Première cérémonie
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Première cérémonie
Que dire de cette première cérémonie ? Nous ne sommes que le lendemain et je ne me souviens pas de grand chose de précis. Je me lève extrêmement fatigué, n'ayant quasiment pas dormi de la nuit. Mais une chose est sûre, j'ai déjà reçu beaucoup, beaucoup d'enseignements.
Nous avons passé la matinée à nous promener en forêt, José machette à la main dégageant le chemin, s'arrêtant de temps en temps pour me montrer une plante et commenter sa vertu. Il me tend par moments certaines feuilles ou écorces d'arbre que je dois mastiquer et avaler, au goût amer très prononcé, me faisant retenir des hauts le cœur, mais le but est de préparer l'organisme à accueillir l'Ayahuasca et je m'exécute malgré ma réticence. L'après midi, je retourne une nouvelle fois à la hutte de sudation, puis vais me baigner à la rivière et passe le reste de la journée à me reposer.
Nous commençons la séance au sein de la Maloca, le lieu de cérémonie, par un long monologue introductif de José, qui me retrace tout le parcours de vie de chaman, de son grand-père jusqu'à lui. Je dois avouer que je ne comprends pas tout, loin de là, tant le débit de parole est intense et en dépit de mon espagnol de voyage approximatif. J'essaie de me concentrer autant que je peux, d'en saisir au moins l'essence, relâchant malgré tout régulièrement mon attention. Il me fait ensuite venir sur un rondin de bois en face lui, et me verse du jus de tabac dans chaque paume de main, que je dois alors inhaler comme je peux. Le but est là encore de potentialiser l'effet de la plante. Puis vient le moment où il sert et me tend la coupe contenant l'Ayahuasca. Je prends mon courage à deux mains, pose une intention à mon travail, et bois le verre d'un trait. Toujours aussi amer. Je retourne ensuite m'asseoir sur mon banc en position de méditation, José Liqui souffle la bougie ce qui nous plonge dans le noir, et j'attends.
L'effet tarde à venir. José Liqui m'interpelle plusieurs fois pour savoir comment je me sens, je lui réponds que je ne sens rien de particulier, et je m'interroge si la quantité qu'il m'a donné est suffisante. Puis, de manière très subtile et progressive, je commence à percevoir des frémissements, des petites vibrations qui s'amplifient, des éclaircissements, des portes qui s'ouvrent, de la lumière qui apparaît. Quelques visions colorées commencent à apparaître, mais très vite les choses se précipitent et je m'allonge emporté par le puissant tourbillon.
Comme je l'ai dit, je ne me souviens pas de beaucoup de détails précisément, mais plutôt d'un état et d'un ressenti général. Ce que je peux dire, c'est que je perçois comme un flux intense d'énergies et de vibrations, de réflexions multiples et d'enseignements, qui semblent se télécharger en moi à une vitesse impressionnante, dont les battements accélérées de mon cœur dans ma poitrine témoignent. A ce niveau, il va falloir mettre si vous le voulez bien votre cadre matérialiste et rationnel un peu de côté. Il m'est difficile de dire que ce qui se passe en moi est la seule propre production de mon esprit et de mon imagination. Au contraire, tout ce qui se passe prend plutôt la forme d'un dialogue et d'une connexion. Je me sens relié à quelque chose d'extérieur, une conscience supérieure qui parle en moi, qui m'ouvre des portes de compréhension avec une facilité déconcertante, me donnant accès à des vérités universelles sur la vie et le monde et venant me défaire d'illusions à vitesse grand V. C'est comme ci la plante défaisait certains filtres et barrières qui m'enferment, centrés sur ma propre personne, pour me permettre de me mettre en lien avec une dimension supérieure. C'est comme ci je pouvais percevoir ce qui habituellement n'est pas accessible à ma conscience ordinaire, ou en tout cas ouvre grand la porte à certaines facultés souvent cachées ou étouffées en moi. C'est un élargissement du champ de ma conscience et de mes qualités perceptives du monde qui m'entoure.
José Liqui joue d'un instrument monocorde qu'il semble faire vibrer dans sa bouche pendant un certain temps. Puis une fois entrés dans l'univers de l'Ayahuasca, il entame un chant qu'il accompagne de battements de plumes, comme si un grand oiseau l'accompagnait, qui vient encadrer et guider mon voyage.
Au bout d'un moment, alors que je suis allongé, il m'invite à le rejoindre sur le rondin en face de lui afin de procéder à un nettoyage. Il me demande alors de baisser la tête et se met à me souffler de la fumée de tabac dessus, qui très vite libère en moi une forte montée de nausées et déclenche des vomissements. Je sens un liquide chaud et piquant jaillir par salves répétées, je souffle un peu, puis je reprends le travail de purge jusqu'à ce que les nausées s'estompent. Il faut savoir laisser sortir ce qui a besoin d'être éliminé, sans résistance. Le travail avec l'Ayahuasca est d'abord un travail de purification intérieur. José procède ensuite à des aspirations puissantes et bruyantes au dessus de mon crâne, qu'il recrache ensuite sous forme de fortes éructations. Une fois ce travail terminé, il m'invite à regagner ma place.
Assis en tailleur, le flot de vibrations et d'enseignements reprend. Je sens une puissante énergie envahir mon corps et mes mains, dépassant les limites de mon enveloppe corporelle, tandis que de nombreuses réflexions défilent très rapidement dans mon esprit. Je finis par m'allonger pour accueillir plus confortablement tout ce que je reçois à ce moment, tandis que José reprend ses chants accompagnés par l'agitation en rythme de ses plumes.
Au bout d'un temps que je ne saurai définir, il m'informe aller désormais se reposer. Je reste pour ma part dans la Maloca encore un certain temps avant d'aller regagner ma couche. Si les visions colorées ne sont plus présentes, je reste cependant dans un état de conscience élargie et poursuit tout le reste de la nuit dans une sorte de somnolence éveillée, durant laquelle de multiples sensations et pensées continuent de se succéder. «Quelles que soient les difficultés que tu rencontres, honore chaque instant de vie avec amour », me disent-elles en substance...