L‘œuvre au noir (1968) Marguerite Yourcenar
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L‘œuvre au noir (1968) Marguerite Yourcenar
Un iconoclaste au royaume des inquisiteurs médiévaux
Les sources de L’Œuvre au noir remontent au roman que Marguerite Yourcenar publia en 1934, sous le nom de La mort conduit l‘attelage. C’est un récit composé de trois nouvelles, l’une d’après Albrecht Dürer, l’autre d’après Domínikos Theotokópoulos, dit Le Greco et la troisième d’après Rembrandt Harmenszoon van Rijn. Dans cet ouvrage apparait Zenon, qui sera le personnage principal de cette Œuvre au noir qui reçut le Prix Femina a l’unanimité. À contre-courant de la littérature contemporaine, la romancière née en Belgique au début du siècle poursuit, après les Mémoires d’Hadrien, sa veine de romans historiques, la Rome Antique laissant place ici à l’époque médiévale et aux débuts chaotiques de la Renaissance.
Le début
Le gentilhomme Henri-Maximilien Ligre quitte sa maison natale de Bruges pour Paris où il veut s’enrôler dans les troupes du roi de France. Il croise sur sa route un pèlerin sur la route de Compostelle nommé Zénon, qu’il connaît bien puisqu’il est son cousin. L’un a renoncé à son avenir de fils de marchand, l’autre a quitté avant son terme l’École de théologie. Les deux amis dissertent et se taquinent, débordant de verve chacun après l’autre. Zénon apprend à son cousin qu’il va visiter le prieur des Jacobites de Léon, amateur d’alchimie, pour en apprendre davantage sur cette étrange matière. Les deux jeunes gens sont à l’orée de leur existence et comptent bien, chacun dans leur domaine, tracer leur sillon.
Analyse
On peut mettre beaucoup de temps à terminer L‘œuvre au noir. Le roman de Marguerite Yourcenar n’est pas de ceux qui se lisent aisément, du fait de sa structure et malgré un sujet pourtant intéressant. La première femme élue à l’Académie française publie ici un roman éclaté, qui multiplie les histoires secondaires et dont l’écriture soutenue est parfois aride. C’est paradoxalement les notes de l’auteur, et plus particulièrement son carnet de notes, qui semblent les plus passionnants, lorsqu’elle raconte avec moult détails la genèse de son œuvre, ses difficultés et les parallèles qu’elle fait avec son autre grande œuvre que sont les Mémoires d’Hadrien.
Zénon et Hadrien sont en effet à la fois différents et comparables. Tous deux ont vécu dans des temps anciens, l’un est une figure historique ayant réellement existé, l’autre est un personnage inventé. Tous deux ont eu des relations homosexuelles, l’un sur le plan de l’amour fou, l’autre sur le plan des étreintes éphémères. Et en plus de ces personnages principaux, terriblement attachants, c‘est le contexte de L‘œuvre au noir qui demeure très intéressant. Marguerite Yourcenar place son protagoniste, rebelle et humaniste, en plein cœur de l’Inquisition. Il se démarque de ses contemporains par une attention toute particulière aux sciences, à la fois académiques et occultes.
Médecin, il lutte contre la peste et pratique des autopsies, mais il s’intéresse également à l’alchimie et reste ouvert aux divers courants de pensée de son temps. L'autrice prend ici pour modèles des personnages légendaires de l’époque comme Léonard de Vinci ou bien Tommaso Campanella. Très instruit, et peut-être paradoxalement un peu trop, au risque de perdre son lecteur en cours de route, L’œuvre au noir ne manque pourtant pas de sensualité comme l’épisode du groupe des Anges ou la fin de Zénon. Une œuvre importante de la littérature française donc, où l’on apprend beaucoup de choses sur une époque troublée et où Marguerite Yourcenar raconte une fois de plus la vie d’un homme de bien.