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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 18 mai

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 18 mai

Pubblicato 18 mag 2020 Aggiornato 28 set 2020 Cultura
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 18 mai

18 mai

La ville était partagée entre ceux qui en avaient et ceux qui n’en avaient pas. Il s’agissait des masques, bien entendu. Une sorte de lierre étouffait les premiers, un indéfinissable mépris souriait chez les seconds. D’abord, ceux-ci s’étonnaient, Qu’ont-ils ? Pourquoi cet air si furieux ? Enfin, le ravissement secret, Je leur fais peur ! C’est la première fois de ma vie que je fais peur ! Quelle satisfaction ! Chez les possesseurs de masques, souvent plus âgés, le lierre grouillait toujours plus.

On peut s’interroger longuement sur le visage d’une ville. Il n’est pas souvent donné d’en voir le réseau nerveux aux terrasses des cafés et sous les façades indifférentes des maisons. Un évènement, et se dessine enfin l’envers de la cité et le corps inconnu et, à peine perceptibles, les traces des rongeurs.

Avec les exigences sanitaires du confinement, les disputes avaient été rares dans le silence de la ville, l’obligation de garder ses distances étant encore respectée, l’affrontement poitrine contre poitrine autour des deux voitures accidentées impossible, il devenait dérisoire de hausser la voix au coin de la rue et de faire de grands gestes de menace avec l’activité d’une éolienne, la scène était surjouée et par trop mélodramatique, la colère apparaissait en général pour ce qu’elle avait toujours été sans qu’on s’en aperçoive : du mauvais théâtre de boulevard mené devant une salle vide par des mauvais acteurs. Autant en rire, l’aigreur renonçait.

Et pourtant le poison qui circulait dans les veines de la ville était sensible comme jamais aux esprits bien nés. Il se répandait avec tant de douceur qu’on mit du temps à en percevoir toute l’ampleur. Il n’était plus seulement question de l’ordinaire cause des méfiances et des violences – qui était quoi, exactement ? – sous sa forme moderne : que certains ignorent être infectés ou s’en moquent et propagent le mal sans souci de ceux qu’ils tuaient. À ce sujet, dans une société où le consumérisme infantilisait, il ne nous étonnera pas que le chemin d’hommes de quarante ans, croyant vivre à Disneyland, en trottinette pour l’éternité, ait croisé celui de ces autres grands malades, les terroristes islamistes – sinistre forme d’infection avant l’infection.

L’irresponsabilité des vieux jeunes hommes n’allait être que le prétexte d’une rage aussi ancienne que le monde : une forme virulente du conflit des générations. Cette émulation, auparavant saine et de peu de conséquences dramatiques, dans ces circonstances montrait à nu ses muscles et sa vérité, l’absolu de haine entre ceux qui en sont et ceux qui n’en sont déjà plus.

Rien ne l’arrêterait.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

 

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