Transition : La nature est-elle aussi innocente que certains aimeraient le croire ?
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Transition : La nature est-elle aussi innocente que certains aimeraient le croire ?
Après une remise en question aussi profonde et aussi radicale de tout ce qui touche de près ou de loin au voyage et au déplacement, et de tout ce qui en découle aussi bien techniquement et technologiquement que sociologiquement et économiquement, surtout dans leurs développements de ces deux derniers siècles, la seule conclusion qui semblerait devoir s'imposer serait : "Machine arrière toute, tout le monde rentre dans sa "casa", et "Chacun Chez Soi" sera le slogan qui gouvernera toute civilisation humaine et toute relation internationale pour les siècles et les millénaires à venir - du moins si nous voulons sauver ce que nous avons encore avant que tout s'écroule et disparaisse, et nous avec".
Et pourtant, à y regarder de plus près...
D'abord, si l'humanité avait dû s'arrêter aux inconvénients de ses inventions pour les supprimer et renoncer à ses rêves, le train, à l'origine si polluant, n'aurait jamais survécu au dix-neuvième siècle - pour ne parler que de lui. En fait, elle aurait directement renoncé au moteur, pour se déplacer ou pour faire quoi que ce soit d'autre, rien qu'avec l'expérience de la pollution engendrée par le moteur à vapeur.
L'a-t-elle fait ? Non, il n'en a rien été. Au contraire, elle a jalousement gardé son précieux moteur. Elle a préféré travailler à en améliorer la technologie pour le rendre moins polluant, voire plus polluant du tout. Les moteurs électriques d'aujourd'hui, que ce soit pour les véhicules ou pour l'électroménager, n'ont plus rien à voir avec les moteurs à vapeur d'antan - qui, s'ils fonctionnaient bien à la vapeur, donc à l'eau, avaient tout de même besoin d'une autre source d'énergie pour chauffer l'eau et ainsi produire cette vapeur qui les faisait fonctionner.
Si je détaille ainsi le processus de fonctionnement du moteur à vapeur, comme pour lever une ambiguïté dans les termes "moteur à vapeur" (donc a priori "non polluant" pour les non-initiés) qui n'existe plus depuis longtemps, c'est justement pour souligner que ce qu'il y a de traître avec le moteur, c'est que la pollution n'est pas là où on l'attend. Elle n'est pas dans la vapeur d'eau qui fait fonctionner le moteur, mais dans le fait qu'il faut chauffer l'eau pour obtenir la vapeur, donc dans la source d'énergie qu'il faut utiliser pour chauffer l'eau (et qui, du temps des premières locomotives, était le charbon). Si les moteurs électriques de nos appareils électroménagers ne polluent pas - ou n'ont pas l'air de polluer... - c'est parce qu'ils sont reliés par des câbles au réseau électrique qui alimente nos maisons et qui, souvent, fonctionne à l'hydro-électricité. Encore dans ce cas-ci faudrait-il prendre en compte tout le bouleversement écologique, économique et social nécessaire à la construction d'un barrage, et aussi toute l'énergie thermique nécessaire à sa construction... Sans parler du fait que le réseau n'est pas exclusivement alimenté par l'hydro-électricité, mais qu'il l'est également par d'autres sources bien plus controversées, le gaz par exemple, ou encore... l'énergie nucléaire. Et dès qu'un moteur électrique fonctionne sur piles, il faut prendre en compte l'extraction des métaux nécessaires à sa fabrication... et ainsi de suite. En fait, à strictement parler, si l'on veut être écologiste jusqu'au bout, jusqu'à tous les extrêmes où ce raisonnement peut nous amener, nous sommes bien obligés de reconnaître que "l'énergie non polluante" est une vaste illusion et que si nous croyons naïvement qu'une source d'énergie donnée ne génère pas de pollution, c'est tout simplement parce que la pollution qu'elle génère, nous ne la voyons pas. Alors, comme nous ne la voyons pas, nous croyons qu'elle n'existe pas. Et si nous ne la voyons pas, c'est parce qu'elle se fait loin de nous. "Loin des yeux, loin du cœur", dit-on - et loin aussi du cerveau. En tout cas loin des pensées. En fait, nous ne nous posons pas de questions et nous tenons notre environnement immédiat pour acquis sans réfléchir plus avant. Nous ne faisons pas forcément le lien dans nos têtes entre les fumées des hautes cheminées des centrales à charbon, les formidables constructions et les non moins formidables lacs des barrages, les énormes gazoducs souterrains ou sous-marins, les méthaniers construits dans les ports, les débats sur la fracturation hydraulique des sables bitumineux, les vapeurs qui s'échappent des tours de refroidissement des centrales nucléaires ou le bruit du vent à proximité des champs de nos immenses éoliennes, et l'électricité que nous consommons tous les jours rien qu'en actionnant un interrupteur. Nous faisons peut-être un peu mieux le lien avec les cellules photovoltaïques noires de nos panneaux solaires parce qu'en général, nous faisons installer les nôtres chez nous sur notre propre toit. Mais toute production d'énergie génère de la pollution.
D'ailleurs, à bien y regarder de plus près, la nature elle-même pollue, et pas seulement parce que certaines espèces animales, les castors par exemple, construisent elles aussi des barrages, donc modifient en profondeur leur environnement à leur propre niveau - même si a priori elles ne le font pas pour produire de l'énergie, ou alors tout au plus une énergie mécanique. Et même l'énergie mécanique use les pièces qui en produisent.
Mais la pollution naturelle ne se limite pas à ça. La vie a besoin d'énergie pour subsister, la vie a besoin de transformer des matières en énergie pour maintenir ses processus biochimiques. Les matières qu'elle transforme, elle les trouve et les transforme en se nourrissant... du vivant. Et en transformant sa nourriture en énergie pour se maintenir et faire fonctionner les êtres qu'elle anime, elle produit des déchets. En fait, tout au long de ses cycles, la nature ne fait rien d'autre que recycler des déchets. Les excréments des uns sont les aliments des autres. Telle est sa brutale réalité - peut-être pas très jolie à contempler, pas aussi angélique que nous le pensions peut-être... mais c'est bien ainsi, et pas autrement, que la nature fonctionne.
Alors, si c'est ainsi que la nature fonctionne, faut-il décréter désormais que le vivant en tant que tel ne mérite pas d'être sauvé de quoi que ce soit puisque de toute façon, il se perd déjà lui-même au départ, et qu'il vaut mieux renoncer à tout progrès technique et à toute civilisation parce qu'ils ne feront jamais qu'aggraver encore les choses, qu'ils ne pourront fatalement rien faire d'autre que polluer et qu'au point où nous en sommes avec ce raisonnement, la seule chose que nous puissions faire à notre petit niveau d'homo sapiens est de limiter les dégâts et de ne pas rendre les choses encore plus graves qu'elles le sont déjà de par la nature elle-même ?
Ou bien faut-il se dire que de toute façon, foutu pour foutu... autant l'être en s'en tirant dans l'immédiat au mieux de ses propres intérêts, et "après soi le déluge" comme on dit ?
On voit bien à quelles impasses peut mener un tel raisonnement.
Il est donc nécessaire d'abandonner une vision puritaine et angéliste de l'écologie. "Qui fait l'ange fait la bête". C'est une vision qui ne correspond pas à la réalité de cette nature que l'écologisme prétend défendre.
Mais ce que nous pouvons, et devons, faire, c'est prendre exemple sur la nature pour ce qui est du recyclage des déchets et de la pollution. Avec ses milliards d'années d'existence, et d'expérience, la nature a peut-être quelque chose à nous apprendre...
Et cela, diront les plus réalistes, on y travaille. Même si l'on est encore loin d'être arrivés au bout de nos peines en la matière...
Mais il faut effectivement reconnaître que si tout le vivant, et toute la nature en général d'ailleurs, même minérale, même inanimée, pollue, l'homo sapiens a tout de même commis quelques excès notables et, enivré de ce qu'il a cru être son enrichissement, a cru pouvoir oublier les toutes premières leçons que la pauvreté lui avait apprises : celles du recyclage et de la conservation des ressources...
Seulement, faut-il pour autant abandonner toute maîtrise de l'énergie et, partant, tout progrès technique et toute civilisation ?
Ce que l'on peut dire avec certitude, c'est que nous n'y sommes pas prêts. Et pas uniquement parce que nous n'en avons pas envie.
C'est vrai que nous n'avons pas la moindre envie de renoncer au confort et à la facilité que procurent progrès technique et civilisation. Qui choisirait l'inconfort contre le confort ? Qui choisirait la difficulté contre la facilité ?
Qui est prêt à recommencer à faire des kilomètres à pied tous les jours, aller et retour, sur des chemins forestiers ou campagnards, ou sur les routes de nos villes éventuellement rendues à la terre battue, pour se rendre là où il veut ou doit aller ? Une grande partie de l'Afrique, une partie encore importante de l'Asie ou de l'Amérique du Centre et du Sud le font encore. Mais en Europe ? En Amérique du Nord (à part peut-être les Amérindiens - ceux qui vivent dans des réserves pour garder leurs traditions et leur mode de vie - et encore) ? En Australie (à part peut-être les Aborigènes, et encore ) ? En Nouvelle-Zélande (à part peut-être les Maoris, et encore) ? Ne parlons même pas du reste de l'Océanie qui consiste en chapelets d'îles de relativement faible étendue où les déplacements, il est vrai, constituent un problème moins grave du fait de leur (relativement) faible étendue (et encore...).
Qui est encore prêt à porter des charges lourdes à bout de bras, sur son dos, sur sa tête, ou à les tracter en caddy ou en charrette, lui-même, par quelqu'un d'autre ou par un animal de trait, ou directement à dos d'animal de bât, sur des kilomètres voire des dizaines de kilomètres (à part les exceptions citées plus haut et aussi les sherpas de l'Himalaya) ?
Qui est encore prêt à faire tout cela pour aller chercher de l'eau ? de la nourriture ? du combustible de chauffage ? des vêtements, des meubles, des matériaux de construction ? Ou pire encore, pour éliminer des déchets ? organiques ou autres ? Ou alors à subir les maladies liées à l'extrême proximité de décharges souvent mal protégées et mal isolées par ignorance (parce qu'on ignore l'existence du risque, purement et simplement), par inconscience (parce qu'on le minimise et qu'on se croit "assez peu douillet pour être capable de supporter quelques inconvénients"), par paresse (parce que c'est trop compliqué ou trop fastidieux et qu'on cède à la facilité) ou par négligence (parce qu'on préfère consacrer ses ressources à d'autres priorités) ? (toujours mis à part les exceptions déjà mentionnées plus haut ?)
Qui est encore prêt à chauffer (et à attendre qu'elles soient prêtes !) puis à transporter de grandes bassines d'eau (bien lourdes, au risque de s'ébouillanter) pour le bain, la lessive, le nettoyage ou même la cuisine, plutôt que d'avoir de l'eau chaude à la demande au robinet ? (encore mis à part les mêmes exceptions ?)
Qui est prêt à recommencer à cultiver ses propres légumes et à élever ses propres animaux pour se nourrir ? et tant qu'à faire, pour se déplacer sur de longues distances ou pour transporter des charges lourdes ? au lieu de se fournir au supermarché et de prendre sa propre voiture ? (une fois de plus, mis à part les mêmes exceptions ?)
Qui est prêt à renoncer à avoir des informations sur le monde ou des nouvelles de ses proches par téléphone, par ordinateur, par Internet ? (et ici, les exceptions se réduisent drastiquement dans le monde...)
Qui est prêt à renoncer à tout cela ? Les mêmes exceptions mises à part (probablement parce qu'elles y sont aussi moins exposées), qui est prêt à recommencer à vivre comme nos ancêtres et à mener la vie d'antan ?
Personne ? Peut-être pas. Le mouvement survivaliste (ou "prévoyant" comme ils préfèrent souvent se faire appeler) prouve qu'il existe bel et bien des gens qui sont prêts à le faire, et pour diverses raisons (la principale étant que beaucoup sont persuadés qu'arrivera inéluctablement un jour un événement perturbateur à très grande échelle qui remettra en cause la civilisation telle que nous la connaissons à présent, et qu'il faut être préparé à y faire face le jour où il se produira - mais ce n'est pas la conviction de tous ceux qui adoptent ce genre de vie : beaucoup d'entre eux veulent simplement se reconnecter à la nature et adopter un mode de vie moins stressant, plus apaisant, plus satisfaisant aussi et plus en phase avec les rythmes naturels). Mais pas grand monde, à coup sûr. Soyons francs : si la plupart d'entre nous devaient jamais le faire un jour, ce serait bien malgré eux, contraints et forcés par les circonstances. Des circonstances extérieures qu'ils n'auraient jamais voulues, jamais souhaitées non plus, qui les enquiquineraient au plus profond et auxquelles ils chercheraient à échapper par n'importe quel moyen et à n'importe quel prix... en râlant toute leur colère et tout leur regret du bon vieux temps où c'était si simple et si facile de mettre du carburant dans sa voiture pour aller se fournir au supermarché... (et reconnaissons que dans nos pays d'abondance à tout le moins, la plupart des gens, en cas d'événement perturbateur majeur, seraient tout perdus et ne sauraient absolument pas comment gérer la situation... parce que tant de savoirs anciens se sont perdus pour la plupart des gens avec le confort moderne...)
Mais il n'y a pas que ces considérations-là qui nous retiennent de le faire.
Pour faire court : ce n'est pas dans notre nature.
Ce n'est pas dans la nature de l'homo sapiens de se contenter de ce que la nature lui réserve et de faire simplement avec.
D'ailleurs, tout bien réfléchi, ce n'est pas vraiment dans la nature du reste du vivant non plus. Les oiseaux se construisent des nids, les lapins des terriers, les castors des barrages, les abeilles des ruches, les fourmis des fourmilières et les termites des termitières. Rien de tout cela n'existe tel quel à l'état naturel. Ce sont les animaux concernés eux-mêmes qui se les construisent, de la même manière que l'homo sapiens se construit des maisons. D'ailleurs nos ancêtres du paléolithique étaient probablement les plus écolos de tout le vivant puisqu'ils ne se construisaient même pas d'habitations bien à eux mais qu'ils se contentaient d'habiter grottes et cavernes : des anfractuosités de la roche qui leur préexistaient depuis déjà des millions d'années, et la première chose qu'ils y ont faite, à part y brûler un peu de bois mort pour se chauffer et pour repousser ours et tigres à dents de sabre, a été simplement d'y peindre les murs (avec des représentations des animaux qu'ils chassaient ou avec les empreintes de leurs propres mains).
Et même si l'on regarde au-delà du vivant pour y inclure l'inanimé, à savoir le minéral : c'est tout aussi peu dans sa nature que de se contenter d'être ce qu'il est et d'avoir ce qu'il a, puisque les volcans entrent en éruption et que les continents dérivent ! Or ne sont-ce pas là des phénomènes qui modifient l'environnement dans lequel ils se produisent ? Profondément, même ?
La nature est donc loin d'être "pure et innocente" à ce niveau-là.
Et cela a de quoi remettre en question toute une partie de la contestation liée à l'action spécifiquement humaine...
Crédit image : © Ralf Greiner - Fotocommunity.de
Bruno Druille il y a 6 jours
Monsieur Panodyssey, pourquoi signaler un temps de lecture de 12 minutes. Je m'apprêtais à y consacrer tout ce temps, j'en ai mis 3 fois moins. J'imagine que d'autres lecteurs pourraient décider de ne pas lire un texte aussi long (12 min) alors qu'en 3 minutes ils seraient ravis de cette lecture.
Bravo Jackie.
Jackie H il y a 5 jours
Merci Bruno 🙏🏻
Cedric Simon il y a 7 jours
Cet article aborde, avec vérité et intensité, tellement de points...
L'être humain n'a survécu que grâce à l'utilisation massive de ses capacités de modification de son environnement. Dont les disparitions d'espèces, tout au long de son histoire.
Jackie H il y a 6 jours
Leur réintroduction parfois aussi (voir le cheval de Przewalsky, certains travaillent aussi à la "résurrection" et à la réintroduction du tigre de Tasmanie, du mammouth laineux et du dodo, à en croire ce lien
(modifié)https://www.linternaute.com/actualite/magazine/6506961-article/
Attention toutefois à ne pas jouer les apprentis sorciers en la matière 😯 : j'ai vu passer des articles sur la reconstitution d'anciens virus... "Jurassic Park" ne serait donc pas tout à fait de la science-fiction après tout... faisons quand même attention à ce que nous faisons 😯. Même introduire une espèce pour en limiter voire en éradiquer une autre peut être un échec
https://www.jeuxvideo.com/news/1935327/le-japon-a-envoye-sur-une-ile-la-mauvaise-creature-pour-eradiquer-les-serpents-le-desastre-etait-si-grand-qu-il-a-fallu-un-demi-siecle-pour-le-corriger.htm
Cedric Simon il y a 6 jours
En effet, l'introduction d'espèces est toujours dangereuse car hors équilibre de son écosystème d'origine.
Le premier exemple est celui de "l'introduction" de l'Homme... 🤪
Et, comme vous l'écrivez si justement, celles pour lutter contre d'autres est encore pire. On en a vu les exemples. En particulier en Australie.
Bonne journée.