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Chapitre IX - Deuxième Partie

Chapitre IX - Deuxième Partie

Publié le 21 sept. 2024 Mis à jour le 21 sept. 2024 Science fiction
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Chapitre IX - Deuxième Partie

   Les soldats casqués, alertés par le son de sa toux amplifiée par l'écho, se précipitèrent vers le refuge des deux frères. Se penchant sur l'entrée du tunnel, un des deux hommes scruta les ténèbres qui y régnaient.

 - Qui va là ? hurla-t-il.

   Mais la seule réponse qu'il obtint fut celle de l'écho de sa voix, immédiatement suivie par un profond silence. Interrogeant son collègue du regard, il finit par sortir une lampe torche afin d'éclairer l'intérieur du tuyau de béton. À peine le faisceau de vive lumière jaillit de la torche que le soldat vit surgir un adolescent au visage dissimulé par une capuche.

   Krys le percuta de plein fouet et le renversa. Puis, profitant de l'effet de surprise qui tétanisait le second soldat, il lui faucha les jambes afin de le faire tomber à son tour. Aussitôt, Kaleb suivi de Silver sortirent du tuyau et coururent dans les pas de l'adolescent qui s'éloignait.

   Quand les deux soldats se ressaisirent, les fugitifs étaient déjà loin, alors, ils donnèrent l'alerte. Le son d'une alarme emplit bientôt l'air et l’adolescent qui voyait du coin de l’œil un flot de régulateurs se déverser des bâtiments environnants, sentit son cœur se serrer.

   Attrapant son petit frère par le bras, il l’entraîna à sa suite dans le dédale de marchandises entreposées. Le Borgne qui courait aux côtés du petit infirme l'encourageait à avancer tandis que Krys le tirait derrière lui. Le petit garçon qui faisait de son mieux pour courir dans les pas du grand adolescent avait du mal à imiter - avec ses jambes torses - ces grandes foulées. En effet, après de longues secondes de course effrénée, il finit par ralentir malgré lui.

   Krys qui, à travers la pluie battante, entrevoyait les régulateurs qui les rattrapaient inexorablement, savait que son petit frère à bout de force, n'allait pas tenir très longtemps. Autour d'eux, l'étau se resserrait et il avait l'impression que l'envoûtante lueur de la proche liberté était en train de vaciller. Bientôt, les soldats casqués les encerclèrent et les forcèrent à s'arrêter. Mettant son petit frère derrière lui, l'orphelin fit face aux lignes adverses et, les défiant de son regard noir, il les invita à s'avancer.

   Malgré la capuche qui dissimulait ses traits, une voix familière s'éleva des rangs des régulateurs, dominant le vacarme de la pluie battante.

 - Eh mais je le reconnais ! C'est le gamin qui nous a fait perdre la trace de la jeune commerçante !
 - Qu'est-ce qu'il fiche ici ?! Et puis, comment il a fait pour franchir le grillage ? 
 - Aucune idée ! Mais, cette fois-ci, on ne va pas le laisser nous échapper...

   Une fois ces mots lancés, les soldats sans visage resserrèrent leurs rangs, scellant le piège dans lequel les deux frères étaient. Krys, acculé, ne voyait plus aucun espoir et il sentait monter en lui une rage dévorante qui rugissait contre son impuissance. Son corbeau, éternellement perché sur son épaule, se mit à croasser lugubrement et l'adolescent voyait son avenir incertain devenir aussi sombre que son plumage ténébreux.

   Pourtant, quand le Borgne se mit à grogner, il sentit une flamme raviver son cœur. Baissant les yeux sur l'énorme chef de meute qui, le poil hérissé et les crocs dénudés, menaçait les régulateurs, il comprit que tout n'était pas encore terminé. Alors serrant les poings, il fléchit les genoux et attendit résolument l'assaut des soldats casqués. À cette vue saugrenue, les hommes sans visage se mirent à rire et, continuant d'avancer, ils s'approchèrent de l'adolescent et de l'énorme chien.

   La pluie tombait toujours aussi fort, transformant en boue la terre à leurs pieds. Les bottes des régulateurs qui s'y enfonçaient, ressortaient péniblement avec des bruits de succion et ils pataugeaient laborieusement dans cette fange qui leur grimpait jusqu'aux genoux. Quand ils furent à quelques pas d'eux, Silver qui les avait longtemps jaugé de son unique œil, s'élança le premier.

   Il bondit sur le premier soldat à sa portée et fit claquer ses puissantes mâchoires. Ses crocs acérés déchirèrent l'uniforme et s'enfoncèrent dans l’avant bras de l’infortuné, faisant jaillir un sang vermeil qui lui tâcha le museau. Se rejetant en arrière, l'homme hurla de douleur et ses collègues, qui voulaient l'aider, se tournèrent d'un même mouvement vers le chien. Lâchant sa proie, le Borgne évita un coup de matraque qui aurait pu lui fendre le crâne et revint se placer aux côtés de Krys qui s'élançait à son tour.

   L’adolescent percuta de son épaule le torse d'un soldat qui perdit l'équilibre et tomba à la renverse. Puis, s'emparant de sa trique accrochée à sa ceinture, il s’en servit pour attaquer ses collègues. Ainsi aidé du chef de meute, il réussit à clairsemer les rangs des régulateurs qui ne parvenaient pas à l'atteindre. Les soldats, désemparés par cet adolescent qui agissait comme le molosse à ses côtés, avaient du mal à repousser les assauts simultanés de ces deux bêtes enragées. Krys se servait de sa matraque pour fendre les côtes des hommes sans visage et se glissait agilement entre eux pour les désarçonner.

   Lui et Silver, ainsi animés d'une même fureur bestiale, semblaient en parfaite harmonie. Si bien qu'au bout de quelques minutes, les soldats ne savaient plus trop qui grognait sourdement, qui frappait de son poing fermé ni même qui faisait claquer ses mâchoires. Pourtant, au moment où l'adolescent allait abattre sa matraque volée sur le casque d'un régulateur, la voix de Kaleb qui s'éleva dans son dos l’arrêta dans son élan et le fit se retourner.

   Le petit infirme, aux mains de deux régulateurs, se débattait faiblement tout en geignant plaintivement. Les deux hommes, penchés sur lui, tentaient en vain de l'immobiliser, mais le petit garçon donnait des coups de pieds hystériques à l'aveuglette. Au même instant, une puissante sonnerie ébranla Accalmia et la terre sous leurs pieds se mit à trembler. Toutes les tête se tournèrent d'un même mouvement vers les énormes portes de la ville qui s'ouvraient lentement, laissant pénétrer dans la cité plongée dans le noir les rayons blafards d’une aube naissante.

   Profitant de la surprise occasionnée par ce soudain évènement, Krys s'élança vers les soldats qui maintenaient son frère. Se jetant sur le plus proche, il le mordit férocement au bras, réussissant ainsi à lui faire lâcher prise. Le second régulateur relâcha à son tour le petit garçon pour brandir sa matraque. La trique allait violemment s'abattre sur l'adolescent, si le Borgne ne s’était pas jeté sur l'homme.

   Refermant ses mâchoires sur son poignet, il secoua violemment la tête, déchiquetant peu à peu le tissu de l’uniforme et la chair. Krys qui se détourna de son adversaire, jeta un bref coup d’œil sur le canidé couvert de sang, avant de prendre la main de Kaleb et de l'entraîner à sa suite. Ils s’éloignèrent de l'amas de régulateurs hébétés et se dirigèrent vers les immenses portes qui continuaient de s'ouvrir en un vacarme assourdissant.

   Quand les soldat reprirent leurs esprits, ils s'élancèrent à la poursuite des deux fugitifs en leur ordonnant de s'arrêter. Silver qui se rua à la suite des deux frères, les rattrapa en quelques foulées et se mit à courir à leurs côtés. Krys qui se sentait redevable au chef de meute posa ses yeux sur lui pour tenter de croiser son regard, mais, quand il l’aperçut, il sentit son estomac se nouer.

   L’énorme chien gris avait la fourrure tâchée de sang dont la plus grande partie provenait des profondes entailles qui lui recouvraient le corps. Une de ses oreilles avait été arrachée et sa patte avant droite semblait le faire atrocement souffrir.

   Derrière eux, les soldats sans visage qui avaient compris leur projet, hurlaient à leurs confrères de refermer les portes en urgence, mais il était déjà trop tard. Les deux frères triomphants les franchir en quelques foulées et ils pénétrèrent enfin ce monde proscrit d'au-delà des remparts qui leur avait toujours été caché.

   Krys sentit la joie faire imploser son cœur et il aspira goulûment cet air pur qu’il n’avait jamais connu. Devant lui s'étendait un immense paysage sans frontière et qui semblait courir jusqu’aux confins de la Terre. Au loin, se dessinait à l’horizon la silhouette fantomatique de la forêt dont le rideau des arbres ne semblait être qu’une ligne sombre, esquissée à travers un épais brouillard. Entre la cité et ce monde sylvestre tant rêvé, il y avait une large bande de terre nue et désolée recouverte d’un épais tapis de poussière pâle. Le ciel se teintait peu à peu d’une aurore sanguinolente qui colorait les nuages de pluie de pourpre et de rouille.

   Enivré par cette liberté qu’il avait enfin l’impression d’embrasser, Krys était empli d’une joie ineffable. Un large sourire illuminait son visage dissimulé sous sa capuche de fortune et il serrait allègrement la main de son frère qui courait en claudiquant à ses côtés. Se tournant triomphalement vers la cité qu'ils venaient de quitter, l'adolescent posa ses yeux noirs pétillant de joie sur Accalmia. Mais, au moment où il allait s'en détourner pour toujours, il s'arrêta brusquement, soucieux. Ordonnant à Kaleb de continuer à courir sans se retourner, il le laissa s'avancer.

   Le Borgne, assis sur le seuil de l’énorme porte, restait immobile. Dans son dos, Krys discernait les éclats de voix furieux des régulateurs qui se rapprochaient dangereusement. Silver plongea son unique œil dans le regard perplexe de l'adolescent, établissant un dialogue silencieux entre eux. Une connexion peu commune entre l’Homme et l’Animal.

   Krys put lire dans ce regard résigné toute la détermination et la loyauté qui animait cet être si différent de lui. Il y trouva un dévouement sans limite, comme il n’en existait plus dans ce monde altéré. Après quelques secondes d’incompréhension, l'adolescent finit par accepter la décision du chef de meute et, baissant respectueusement la tête en signe de remerciement, il lui accorda un dernier adieu. Le Borgne, qui lui répondit d'un clignement solennel de son unique œil, se remit bravement sur ses pattes. Se détournant du jeune garçon à qui il avait confié son petit protégé de toujours, il s'élança de nouveau dans l’enceinte de la cité où l’attendaient les régulateurs.

   Krys se détacha avec un pincement au cœur d'Accalmia où avait disparu le fidèle chien. Essuyant rageusement une larme qui perlait au coin de son œil, il s'élança sur les traces de son frère qui n'était plus qu'un vague silhouette chaloupant à l'horizon. Dominant le murmure de la pluie, les aboiements furieux de Silver et les cris de douleur des régulateurs – qui étaient sur le point d'atteindre les portes – lui parvinrent. La lutte dura encore de longues secondes durant lesquelles le chef de meute défendit vaillamment l'entrée de la cité, utilisant ses dernières forces pour protéger la fuite des deux frères.

   Soudain, alors que Krys, rejoignait Kaleb, il entendit une détonation déchirer l'atmosphère, rapidement suivie par un jappement plaintif. L'instant d'après, le bruit de la pluie étouffait tout autre son, et le dernier aboiement de Silver se perdait dans le néant.

   Krys sentit son cœur se serrer mais il ne pouvait pas se permettre de laisser l'émotion l'envahir. Alors, les refoulant en se promettant que ce serait la dernière fois qu'il aurait à le faire, il se concentra sur cette fuite qui devait les mener, lui et son frère, vers la paix de la liberté.

   Kaleb qui courait toujours péniblement devant lui n'était plus qu'à quelques mètres et l'adolescent, porté par ce désir impérieux de le rejoindre, accéléra sa course. L'orée de la forêt qui se dressait devant eux semblait les appeler. Les arbres, silencieux gardiens, se rapprochaient de plus en plus et l'orphelin avait l'impression qu'il n'avait qu'à tendre le bras pour les effleurer. Ce monde tant espéré était sur le point de les accueillir et il était enfin à portée de main.

   Soudain, une détonation fulgurante creva le silence et Krys sentit quelque chose lui frôler la joue en sifflant. Devant, lui, Kaleb sursauta avant de s'arrêter brusquement. Le petit infirme demeura quelques secondes comme pétrifié, fit quelques pas chancelants et, un battement de cils plus tard, s'effondra.

   À son tour, l'adolescent se figea et crut que son cœur s'arrêtait. Les yeux rivés sur le petit corps immobile de son frère, il eut l'impression que sa raison vacillait.

   Soudain, une autre détonation retentit mais Krys ne sembla pas l'entendre. Retrouvant peu à peu l'usage de ses membres, l'adolescent fit quelques pas hésitants vers l'avant, ignorant ce qui l'entourait. Coupé du monde, il n'entendait plus la pluie qui rugissait à ses oreilles et ne sentait plus l'eau acide ruisseler sur son manteau de fortune. Il ne remarqua même pas la bref brûlure qui lui irradia le flanc. Bientôt, réalisant peu à peu ce qui venait de se passer, il sentit son cœur se serrer douloureusement. Les yeux rivés sur la masse informe que formait son petit frère dans cette sorte de poussière blanchâtre, il s'élança vers lui. Mais à peine eut-il fait quelques foulées que ses jambes se dérobèrent sous lui et, entraîné par son élan, il s'étala de tout son long sur le ventre.

   Les pierres aiguisées qui jonchaient le sol lacérèrent son manteau de fortune qui se déchira, exposant à la pluie acide son corps écorché et couvert des entailles de ses récentes luttes. L'eau âcre s'y immisça sournoisement, brûlant ses plaies à vif et lui rongeant la chair. Mais l'adolescent, malgré la douleur qui le torturait tenta de se relever, fixant toujours son petit frère gisant à quelques mètres devant lui.

   Après de nombreuses tentatives infructueuses durant lesquelles il s'écorcha d’avantage, il finit par abandonner, comprenant que ses jambes ne pouvaient plus supporter son poids. Alors, rassemblant ses dernières forces, il rampa vers son frère, se frayant un chemin à travers la boue et la poussière blafarde, qu'il finit par reconnaître comme étant de la cendre. Quand enfin il atteignit Kaleb, le corps du petit infirme était tout froid. Le retournant précautionneusement, il le prit dans ses bras tremblants et tenta de le réveiller. Après de longues secondes, le petit garçon ouvrit lentement des yeux vitreux et les posa avec difficulté sur son grand frère.

 - Krys, murmura-t-il faiblement, j'ai froid.

 - Cloporte... se mit à sangloter l'orphelin qui ne contrôlait plus rien. S'il te plaît, reste avec moi !
 - Krys...j'ai mal au ventre. se lamentait-il.

   Le petit garçon, qui pressait sa main squelettique contre son estomac, avait le visage déformé par un rictus de douleur. À travers ses doigts crispés, Krys entrevit un sang vermeil qui ruisselait sur son manteau de fortune. Alors, le serrant plus fort dans ses bras, il tenta de le réchauffer.

 - Ce n'est rien cloporte. répétait-il comme pour se convaincre lui-même. Ce n'est rien, tu vas t'en sortir.

 - Krys, souffla Kaleb dont le teint livide avait la même couleur que la cendre autour d'eux, je suis si fatigué. Je voudrais me reposer un peu, avant de repartir…

 - Non colporte ! Ne t'endors pas ! Je t'en prie ! Reste avec moi...

   Le petit garçon dont le regard se perdait dans le ciel nuageux finit par lever fébrilement son bras et posa sa main glacée sur la joue noire de crasse de son grand frère.

 - Krys... est-ce qu'on pourra planter des fleurs autour de notre maison ? demanda-t-il faiblement.

   L'adolescent qui avait la voix brisée par l'émotion voulut répondre, mais aucun son ne s'échappait de sa gorge nouée. Alors, se pinçant les lèvres, il hocha lentement la tête. Le petit garçon, rassuré, esquissa un petit sourire qui effaça le rictus de souffrance qui déformait son visage. Remerciant son frère, il laissa rouler sur le côté sa tête devenue trop lourde et la posa contre le torse de l'orphelin. Puis, épuisé, son bras retomba pesamment au sol et ses paupières s'abaissèrent malgré lui. Rêvant à ce chez lui proche où il pourrait enfin vivre et oublier toutes ces années de souffrance et de misère, il ferma tranquillement les yeux, un lointain sourire aux lèvres.

   Quand Krys sentit que le frêle corps de Kaleb s'abandonnait dans ses bras, il sentit son cœur se serrer douloureusement. Secouant doucement le petit infirme, il tenta désespérément de le réveiller. Mais ses paupières blêmes demeuraient closes et la froidure de sa peau finit par s'immiscer en lui. Alors, ne pouvant plus les retenir, des larmes inondèrent ses joues boueuses, se mêlant à la pluie acide qui ruisselait sur son visage en le brûlant. De longs sanglots le secouèrent, durant lesquels il répétait douloureusement le prénom de son frère.

   Le nom de Kaleb résonnait sinistrement dans l'air lourd de pluie, finissant même par atteindre la silhouette monstrueuse d'Accalmia qui se détachait du ciel incendié par l'aurore. Les portes de la cité, demeurées béantes, s'ouvraient lamentablement sur ce monde gris et rouille d'au-delà des remparts. Sur son seuil se tenait une poignée de régulateurs immobiles, face à cette terre proscrite et désolée. L'un d'eux abaissa lentement le canon encore fumant de son fusil et se tourna vers ses collègues qu'un pesant silence avait pétrifié. Quand, après de longues secondes un homme se décida à dissiper cet épais brouillard de remord, il vint taper amicalement l'épaule du tireur.

 - Bon travail soldat.
 - Merci mon lieutenant.

   Puis, peu à peu, tous s'approchèrent des deux régulateurs et vinrent à leur tour féliciter leur camarade. Seul un homme, se balançant nerveusement sur ses jambes, resta en retrait, son visage toujours dissimulé par sa visière teintée. Après de longues secondes à observer avec dégoût ses confrères, il finit par marmonner en dévisageant ses mains gantées.

 - Qu'est qu't'as dit ? lui demanda le tireur qui semblait contrarié de ne pas voir tout le monde autour de sa personne.
 - C'est dégueulasse ce qu'on fait. répéta-t-il plus fort en relevant rageusement la tête. Faire subir ça à des gosses et après s'en vanter, c'est tout simplement dégueulasse. Moi je ne suis pas régulateur pour servir des monstres, ni pour en devenir un. Cette vie me dégoûte, cette cité me dégoûte et ces 7% aussi. Par-dessus tout, vous me dégoûtez. J'en ai assez fait, je me casse.

   Puis, retirant furieusement son casque, il le jeta aux pieds de ses frères d'armes incrédules. Redressant sa face livide, il posa dédaigneusement sur cette assemblée de misérables ses yeux gris rougis par des larmes qui ruisselaient sur sa joue profondément entaillée. Crachant à leurs pieds, il leur tourna ostensiblement le dos et s'en alla. Les soldats casqués, hébétés, le regardèrent s'éloigner sans esquisser le moindre geste pour le retenir. Mais le tireur, lui, leva rageusement son arme et mit en joue le déserteur.

 - Qu'est ce que tu fous Mark ?! l'interpela-t-il furieusement. Un pas de plus et je tire. Je te signale que tu n'as pas le...

   Posant sa main sur le canon du fusil, le lieutenant, l'abaissa calmement.

 - C'est bon, laisse le. Tu ne pourras pas le raisonner de toutes façons. Rappel toi que l'Homme est faillible, il n'est pas parfait.

   Après de longues secondes durant lesquelles le régulateur dévisagea son supérieur, il finit par ranger son fusil en maugréant. Puis, tous les soldats sans visage, qui sentaient sur eux le regard réprobateur de la Moral, se tournèrent honteux, comme un seul homme, vers le monde extérieur.
Au dehors, une bruine fine tombait toujours et ils ne voyaient qu'une silhouette incertaine se dessiner à l'horizon. Puis, cette esquisse lointaine finit par disparaitre, effacée peu à peu par les portes d'Accalmia qui se refermaient en un fracas assourdissant.

   Krys, qui serrait toujours son petit frère dans ses bras, était accablé par le désespoir. De nouveau, il ressentait la douleur familière de la solitude qui s'emparait de son cœur, le comprimant si fort qu'il ne pouvait plus le supporter. Écrasé par cette souffrance qui l'avait naguère envahi au décès de sa mère, il se sentait suffoquer. Il sentait peu à peu le froid de la pluie engourdir ses membres et ses pensées chaotiques commençaient à s'embrouiller. Les souvenirs de cette vie de souffrance assaillirent son esprit nébuleux et défilèrent devant ses yeux trempés de larmes. De nouveau, son univers volait en éclats et le monde autour de lui se mit à vaciller. Le chagrin était tel qu'il crut que son cœur allait imploser. Après de longs instants à lutter contre ce sort qui lui avait tout arraché, le néant l'enveloppa et il se sentit sombrer.

 

   Quand il rouvrit les yeux, Kaleb, le regard interrogateur, l'observait.

 - Pourquoi tu pleures Krys ? demanda-t-il innocemment.

   L'adolescent demeura durant de longues secondes figé, avant de serrer compulsivement son petit frère dans ses bras.

 - Kaleb, c'est toi ! hurla-t-il en séchant maladroitement ses larmes. Tu m'as tellement manqué !
 - Pourquoi tu dis ça ? s'étonna le petit garçon. Je ne t'ai jamais quitté.

   Krys qui avait toujours du mal à réaliser ce qui était en train de se passer, imprima ses lèvres sur les joues rosées de son frère. Le petit garçon surpris, gloussa d'un rire cristallin qui résonna dans l'aube argentée. La pluie avait cessé de tomber et les nuages se dispersaient peu à peu, dévoilant le ciel azuré où rayonnait un soleil d'or.

   Les deux frères restèrent de longs instants dans les bras l'un de l'autre avant de se lever en silence. Krys se tourna vers la forêt qui se détachait de l'horizon et qui l'appelait de sa douce voix. Il se sentait étonnement léger. Libre de toutes souffrances, comme délesté d'un poids trop lourd pour lui qu'il supportait depuis longtemps. Bercé par la promesse d'un avenir meilleur, il avait l'impression que son sombre passé était loin derrière lui et que ses sinistres souvenirs se dissipaient comme de mauvais rêves.

   À ses côtés, Kaleb qui sautillait gaiement, lui donnait la main, avançant fluidement à l'instar d'une feuille au vent. L'adolescent lui sourit avant de reporter son regard libéré de toute haine sur ce pays sylvestre qui leur tendait les bras. Les yeux rivés sur ce havre qui n'attendait plus qu'eux, coupé du temps, il ne sentait plus le monde qui l'entourait. Ni la caresse de la brise sur sa peau vaporeuse, ni le contact de la main de son frère qui pressait la sienne.

 - Au fait Krys. commença le petit garçon de sa voix fluette, le sortant de ses pensées. Tu ne m'as toujours pas dit à quoi ressemblerait ton monde parfait.
 - Mon monde parfait à moi ? s'étonna-t-il. Je sais pas trop. Ce serait sûrement un monde où tu serais heureux et où je resterai avec toi pour toujours.

 - C'est de la triche. rétorqua le petit garçon en faisant la moue. Ce monde-là existe déjà, et il est juste devant toi.

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Lorelei Haberey il y a 1 mois

Voici donc le dernier chapitre de cette nouvelle. J’espère que ce récit vous aura plu et que ce premier jet esquissé grâce à ce concours ne sera pas ennuyeux.
Merci à tous pour votre lecture et votre patience.

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