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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 9 avril

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 9 avril

Pubblicato 9 apr 2020 Aggiornato 28 set 2020 Cultura
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 9 avril

9 avril

Une nature assassine, rien ne l’enseigne.

Pichon ne croyait pas au mal. Il ne croyait qu’à ce qu’il pouvait voir ou toucher (la télévision et son épouse).

Or c’était en Pichon qu’était le mal. Il était un individu index, comme je l’appris, intrigué par ses certitudes, en li­sant avec beaucoup de pa­tience des articles scientifiques, et ce porteur asymptomatique – ce patient zéro – se trou­vait ainsi à l’origine d’énormes foyers d’infection nommés clusters (pourquoi pas ?).

J’ai horreur des gens qui ont des certitudes. Ils se contentent de peu et font beaucoup de mal, surtout en poli­tique, mais n’allons pas fâcher des per­sonnes aussi suscep­tibles si on émet un petit point de désac­cord. Pichon, qui ne croyait pas du tout au mal, on n’allait pas la lui faire, n’avait pas tout à fait tort. Il ne risquait pas grand-chose, c’était nous qui avions à le craindre.

Mes études savantes me l’affirmaient, Pichon était Supervirus, un héros nouveau de l’univers Marvel, une créature d’exception, bien au-dessus de l’humain et dotée de superpouvoirs dont elle ne savait absolument rien. Ain­si va la vie. Elle n’est pas juste.

Ainsi que vous postillonneriez avec un grand naturel en me parlant, ce qui vous vaudrait de l’exaspération et une baffe, Supervirus, grand bavard, propageait autour de lui dans la bonhommie un nombre incalculable de cas contact, ce qui n’est pas bien. Pichon, plutôt sympathique, très boute-en-train, friand de bonnes blagues chaleureuses à l’association des parents d’élèves, Pichon était une bombe de dizaine de milliards de particules infectieuses par milli­litres de connerie.

Supervirus, dans sa grande innocence, était capable d’exterminer, l’air de rien, son porte-voix à la bouche ou les mains dans les poches, toute une manifestation de la CGT, ce qui est déplorable, en string et les cheveux aplatis par l’eau salée toute une station balnéaire échauffée au mois d’août, ou bien pe­tit blanc timide au fond de la salle tout un amphi­théâtre d’indigénistes à la Faculté de la ville, ce qui ne serait pas un drame s’il ne confirmait que l’homme blanc âgé hé­térosexuel est un prédateur à abattre.

Il fut abattu. Par des gens à peu près normaux qui avaient été réquisitionnés dans un club de chasse, sur ordre de la mairie aux abois.

Supervirus a été fusillé hier, dans le parc de notre vieille cité, à l’aube, par vent de force 4. Le soleil n’était encore pas trop chaud, un canard cancanait dans le canal. 3 hommes dans le peloton d’exécution tirèrent en l’air, 2 le ratèrent, 1 tua un lapin (la force de l’habitude), le dernier visa le cœur, persuadé que sa balle était à blanc comme le veut la tradition, ce qui n’était pas le cas.

Une nature assassine, rien ne l’enseigne.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est de Jacob Cornelisz van Oostsanen]

 

 

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Bernard Ducosson
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