La sagesse interdite
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La sagesse interdite
Il est peut être temps pour moi de vous présenter un auteur qui a beaucoup compté pour moi ces derniers mois. D'abord découvert « par hasard » sur sa page FB Par Un Curieux Hasard dans laquelle il publie des textes courts que j'ai souvent trouvé extrêmement sages et pertinents, et qui m'ont beaucoup accompagné dans la compréhension et l'acceptation de ce qui se jouait dans ma vie, Stephan Schillinger a depuis publié un livre intitulé la Sagesse Interdite qui parle des substances psychédéliques ou enthéogènes, et que je voudrais prendre comme point de départ de cet article.
Les psychédéliques, ou enthéogènes (qui génère le divin à l'intérieur de soi), sont des substances qui « révèlent l'âme » en élargissant le champ de la conscience individuelle, en donnant accès à un « état élargi de conscience ». On y trouve dans cette catégorie un certain nombre de plantes et molécules identifiées et étudiées comme la dimethyltryptamine de l'Ayahuasca, la mescaline du cactus San Pedro ou du Peyotl, la psylocybine des champignons hallucinogènes, l'ibogaine de l'Iboga, la sauge divinatoire... mais aussi des substances chimiques modernes comme la Ketamine, le LSD, l'ectasy ou MDMA.
Dans son livre donc, Stephan défend la thèse que, pour toutes les sociétés de par le monde et dans l'histoire, l'apparition d'une démarche spirituelle chez l'être humain trouve toujours sa source originelle dans l'expérimentation de substances enthéogènes. Il s'appuie pour cela sur des découvertes en archéobotanique ou archéochimie qui retrouvent des traces de l'usage de ces substances dans différentes civilisations passées, de l'étude des mythes et grands textes fondateurs des différentes traditions spirituelles et religieuses, de la description des états élargis de conscience des différents prophètes, qu'il s'agisse des traditions chamaniques, orientales, greco-romaines, ou des 3 religions du Livre.
Puis il explique comment ce savoir par l'expérience directe, cette connaissance de la nature véritable du monde par la connexion au divin, a régulièrement suscité défiance et prohibition par les pouvoirs en place, car remettant en cause le contrôle et l'asservissement des populations. A l'image de l'eucharistie chrétienne qu'il rapporte à cela puis de la persécution des premiers chrétiens par les romains pendant les 4 premiers siècles. Puis, une fois l'Eglise établie comme institution religieuse et alliée au pouvoir, comment elle aurait interdit et pourchassé l'usage de ces substances, car venant remettre en cause son rôle auto-attribué d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, demandant ainsi à ses sujets de croire le récit d'une expérience extatique passionnante tout en les privant d'en faire eux-mêmes l'expérience directe. Ce sont les périodes sombres de l'inquisition, de la chasse aux sorcières et de tout ce qui est hérétique, venant remettre en cause l'ordre et la domination établis par l'Eglise.
L'avènement de la science ayant balayé la suprématie des religions, on retrouve ensuite un regain d'interêt dans les années 50-70 pour les substances psychédéliques, avec notamment la découverte et l'expérimentation en laboratoire du LSD, pour lequel de nombreuses recherches très prometteuses ont été conduites en Médecine et en Psychiatrie, menant aussi à une large utilisation parmi les artistes, musiciens ou écrivains, tel Aldous Huxley et son ouvrage Les portes de la Perception qui est à l'origine du nom de mon groupe mythique The Doors.
Mais ces substances, abondamment consommées par les hippies et associées alors au grand mouvement contestataire contre la guerre du Viet-Nam, ont alors fait l'objet d'une diabolisation et d'une interdiction totale, y compris à des fins de recherche scientifique, au nom de la lutte contre le fléau de la drogue.
Depuis les années 2000, mu par les luttes de communautés à faire valoir leur usage dans le cadre de leur droit et du respect de leurs pratiques traditionnelles, de mouvements revendicatifs comme Legalize Nature, ou sous la pression de la communauté scientifique qui s'intéresse à leur fort potentiel thérapeutique, les législations commencent à bouger dans certains pays et à en permettre leur usage dans un certain cadre donné. Schillinger prône finalement leur usage, dans un cadre légalisé et réglementé permettant d'en assurer la sécurité d'usage, comme un droit inaliénable de chaque être humain à pouvoir explorer les différents champs et potentialités de sa conscience.
Toute la question, finalement, est de savoir ce qu'est une drogue, et si la substance incriminée est nocive pour l'homme ou pas, justifiant raisonnablement son interdiction ou non.
Une drogue est une substance chimique capable d'altérer des activités neuronales afin de modifier un fonctionnement physiologique ou psychique, et dont certaines molécules peuvent engendrer une dépendance physique ou psychologique. Si l'on s'intéresse aux substances qui modifient l'état d'éveil de notre système nerveux, on parle alors de substances psychotropes. Certaines sont d'usage légale, d'autres pas, et nous en utilisons tous les jours dans notre quotidien comme dans notre médecine.
Se pose alors la question de savoir si la substance altère notre état de vigilance, ou si elle l'améliore. Dans le cas des psychédéliques, les recherches montrent qu'ils améliorent le fonctionnement psychique et la croissance neuronale, en stimulant certains récepteurs spécifiques, en libérant certains facteurs de croissance et en inhibant certaines zones filtrantes du cerveau, donnant lieu à des états élargis de conscience où les fonctionnalités sensorielles et perceptives sont potentialisées ou révélées par la substance.
Se pose ensuite la question de sa toxicité, des effets indésirables qu'elle produit. Il y a la plupart du temps une notion de quantité, c'est la dose qui fait la toxicité. Les études sont ensuite faites pour rechercher ces effets secondaires, positifs ou délétères, leur fréquence de survenue, les contre-indications ou précautions d'usage qui en découlent.
Enfin, intéressons-nous désormais au caractère addictogène d'une substance. Une addiction, ou dépendance, est l'envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s'en soustraire. Il y a dans l'addiction un phénomène de dépendance, du au manque ressenti en l'absence de l'exécution du comportement concerné ou de la consommation de la substance, et un phénomène d'accoutumance conduisant à une satisfaction moindre du comportement avec le temps, amenant au besoin d'augmenter la fréquence et/ou la quantité du même comportement/ de la substance pour retrouver le plaisir espéré. Ceci peut amener à une exclusivité toujours plus importante de cette activité pour l'individu, au détriment de toutes les autres, sociales, professionnelles, et même vitales ; et au développement d'un mal être et d'une aggressivité lorsque le comportement addictif ne peut être reproduit, appelé syndrome de sevrage. Il est important ici de noter que l'addiction n'est pas toujours reliée à une substance, mais peut l'être pour n'importe quel comportement répétitif.
Une drogue génère ainsi un plaisir ou une satisfaction immédiate issu de l'activation du circuit dopaminergique de la récompense, qui entraîne un phénomène de dépendance favorisant la reproduction de sa consommation, afin de soulager un état de tension interne généré précisément par le manque de la substance. Elle amène progressivement à une exclusivité et une fuite de la réalité, ne visant plus qu'à s'anesthésier ou se soulager, génère des comportements dangereux pour soi et pour autrui, favorisent des comportements égocentriques d’agressivité, de compétition, de quête du toujours plus, de recherche du plaisir pour soi au détriment des autres.
Les psychédéliques, eux, au travers des etudes réalisées actuellement dans différents centres de recherche, révèlent qu'ils ne sont pas dangereux pour la santé et des études récentes auraient même montré un impact globalement positif sur la santé publique et sur la santé mentale des individus. Pris dans de bonnes conditions, ils présentent une quasi innocuité. Ils ne sont pas non plus addictifs et sont mêmes précisément étudiés pour le traitement des addictions. Un centre au Pérou dirigé par le Dr Mabit utilise justement l'Ayahuasca et d'autres plantes maîtresses pour prendre en charge les toxicomanes. Outre le traitement des addictions, ils auraient montré leur utilité dans la dépression résistante aux antidépresseurs habituels, dans le stress post-traumatique, dans l'anxiété la dépression et la détresse psychologique dans le cadre de maladies graves ou de fin de vie, dans les thérapies de couple, dans la réduction de la douleur, et des études sont en cours dans le cadre de maladies neurodégénératives, maladies inflammatoires ou auto-immunes, cancers, autres troubles psychiatriques comme les TOC, les phobies sociales ou les troubles du comportement alimentaire.
Ils donnent accès à des perceptions plus aigues des réalités internes et externes, positives comme négatives (les zones d'ombre et de lumière), donnent accès à des dimensions cachées ou non accessibles à notre état de conscience ordinaire, et amènent souvent les individus à une plus grande empathie, à des comportements plus coopératifs et à l'amélioration des relations, à une plus grande conscience écologique et à un engagement plus important dans le sens de l’intérêt général.
Alors on peut s'interroger si ces substances enthéogènes sont nécessaires et indispensables à l'élargissement de notre conscience et au développement d'un chemin spirituel. Et la réponse est bien sûr que non ! Il y a différentes manières d'accéder à des états élargis de conscience, avec ou sans substance, et c'est justement ce que beaucoup de pratiques spirituelles promeuvent. Ces états de conscience modifiée, ou état de transe, peuvent être générés par des techniques de respiration, de méditation, par des sons et des rythmes, par des chants, par des danses, par l'hypnose, par des techniques de yoga, par des techniques psychothérapeutiques comme l'EMDR, l'art thérapie,...Bref, tout ce que les sociétés ont développé comme techniques pour apprendre à mieux vivre ensemble, à soigner, à accepter et à nous remettre en lien avec nous mêmes et avec notre environnement !
Les enthéogènes sont des substances certainement plus puissantes et plus rapides pour accéder à cet élargissement de la conscience et à son potentiel thérapeutique de changement et de guérison, mais elles ne sont certainement pas les seuls outils que nous avons à notre disposition. En outre, elles ne sont que des guides, des aperçus ou des ouvertures à des compréhensions que nous avons à continuer de développer et entretenir au quotidien. Tout le travail d'intégration qui nous incombe de cette sagesse reste irrémédiablement à faire...
Pour finir, il me semble alors intéressant de s'intéresser à ce que notre société de consommation valorise et promeut comme type de comportements. Car c'est probablement sa raison d'être même que de favoriser des addictions en tout genre. Parce qu'elle vise en permanence à générer des envies, des besoins et des manques, parce qu'elle nous pousse à y revenir régulièrement en ajoutant des substances addictives ou en favorisant l'obsolescence de ce que nous avons, parce qu'elle nous amène à en vouloir toujours plus, tout en générant un plaisir immédiat mais temporaire et de moins en moins satisfaisant, mais que nous ressentons pourtant le besoin de reconsommer ; tabac, café, sucre, alcool ; mais aussi compulsion aux achats, aux jeux ou aux divertissements ; addiction aux écrans, au téléphone que nous ne lâchons plus, aux réseaux sociaux....
La société de consommation nous enferme et nous avilie, nous rend dépendant d'un tas de choses, génère une sensation de manque, de vide et de frustration, favorisant l'individualisme, la prédation et la compétition entre les gens, l’accaparement des richesses, la quête d'un toujours plus pour une insatisfaction toujours plus grande, la destruction de nos équilibres et va à l'encontre d'une vie en accord avec les ressources de notre environnement. Et le pire, c'est qu'en bons toxicomanes que nous sommes, nous sommes les premiers à défendre et promouvoir ce qui nous esclavagise.
Ce que nous disent probablement les spiritualités depuis la nuit des temps, c'est peut-être qu'il existe une autre voie de contentement qui nous libère et ne nous enferme pas dans des mécanismes de dépendances en tout genre, mais qui nécessite pour cela de nous extraire de nos conditionnements et de nos quêtes illusoires de satisfaction. Une voie qui passe par plus de conscience de ce qu'est l'essence même de la vie, plus de compréhension de notre propre nature et des pièges dans lesquels on tombe si souvent, par une connexion toujours plus forte à ce qui se manifeste en nous, dans notre rapport aux autres et à tout ce qui nous entoure, nous faisant prendre conscience que nous sommes tous reliés plutôt que séparés, et faisant partie d'une unité ou d'un Tout... cette reliance et cette autre voie, ne serait-ce pas ce qu'on appelle l'Amour ?