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LE SURF FEMININ : UN SUJET HOULEUX

LE SURF FEMININ : UN SUJET HOULEUX

Publié le 9 oct. 2020 Mis à jour le 9 oct. 2020 Sport
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LE SURF FEMININ : UN SUJET HOULEUX

Derrière un petit constat, une grosse réflexion. La plupart du temps accompagnée, aujourd’hui je me mets à l’eau seule. Au pic, je constate que je suis la seule femme. Une situation assez commune pour moi, et un vrai cas d’étude pour Anne-Sophie Sayeux, chercheuse en anthropologie sociale et culturelle du sport, spécialiste du surf et du corps à l’Université Clermont Auvergne. Elle utilise le surf comme “une loupe de notre société’ et observe les déséquilibres entre les genres. Le surf est-elle une pratique aussi androgyne qu’elle le prétend ? 

illustration : Les filles du surf

Le surf est une pratique ouverte à tous. Et à toutes ! Bien que l’arrivée des femmes dans le surf tel qu’on le connaît aujourd’hui fut plus tardive, celles-ci ont été accueillies chaleureusement dans la discipline. Notons que c’est un des premiers sports à établir l’égalité salariale entre professionnels. Mais pour Anne-Sophie Sayeux, qui s’intéresse à la sociologie du sport, il y a un écart entre le discours et la réalité. Penser le surf comme une pratique totalement androgyne serait une erreur. En 2008, elle publie l’étude Femmes surfeuses, paroles d’hommes surfeurs : petits arrangements dans l’ordre des genres, qu’elle met encore régulièrement à jour. Basée sur des observations régulières du line-up et des témoignages de surfeurs, elle nous explique que “pour l’homme, la femme surfeuse reste plus peureuse que lui, elle ne fait pas le même surf : fluidité et grâce pour elle contre radicalité pour lui. Elle est douce et fragile, en demande de protection si les vagues sont trop grosses. Quand elle ne rentre pas dans ce cadre là, on dira d’elle ‘’surfe comme un mec’’, et la voilà devenu un “surfeur comme les autres’’.” Ainsi, en définissant ce qu’est – et surtout ce que n’est pas – une femme surfeuse, des schémas de la société se répètent. C’est ce fameux “petit arrangement dans l’ordre des genres” qu’Anne-Sophie décrit. Vos témoignages et vos expériences ont prouvé que ce phénomène était bel et bien réel ; mais vos réflexions ont prouvé qu’il était temps d’aller de l’avant !

AU PIC DES TENSIONS

Au pic, plus de masques, chacun pour soi. Les relations entre surfeurs et surfeuses ne sont plus cordiales mais purement instinctives, en d’autres mots “vraies”, ce qu’Anne Sophie Sayeux est venue observer. L’arrivée d’une série réveille l’esprit de compétition en chacun des surfeurs. Il n’y aura que quelques vagues, et chaque vague sera surfée par une seule et unique personne. Ainsi, quel que soit le spot, une hiérarchie s’impose d’elle-même. Les locaux et les meilleurs surfeurs se placent à l’intérieur du pic, les surfeurs intermédiaires se satisferont des autres vagues, en d’autres mots “des miettes”. 

La chercheuse explique alors, que dans cette bataille, les femmes ne se sentent pas toujours à leur place. Bien qu’un surfeur n’interdira jamais explicitement à une femme de s’installer à l’intérieur du pic, celle-ci se l’interdirait d’elle-même. “Elle ne se risquera pas à aller au milieu de tous ces hommes, batailler pour la même vague et leur en priver. Pour éviter cette pression, la surfeuse se contentera de vagues moins bonnes, en se plaçant plus à l’extérieur” observe-t-elle. En récoltant les témoignages des lectrices, les observations d’Anne-Sophie Sayeux s’avère être la réalité de plusieurs d’entre vous : “Être la seule femme au line up n’est pas dérangeant. Cependant pour ma part, je ressens toujours une certaine pression. C’est à dire que je n’ai pas le droit à l’erreur sur ma première vague si je veux avoir ma place au peak.” nous raconte Noémie, longboardeuse bretonne de 23 ans. La pro-surfeuse Léa Brassy, elle, a décidé de ne plus subir cette situation et se positionner différemment : “Si tu mets à l’eau une fille qui surfe bien et qui a du charisme, elle va avoir sa place. Mais si elle se donne une place différente, elle aura une place différente. Je pense que c’est à nous, en tant que femme, de se positionner de manière neutre. Dans le surf, ça se joue au placement. Alors, je ne m’interdis pas de me placer à l’intérieur sous prétexte que le line-up est masculin – ce qui est honnêtement toujours le cas – je me place en fonction de mon engagement.” Et si nous étions finalement notre propre obstacle ? À méditer. 

Photo : Laurent Masurel

Entre celles qui s’engagent et celles qui n’osent pas, Anne-Sophie mentionnent un troisième type de surfeuses. Certaines se reconnaîtront sûrement : celles qui savent en profiter. Conscientes d’être considérées comme une catégorie sous-estimée à l’eau, autant retourner la situation à son avantage non ? Parfois il suffit d’un sourire, pour que la galanterie – autre manifestation d’une éducation masculine – permette à la demoiselle de partir sur quelques bonnes vagues. Une forme de bienveillance qui n’est pas pour nous déplaire. Ce sont ces bons côtés que certaines retiendront, grâce auxquels elles se sentiront même comme privilégiées à  l’eau. C’est ce bon accueil qui marque les sessions de Barbara, 26 ans, surfeuse à Bali : “Être la seule femme dans un line-up masculin a toujours été un bon moment pour moi. Les mecs présents ont toujours été très sympas, à me donner des conseils, voir être protecteurs. Que de bonnes vibes !” Merci Messieurs.

« SURFER COMME UN MEC » 

On a tous déjà vu un homme pousser la planche d’une femme pour l’aider à partir (acte au passage, très bienveillant). Pourtant l’inverse nous étonnerait. Et pour cause, “les femmes sont souvent considérées comme une catégorie de surfeur moins combative” affirme l’étude. Mais d’où vient cette étiquette ? Pour répondre, l’anthropologue déchiffre l’image de la surfeuse en tant que sportive. “Pensez à l’image renvoyée par les marques dans les publicités. L’homme est en action, sur un roller agressif ou un air engagé tandis que les femmes posent sur la plage à côté de la planche. Son surf est mou, gracieux, en quelque sorte ‘’plus faible’’, comme pour rentrer dans les stéréotypes féminins.” explique Anne-Sophie Sayeux. Pourtant, il est impossible de réduire le surf féminin à un surf mou et désintéressé. Et pour cause, elles sont bien trop nombreuses à mettre à mal cet archétype. Regardez la puissance du surf de Stephanie Gilmore, de Caroline Marks ou de l’Hawaïenne Carissa Moore. Là encore, la chercheuse interroge « Avez-vous déjà entendu de ces femmes, qu’elles surfent comme des hommes ou qu’elles sont taillées comme des mecs » ? Encore touché. C’est le processus de “virilisation” explique-t-elle. “Ce discours relève d’un contrôle social sur le genre. On préfère nier un modèle – que je suppose présent – plutôt que d’accepter une remise en question de son positionnement dans ‘’l’arrangement des sexes’’. Il en souligne presque la difficulté de penser qu’une femme puisse surfer de la même manière qu’un homme ou qu’elle soit autant musclée.” Non pas que cela dérange personnellement un individu, cela dérange simplement ‘’l’ordre des genres’’ pré-établi dans l’inconscient, ancré depuis l’enfance et consolidé par la société.

Photo : Nikki Van Dijk par Damien Poullenot

”Il y a autant de surf que de personne”

– Justine Dupont

Difficile d’admettre pour certains que le surf féminin puisse concurrencer le surf masculin. Le surf serait-il un “ensemble séparé” avec deux catégories : le surf féminin plus docile et le surf masculin plus engagé ? Un discours bien difficile à tenir devant Justine Dupont. Surfeuse professionnelle et waterwoman originaire de Lacanau, on la retrouve sur les plus grosses vagues de la planète. En ce début d’année, elle était à Nazaré, sa deuxième maison, et remportait le prix féminin du WSL Nazaré Tow Surfing Challenge en chargeant des vagues de vingt mètres. Ne parlait-on pas d’un “surf féminin docile” quelques lignes plus haut ? Interrogée au sujet de cette distinction entre le surf féminin et masculin et l’expression “surfer comme un homme” qui a bien souvent décrit son surf, Justine nous répond. “C’est une expression qui date et que l’on entend de moins en moins. D’autant plus qu’aujourd’hui il y a de plus en plus de femmes qui surfent très bien et qui ont un surf bien à elle. Ça me fait penser à une autre expression : ‘’avoir des c*lles”. Je dirais qu’à Nazaré, Maya (Gabeira) et moi, on a justement montré que l’on avait pas besoin d’en avoir pour charger.” Pour Justine, le surf ne se définit pas par le genre et ce que chacun a entre les jambes, il est d’abord fonction de l’individu, du pratiquant lui-même. “Garçon ou fille, peu importe pour moi. On a tous nos challenges personnels, des qualités et des capacités différentes. Au final, il y a autant de surf que de personne. Tous les surfs sont différents selon les individus, leurs capacités physiques, mentales, leur volonté… Ça ne sert à rien de parler de genre, car plus on met l’accent sur cette différence, plus on la grossit. Le genre ne définit pas un individu – heureusement – chacun à son style de musique, ses goûts, son caractère, le sexe n’est qu’un caractéristique parmis tant d’autres, auquel il faut arrêter de donner autant d’importance.” affirme la surfeuse. 

Justine Dupont sur une vague gigantesque à Nazaré au Portugal pendant l’hiver 2020.


Si le surf reflète encore certains écarts présents dans la société, ils retransmet tout aussi bien les évolutions positives. Au fil des années, le surf féminin acquiert une vraie légitimité sur les spots, son niveau est de plus en plus reconnu et son image de moins en moins sexualisée. Les mentalités qui refuse de voir l’évolution continueront de différencier les surfeurs des surfeuses. Mais la nouvelle vague déferle déjà, celle où le surfeur est un individu, non confiné à un genre. “Quand on regarde en arrière, on voit que les femmes gagnent du pouvoir, elles en grapillent petit à petit. C’est un long processus mais ça bouge” conclut avec optimisme Anne-Sophie Sayeu.

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