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Les  démons (2020) Simon Liberati

Les  démons (2020) Simon Liberati

Pubblicato 26 set 2020 Aggiornato 26 set 2020 Cultura
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Les  démons (2020) Simon Liberati

Splendeurs et misères des courtisans

Avec Les démons, le romancier Simon Liberati, découvert au début des années 2000 par Frédéric Beigbeder, explore de nouveau la décennie des années 1960, qui lui a inspiré plusieurs livres. L’actrice Jayne Mansfield était le thème principal de son quatrième roman, qui lui valu le Prix Femina mais qui ne fut pas un succès de librairies pour autant. Quelques années plus tard, le massacre perpétré par la secte de Charles Manson est au cœur de California girls, tout comme il servira d’intrigue de fond à Quentin Tarantino pour son Once upon a time in Hollywood. Il a aussi écrit des textes plus ou moins autobiographiques, en tout cas dont les personnages lui sont familiers, dont par exemple un ouvrage inspiré par sa compagne Eva Ionesco. Ici il met en scène juste avant mai 1968 une famille fictionnelle de russes blancs désœuvrés, dont le père est membre de la commission de censure du Centre national de la cinématographie, et qui naviguent comme des poissons dans l’eau en pleine jet set.

En 1966, la banlieue parisienne accueillait dans le pavillon des Rochers la famille Tcherepakine, propriétaire du château depuis le XIXe siècle. Dans l’orangerie, Nathalie, surnommée Taïné, fume une cigarette en compagnie de son frère aîné Serge, tandis qu’en fond sonore on entend La Walkyrie de Richard Wagner. Elle a froid, il l’enlace à la manière d’un amant et lui raconte son dernier voyage en Suisse, où il fit la fâcheuse découverte que leurs comptes sont pratiquement vides. Puis ils font l’amour, un acte qu’ils accomplissent ensemble presque par habitude depuis quelques années. La quittant, Serge pense à sa carrière, lui qui, sortant de Polytechnique, s’est vu proposer par une société américaine un poste à l’étranger. Mais il attend de savoir si le Général de Gaulle va décider que la France doit sortir de l’Otan, comme la rumeur le pressent. Il pense aussi qu’il doit trouver une épouse et arrêter ces jeux sexuels avec sa sœur, qui, à 19 ans, s’apprête à divorcer d’avec son homosexuel de mari. 

Les personnages des Démons pourraient tout aussi bien figurer chez Honoré de Balzac ou bien chez Bret Easton Ellis. Donatien possède en lui des échos de Lucien de Rubempré, qui est d’ailleurs explicitement cité au détour d’une phrase, tandis que l’environnement de ces jet-setteurs n’est pas sans rappeler les figures croisées dans Glamorama. À ce détail près , et qui a son importance, que l’intrigue du roman ne se déroule pas au XIXe siècle comme dans Les illusions perdues, ni dans les États-Unis dont est originaire Victor Ward. Ainsi, les protagonistes des Démons naviguent dans l’univers parisien de la fin des années soixante, passant leurs soirées chez Régine et leurs journées au Flore, croisant à la fois Louis Aragon et Marie-Laure de Noailles, mais aussi la femme qui a inspiré le personnage d’Emmannuelle ainsi que Truman Capote. Ne se rendant pas compte de ce qu’ils sont en train de vivre, ils sont perdu contact avec la réalité et leur quotidien tourne à vide.

Car les figures qui peuplent Les démons passent leur temps à faire la fête, se droguer, faire l’amour et accessoirement écrire. Rien ne leur fait peur, que ce soit l’homosexualité ou l’inceste, l’opium ou bien toutes sortes d’alcools. Ils ont entre seize et vingt ans et veulent vivre vite, s’affranchir de la tutelle de leurs aînés et inventer un monde nouveau. Si eux-mêmes ne vont pas initier Mai 1968, on sent à la fin du roman qu’ils vont s’engouffrer dans la brèche, et sans doute prendre de plein fouet la décennie des années 1970 et le désenchantement du Monde. Dès le début du roman, l’aîné Serge le voit déjà venir, tandis que sa sœur va parcourir en Asie son enfer personnel, ne parvenant que très difficilement à s’extraire d’une situation malsaine. Le petit frère Alexis, à fleur de peau, va avoir du mal à trouver sa voie, et à son jeune âge il va traverser diverses expériences qui vont l’aguerrir trop tôt. L’enfance n’est plus, l’âge adulte pointe le bout de son nez, et ces trois jeunes gens en sont une parfaite incarnation.

Ce qui est fascinant dans Les démons, c’est à la fois l’univers dans lequel gravitent les protagonistes du roman et l’écriture en elle-même de Simon Liberati. On a envie de voguer auprès de Donatien, Taïné et Alexis dans ce Paris où les mœurs sont libérées et où tout semble encore possible. C’est l’époque du Drugstore des Champs-Élysées et de la Factory d’Andy Wahrol, où souffle un vent de jeunesse et excentricité. La partie thaïlandaise est par contre moins convaincante, et même si on comprend où l’auteur veut en venir l’intrigue perd petit à petit de son intérêt et tourne un peu en boucle. Mais le verbe de l’auteur sait nous happer et nous envoûter par des circonvolutions langagières un peu désuètes mais non sans charme. On ressentirait presque par les mots les vapeurs de drogues et d’alcool que les personnages ne cessent d’ingurgiter, sans se soucier ni de leur santé ni du lendemain. Les démons est un grand roman moderne de la vanité et de l’insouciance, où la chute et la descente ne semblent jamais loin.

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