Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. III : Et puis vint "la crise"... - Sqc .b : Le retour aux sources ?
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 10 : La migration - Sct. III : Et puis vint "la crise"... - Sqc .b : Le retour aux sources ?
Quoi qu'il en soit, si toutes ces restrictions dérangent profondément les populations des pays d'origine, par contre, au fond, elles arrangent bien les pays d'origine en tant que tels. En tant que pays.
Les pays d'origine et leur diaspora
Car si, en effet - remontons à nouveau un peu dans l'Histoire - ils ont commencé par se débarrasser chez plus riche qu'eux du problème de leurs pauvres, ils se sont aperçus par la suite, avec la façon dont les choses ont évolué - et qui ne s'est pas du tout passée comme tout le monde s'y attendait au départ - que cela ne s'était pas traduit à terme en rentrées supplémentaires pour le pays ni en stabilisation de la condition de leurs citoyens au pays, mais que cela s'était traduit en fuite des bras, par la suite en fuite des cerveaux, en hémorragie de population, et aussi en dégradation de l'image du pays à l'étranger due à la mauvaise réputation d'une diaspora pauvre, peu qualifiée et soupçonnée de s'adonner à la délinquance pour survivre. Et aussi, à terme, en détachement émotionnel de la population émigrée - ou tout au moins de sa descendance - de son pays d'origine. Et à vrai dire, rien de tout cela n'était vraiment le but de l'opération. Les pays d'origine ont commencé à se rendre compte que si les citoyens individuels pouvaient trouver à y gagner, eux, en tant que pays, avaient plus à y perdre qu'à y gagner avec l'émigration. Le nombre de sa population a toujours été l'une des mesures de la puissance d'un pays. Et perdre des habitants, perdre des citoyens, c'était aussi perdre des ressources pour le développement du pays. Il devenait donc important de rectifier le tir.
Le but ultime du pays d'origine est bien de faire revenir sa diaspora au pays et de lui faire mettre ses ressources financières, matérielles, intellectuelles, manuelles, humaines et ses compétences diverses apprises à l'étranger au service de son pays d'origine.
C'est une entreprise qui est appelée à prendre du temps et à se faire dans la durée. Mais quelle que soit la façon dont ce pays compte s'y prendre, tout doit commencer par le rétablissement, ou même par la création, d'un lien émotionnel fort entre la diaspora et le pays d'origine - ou des origines.
Si la génération qui a émigré conserve encore ce lien et a parfois encore toujours le mal du pays (rares sont ceux parmi eux qui ont vécu une émigration conflictuelle), pour les générations suivantes qui ont fait souche sur place dans le pays d'accueil, les choses sont moins évidentes. Les enfants gardent certes un lien avec le pays d'origine de leurs parents du fait d'entendre ces derniers parler leur langue maternelle et de rentrer en été au pays d'origine pour voir leur famille restée là-bas, mais en dehors de cela, soit ils sont nés au pays d'accueil, soit ils y sont arrivés en tellement bas âge qu'ils n'ont gardé que peu ou pas du tout de souvenirs personnels de leur pays de naissance. Ils parlent la langue du pays d'accueil, avec l'accent du pays d'accueil, ils ont les expressions typiques du pays d'accueil que parfois leurs parents ne connaissent même pas, ils sont scolarisés dans le pays d'accueil, selon le système d'études en vigueur dans le pays d'accueil qui n'est pas celui en vigueur dans leur pays d'origine auquel leurs parents et leur famille se réfèrent, leurs amis habitent et vivent au pays d'accueil et ont parfois même la nationalité du pays d'accueil, ils sont imprégnés de la culture et des valeurs du pays d'accueil, leurs rêves et leurs projets d'avenir sont au pays d'accueil, et dans ce contexte-là, le pays d'origine de leurs parents risque très vite d'être relégué au rang de composante d'arrière-plan et plutôt exotique de leur identité. Pour peu qu'ils se marient en dehors de leurs origines, que ce soit avec des autochtones de leur pays d'accueil ou avec des descendants de migrants d'autres origines, ou même encore d'autres étrangers rencontrés ailleurs, l'éloignement de la génération des petits-enfants - puis des suivantes - par rapport à ses origines risque d'être encore pire.
Si le pays d'origine ne veut pas risquer de perdre définitivement toute la descendance, il est important de faire quelque chose. Et cela, certains pays d'origine (l'Italie ou le Maroc par exemple) l'ont très vite compris. Le pays d'origine ne pourra pas compter uniquement sur les parents, sur les vacances d'été et sur la famille restée au pays pour créer l'attachement. Certes, ce sont là des éléments importants, voire essentiels. Certains pays d'origine font tout pour encourager ce retour au pays en été - en s'appuyant certes sur l'attachement familial naturel de leurs émigrés, et aussi sur leur fibre patriotique et sur leur nostalgie de la terre natale, mais aussi en affichant publiquement leur attachement à leurs "résidants à l'étranger" pendant toute la saison d'été. Ce dont ces pays profitent d'ailleurs, et pas uniquement au titre du tourisme : tous ont certes une monnaie nationale - tous les pays en ont une, même si la même peut avoir cours dans plusieurs pays qui tentent de se regrouper avec plus ou moins de bonheur (l'euro... ) - mais toute monnaie nationale n'est pas une devise, c'est-à-dire une monnaie échangeable à l'étranger sur le marché des changes. Quand une monnaie nationale n'est pas une devise, elle ne peut être obtenue qu'à l'intérieur du pays. Avec ça, lors du retour annuel de ses "résidants à l'étranger", le pays concerné peut capter une quantité impressionnante de devises - certains citent même cela comme une de ses importantes sources de richesse - et une source de richesse à laquelle on ne penserait pas de prime abord. Donc oui, le retour des parents pendant les vacances d'été et la famille restée au pays sont des facteurs importants d'attachement, dans lesquels le pays d'origine en tant que tel, au-delà de sa population, trouve un intérêt qui n'est pas que sentimental. Mais à eux tout seuls, ils ne sont pas suffisants pour faire le poids face à tout le reste pour les jeunes générations au point d'induire dans le futur un éventuel retour. Il faut plus.
C'est à ce niveau-là, et dans ce but-là, que se situe toute l'action culturelle du pays d'origine vis-à-vis de sa diaspora. Car si auprès de la première génération d'émigrés, une telle action n'a pas vraiment d'utilité et est même plutôt superflue, c'est auprès des générations suivantes que l'action culturelle prend tout son sens. D'autant plus que les émigrés eux-mêmes auront plutôt tendance à insister sur tout ce qui est de nature à favoriser l'intégration de leurs enfants dans le pays d'accueil.
Alors le pays d'origine va entreprendre tout un programme d'actions de sensibilisation culturelle qui commenceront bien évidemment par la base, c'est-à-dire par des cours de langue (combien d'enfants d'émigrés parlent couramment la langue de leurs parents ? on serait surpris de savoir combien il y en a peu), pour continuer par des émissions culturelles ciblées d'informations et de variétés à la radio, à la télé, et maintenant sur Internet, histoire de garder un contact médiatique avec la mère-patrie, puis par tout un travail en associations culturelles pour organiser des spectacles, des événements dans les ambassades et les consulats, des cours axés sur les différents aspects du pays d'origine et de sa culture en passant par sa géographie, son histoire, ses régions, son folklore, sa cuisine, sa mode, ses fêtes, ses traditions vestimentaires, son architecture, son art, sa littérature, sa pensée - pour tous ceux (et toutes celles) que ça intéresse... Si l'on vise les parents, les émigrés eux-mêmes, la première génération, ce sera pour entretenir la flamme du patriotisme et de l'attachement au pays : photo du chef de l'État pour l'afficher chez soi, discours décourageant les mariages mixtes, encouragements à transmettre la langue et les valeurs du pays d'origine, incitation à voter à l'ambassade aux échéances électorales du pays d'origine...
Et il ne faut pas s'y tromper : c'est un travail de fond, certes, mais il est redoutablement efficace. Je me souviens avoir entendu dans les années 1970 le témoignage d'un jeune homme d'origine italienne qui vivait en Belgique. Je ne sais pas s'il était naturalisé ou pas, mais toujours est-il qu'il avait été exposé au travail d'une de ces associations. Il en disait ceci : "sans le travail de cette association, je me sentirais plus Belge qu'Italien, tandis qu'avec le travail de cette association [grâce à lui ou à cause de lui, tout dépend du point de vue], je me sens encore plus Italien". Et au fond, c'est bien ça le but : amener les descendants d'émigrés à être fiers de leurs parents, certes, mais au-delà d'eux, à être aussi fiers de leurs ancêtres, fiers de leurs origines, fiers de leur héritage, fiers de ce qu'ils sont, et en définitive, fiers du pays de leurs ancêtres émigrés. Et, peut-être, si le pays d'accueil devait cesser à un moment donné d'être aussi accueillant, et si le pays d'origine à ce moment-là devait aller mieux économiquement, à être disposés éventuellement à retourner dans ce pays dont leurs ancêtres ont émigré à un moment donné de leur histoire (plutôt que d'aller encore tenter leur chance dans un quelconque pays tiers on ne sait où et de diluer encore un peu plus leur identité). Ou en tout cas assez attachés à ce pays pour être un jour ouverts à la possibilité de le faire. Prêts à l'envisager comme une éventualité. Comme un possible. Prêts à refaire le chemin en sens inverse et à accomplir un cycle de la grande Histoire - avec un grand H.
Et dans certains cas, cela a fonctionné. Je me souviens de jeunes couples italiens vendant leur maison en Belgique à la fin des années 1970 ou au début des années 1980 pour "rentrer en Italie pour toujours" - et beaucoup d'expatriés italiens sont rentrés en Italie quand l'économie a commencé à y aller mieux. Je me souviens de caravanes entières de jeunes Polonais rentrant en Pologne en voiture avec armes et bagages en 1980 à l'époque de Solidarnosč.
La position des pays d'accueil
Évidemment, comme on peut s'en douter, les pays d'accueil ne voient pas forcément ce genre d'action culturelle d'un très bon œil. Pas qu'ils aient forcément quoi que ce soit contre le fait de s'intéresser à l'Histoire, à la géographie, à l'art, au folklore ou à d'autres cultures, et pas qu'ils soient opposés en tant que telles aux cultures de leurs populations immigrées ni à ce que les populations en question s'intéressent à celles de leurs origines et veuillent se reconnecter à leurs racines. Là n'est pas la question. Mais ce qu'elles voient d'un œil beaucoup moins favorable, c'est que les pays d'origine en tant que tels, en tant que pays, profitent de cet intérêt bien légitime au demeurant pour interférer dans un processus d'intégration culturelle et sociétale qui, déjà sans ça, ne se passe pas sans mal. Les pays d'accueil ne sont pas dupes de ce que recouvre une telle action culturelle ni de ce que sont ses véritables objectifs quand ce sont les pays d'origine en tant que tels qui sont derrière, et ils craignent de les voir profiter de populations parfois fragilisées ou mal intégrées pour semer une forme de zizanie dans le pays d'accueil. Et s'ils n'ont rien contre le fait qu'un immigré, quelles que soient ses origines, européennes, asiatiques, africaines, arabes, américaines du nord ou du sud, ou même océaniennes, ait envie de se reconnecter à ses racines et même s'ils doivent bien reconnaître qu'il s'agit là d'un processus plutôt sain, ils disent aussi que si un immigré choisit de faire sa vie dans un pays d'accueil et de s'y intégrer, il doit savoir aussi où est sa loyauté. Donc à ce niveau-là, de la part du pays d'accueil, il y a une bonne part de méfiance par rapport à ce désir de se reconnecter à ses racines - un désir pourtant tout ce qu'il y a de plus sain à la base puisque pour savoir où l'on est, et pour savoir où l'on va, et aussi où l'on veut aller, il faut savoir d'où l'on vient.
La perspective du grand retour aux sources
Le pire de tout, c'est que le grand retour, si jamais il devait se passer, ne se ferait pas forcément sans mal. Pourquoi ? Pour la bonne et simple raison qu'un pays, ça évolue avec le temps, et que si un émigré veut y retourner définitivement pour une raison ou l'autre, il ne le retrouvera pas forcément tel qu'il l'a laissé quand il est parti. Ensuite parce que pays d'origine et pays d'accueil évoluent tous les deux avec le temps, qu'ils ne restent pas figés dans le marbre - mais qu'ils n'évoluent pas forcément dans la même direction. Et aussi parce que du fait même de vivre ailleurs, un individu est soumis à d'autres influences et évolue, et qu'il ne supportera plus toujours sans broncher certains aspects du système de son pays d'origine s'il en est resté éloigné trop longtemps alors que du temps où il y vivait, il s'en accommodait sans trop de problèmes.
Certes, la perspective du grand retour aux sources peut paraître tentante pour ceux parmi les immigrés qui se sentent mal acceptés, mal intégrés, voire carrément rejetés, dans ce qui était censé être leur pays d'accueil. Mais il ne faut pas s'y tromper : la déception risque d'être du même ordre que celle qui fut la leur quand ils ont émigré dans ce pays étranger dont ils s'étaient fait tout un rêve, pour se retrouver ensuite confrontés à sa réalité. Le pays d'origine qu'ils retrouveront sera souvent bien éloigné de celui qu'ils ont quitté, et plus souvent qu'on le pense, ils ne le reconnaîtront plus. Et cela peut parfois aller très vite, surtout à une époque comme la nôtre qui est un temps de changement perpétuel. Ils risquent d'avoir autant de mal avec la population de leur pays d'origine qu'avec celle de ce qui était censé être leur pays d'accueil - peut-être même plus.
Crédit image : © coffeekai/ GettyImages