Chapitre 28
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Chapitre 28
Mois de décembre tiède. Peu de froideur en cette saison hivernale. Les écoliers de notre vieille Europe vont bientôt envahir les maisons effervescentes. Elles se préparent à fêter la venue du Petit Jésus. Les centres commerciaux s’emplissent d’hystériques en manque de cadeaux. Les victuailles annoncent l’onctuosité ambiguë de Noël.
C’est la fête pour ceux qui se regroupent, noyautage dévolu à la famille.
C’est la désolation pour ceux qui se retrouvent seuls devant leur écran plat de télévision, ceux qui ne sont jamais seuls dans la foule, ceux qui sont toujours seuls dans leur tête, le corps en gravitation parmi les gens.
C’est la fin de l’école avec la joie du goûter. Les cartables sont pleins de tout un tas de cahiers à faire signer. Le soleil décline sur les rebords de la ville. Début des vacances.
J’entends un hurlement percer les murs épais.
Je comprends tout de suite d’où provient ce vrillement. Je le laisse s’épanouir, détendue devant sa décroissance, finalement peu inquiète.
Quelques bruits de cavalcades, puis de nouveau le cri glaçant à hérisser les poils de tous les cailloux de Capcity-le-Soubresaut. Dune ne s’arrête plus de hurler. Je descends voir ce qui se passe, mes petits accrochés à mes ballerines de danseuse étoile. Ogron est déjà devant la porte avec le voisin du palier, dépanneur pendant ma nuit d’urgence pédiatrique.
Dune poursuit ses exercices vocaux, sans pour autant répondre à nos sollicitations tonitruantes. Elle n’ouvre pas à nos coups de sonnettes. Continue à hurler par intermittence, prise dans un élan de folie décrochée de la réalité.
Il va bien falloir rentrer chez Dune pour qu’elle arrête sa nuisance sonore, en attendant de la faire interner. Ogron se gratte l’inexistence de ses cheveux. Ses doigts descendent sur son visage. Le voilà charmé de pouvoir enfin agripper sa réflexion à ses longs poils de barbe.
- Attend, une minute !
Ogron remonte chez lui quelques instants, redescend en trombe. Il m’ordonne :
– J’ai un plan de la mort ! Caméliope, tu vas acheter tout de suite un gros pack de bières.
– Tu veux boire l’apéro sur le palier ? Je prends aussi des chips ?
– Non, que des bières et grouille-toi ou ils vont se barrer ! Tu m’attends sur Ton balcon avec les bières, lance-t-il en se poussant dans le colimaçon noir du premier étage.
Je me soumets sans rechigner, prête à tout pour stopper l’horreur buccale de ma voisine. Je fonce à la superette du coin et la dévalise en bières, mes petits toujours accrochés à mes ballerines, et remonte chez moi, curieuse de découvrir le scénario incroyable qui pousse dans la tête de mon voisin.
J’entends toujours Dune hurler par intermittence. En me penchant, je vois la fenêtre de sa cuisine ouverte. Dune semble être quelque part dans son salon. En même temps, les cris se déplacent. Je ne comprends vraiment pas ce qu’elle trafique. Elle n’entend aucune de nos tentatives de communication. Il est certain qu’elle est vivante. La preuve par les oreilles.
Les enfants me regardent avec de gros yeux.
– Elle a quoi Dune ? demande Sacha, un peu inquiet.
– Elle joue !
Peter est sûr de lui. Tolstoï s’insurge :
– Ben faudrait qu’elle arrête. Nous on n’a pas le droit de courir et de crier comme ça. C’est pas juste.
– Ouais, c’est bien vrai. L’autre fois, les voisins du quatrième étage sont descendus se plaindre et pourtant on faisait que jouer au ping-pong sur les lits !
– Maman, y a un monstre qui arrive ! crie Sacha accroché à ma jambe en pointant son doigt lilliputien vers le jardin.
– Mais non, du calm-me.
Je suis interrompue en voyant un engin se diriger droit vers nous.
– Regarde, maman, y a Ogron dedans !
Je dois me pincer pour vérifier que je suis consciente. Ogron se trouve dans la nacelle de la grue qui traverse le jardin. Les ouvriers, qui construisent le bâtiment en face du notre, dirigent la machine. D’où peut provenir une telle imagination ? Ogron arrive droit sur le balcon. Il guide le grutier concentré à la fois sur l’énorme tâche mouvante que forme Ogron et sur l’objectif de livraison.
– Donne vite le pack de bières, c’est pour remercier les ouvriers ! Ils vont me déposer juste en-dessous. Je rentre chez Dune par la fenêtre de sa cuisine et je vous ouvre. Ne traîne pas.
En moins de deux, les bières se retrouvent au fond de la nacelle et Ogron à hauteur de la fenêtre de Dune.
Il attrape la fenêtre. Ses longs bras font signe au grutier de remonter la nacelle. Averti par son expérience, le grutier attend qu’Ogron ait bien enjambé le rebord de la cuisine de Dune. Ogron lui fait à nouveau signe de dégager l’espace. Le grutier attend en lui faisant signe de monter d’abord. Le géant se hisse à bout de bras mais glisse sur le rebord terreux de la fenêtre de Dune. Ogron retombe lourdement dans la nacelle.
Deuxième tentative, Ogron parvient à se mettre en travers du rebord de la fenêtre. A la force de ses bras, il se laisse couler à l’intérieur de la cuisine de la voisine. Le grutier initie alors sa traversée en sens inverse du jardin. Aux balcons, les voisins regardent et commentent la scène.