Vivre en forêt amazonienne
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Vivre en forêt amazonienne
Que dire de mes dix jours passés ici, à Santa Rosa, au beau milieu de la jungle amazonienne, loin de tout, à ¾ d'heure de marche des premières habitations, sans électricité, sans réseau telephonique ou internet ?
D'abord que la vie ici est entièrement rythmée par la météo, et qu''il pleut beaucoup. Une pluie présente quasiment tous les matins, intermittente ou continue, pouvant aller jusqu'au déluge, de grosses averses qui résonnent de manière assourdissante sur la tôle ondulée de mon toit, , innondant et s'évacuant par torrents sur le terrain détrempé et saturé d'eau, devenu extrêmement glissant et gadouilleux, limitant fortement mes capacités de déplacement dans la journée. De toutes façons, étant dans un état de fatigue manifeste après les cérémonies, je passe beaucoup de temps à me reposer et somnoler, lire et écrire, alternant de mon lit aux hamacs et inversement. Vous narrer ce que je traverse ici m'occupe, cela me fait aussi beaucoup de bien ! Ca m'aide à me rappeler certains souvenirs et ressentis parfois assez flous, à structurer mes pensées et retrouver certains enseignements reçus, à prendre de la hauteur et porter un regard constructif, riche de compréhensions sur ce que je suis en train de vivre. Enfin, je dois dire que je m'ennuie aussi, parfois, souvent, me retrouvant souvent seul, n'ayant pas envie ni de dormir ni de lire toute la journée.
L'après midi, le temps s'améliore. La pluie s'estompe et quelques doux rayons de soleil peuvent apparaître, me permettant de vaquer à quelques autres occupations comme aller me laver à la rivière ou me promener un peu aux alentours. Je passe au fur et à mesure du séjour de plus en plus de temps à discuter avec Claudio, l'un des fils de José, allongés dans les hamacs à discuter, et sa compagnie me fait beaucoup de bien. Samedi dernier, un jour sans cérémonie, nous en profitons pour revenir à Tena, et nous allons avec sa fille et ses nièces à un endroit très animé en bord de rivière, lieu où tous les jeunes se retrouvent les week-ends dans des débits de boissons ouverts, pour boire des litres de bière et écouter fort des musiques latines actuelles. Etrange impression que de se retrouver après la tranquilité de la forêt dans cette agitation ! Un autre jour où il ne pleut pas, nous partons marcher 3 heures en forêt, et il en profite pour me faire découvrir des arbres et des plantes, me fait goûter les différents fruits ou feuilles comestibles de la forêt, sucer des graines de cacao, être en quête d'un Watusa, un animal que les chiens essaient en vain de débusquer.
La vie en forêt pour la grande famille Licui (José a 10 fils et filles, mais tous ne sont pas présents ici) est ainsi rythmée et en communion avec la nature et les variations de la météo. Les femmes (son épouse, ses filles, résidentes ou de passage, ses petites filles) passent la plupart de la journée à entretenir le foyer, récolter et faire cuire fruits, racines graines et légumes, s'occuper des poules, dépecer et préparer les animaux chassés par Claudio, cultiver le potager. José et ses fils, eux, ne se promènent jamais sans leur mâchette à la main. Ils entretiennent et dégagent le terrain, débitent les troncs d'arbre tombés au sol et coupent du bois, fabriquent des planches et des bâtiments à différents endroits, réaménagent le terrain très mouvant du fait des fortes pluies.
J'aide notamment Claudio à faire des marches avec planches et pieux sur tout le chemin, devenu tellement gadouilleux qu'il devient dangereux à pratiquer notamment pour ses vieux parents, et je peux admirer la force de travail qu'il est capable d'accomplir, infatigable, sans s'arrêter, quand la météo le permet. Le reste du temps, ils se retrouvent tous autour du foyer où fument en permanence les marmites, discutent, repartent, ont toujours un truc ou un autre à faire, quelque chose à aller chercher, sur le terrain ou en forêt, une plante à récupérer, un animal à chasser ou des cosses de cacao à ouvrir et faire sécher. Claudio, lui, écoute souvent la radio par le biais d'un talkie walkie, de la musique dans la journée et les informations entre 7 et 8h.
Tout se passe donc selon un rythme apaisé et harmonieux, au gré du temps et des envies, sans besoins annexes autres que ceux de vivre, manger et aménager son espace de vie. C'est là aussi un apprentissage pour moi d'un certain retour à l'essentiel et de mise à distance du superflu. Une temporisation de ma tendance à l'hyperactivité, ce besoin que j'ai de toujours devoir faire quelque chose pour occuper au mieux et le plus efficacement mon temps, pour me sentir utile, ne supportant pas d'être en pause, de m'ennuyer, de n'avoir rien d'intéressant à faire ou qui puisse occuper mon esprit. Apprendre à être plus simplement au monde, laisser être, être plus à l'écoute de ce qui se passe, en moi et autour de moi, sans chercher sans cesse une occupation, sans lutter incessamment contre l'ennui, en acceptant au mieux ce qui m'arrive sur ce temps de retraite.
Notre société capitaliste est énormément dans l'avoir. Le rythme effréné de nos vies nous place dans le faire, tout le temps. Ici, dans la vie au quotidien comme dans l'expérience de l'ayahuasca, on se reconnecte à la base de la vie, à son essence même : être au monde, simplement prendre conscience d'exister. Et quelle est l'essence de l'existence si ce n'est le fait de se sentir vivant, et en relation à tout ce qui existe autour de nous ?
Je vous embrasse, avec une pensée particulière pour chacun d'entre vous.