture se forme ensuite dans mon esprit, dévoilant ses plus belles couleurs comme les plus sombres…
Les écrits de Hildegarde suscitent de nombreux débats au sein du clergé ainsi que parmi les nobles, ce qui attire naturellement l’attention de l’Empereur du Royaume Germanique, Frédéric 1ᵉʳ. Couronné depuis trois ans, il cherche à établir son autorité sur l’Italie du Nord et se heurte aux Lombards, aussi riches que rebelles. Ses actes expansionnistes hérissent également le Saint-Siège qui craint pour ses propres terres. Barberousse, comme on le surnomme, essaie de ménager la Papauté tout en recherchant une faille dans sa cuirasse. Et voilà qu’une Sœur ose défier ses pairs avec ses visions et ses idées proches de l’hérésie ! Quelle aubaine…
Intrigué, il convie l’Abbesse au cœur de son Empire, là où sont conservées les reliques de Charlemagne, dans la ville d’Aix-La-Chapelle.
— Mère Supérieure, je vous accueille en ce lieu saint afin d’entendre vos paroles qui pourraient éclairer ma destinée. Mes conseillers m’ont informé que votre discours est empreint de vérité et que Dieu vous prête une oreille attentive.
— Que le Seigneur vous entende, Votre Majesté Impériale. La vérité et la connaissance du monde sont effectivement les deux cadeaux que j’offre à tous, paysans, seigneurs, ecclésiastiques ou même empereurs.
— Mère Hildegarde, j’ai besoin plus précisément de lumières pour m’affranchir des règles autoritaires que m’impose le Saint-Siège. Comment puis-je maintenir l’autonomie de mon règne face aux exigences du Pape ?
— Votre Majesté Impériale, je suis honorée de votre confiance. Toutefois, il s’agit là de vous éclairer sur des sujets politiques et non théologiques. Cela n’est pas sans conséquence.
Hildegarde marque une pause puis prend un ton plus confident :
— Je suis moi-même dans une situation délicate avec l’évêque de Metz, qui menace mon indépendance et celle de mon monastère.
L’empereur, légèrement surpris par sa franchise, incline la tête en signe d’écoute.
— Si vous pouviez intervenir en ma faveur et garantir l’autonomie de mon monastère, je serais en mesure de vous offrir l’aide que vous recherchez.
L’Empereur réfléchit longuement puis acquiesce :
— Votre proposition me sied. Votre indépendance sera préservée. Je vais écrire une lettre officielle où j’exprimerai officiellement mon soutien à votre monastère. Par conséquence, toute ingérence dans vos affaires sera considéré comme une intrusion dans les miennes. Maintenant, je vous écoute.
Hildegarde, maintenant rassurée sur l’avenir de son monastère, se lance :
— Votre Majesté, la force de votre règne repose sur un équilibre entre la foi et la politique. Tout en affirmant votre autorité impériale, il est essentiel de démontrer un respect profond pour les enseignements de l’Église. Montrez au Pape que votre gouvernance est non seulement puissante, mais aussi pieuse et juste. Entourez-vous de conseillers qui comprennent non seulement les affaires de l’État, mais aussi les subtilités de la théologie et du droit canonique. Ils seront précieux pour interpréter et naviguer dans les complexités des relations entre votre empire et le Vatican. Montrez par des actes concrets votre engagement envers la paix et la justice dans le royaume. Les actions justes et équitables renforceront votre position morale et politique, tant aux yeux de vos sujets que de l’Église. Enfin, soutenez les arts, la culture et les lettres dans votre empire. Un souverain qui est perçu comme un homme éclairé est baigné d’une aura qui dépasse la simple quête de pouvoir.
Les rumeurs sont donc fondées. Hildegarde de Bingen est bien plus qu’une étrange religieuse qui entend des voix. Ses conseils montrent un sens de la stratégie politique d’un haut niveau. Comment une femme vivant dans un monastère reculé a-t-elle pu développer un tel talent ?
— Je m’incline devant la sagesse de vos paroles, Mère Supérieure. Vous êtes un joyau dans mon royaume. Quittez cet endroit avec l’assurance que nul homme sur cette Terre ne pourra jamais plus vous causer le moindre ennui.
Hildegarde de Bingen est consciente qu’elle vient de gagner là un allié important, mais elle n’est guère surprise. Nunael lui a répété maintes fois qu’elle entrerait dans la postérité.