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Chapitre 5

Chapitre 5

Publié le 25 août 2024 Mis à jour le 25 août 2024 Science fiction
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Chapitre 5

Les frelons… Les putains de frelons dans cette cabane… Ils me foutent les jetons… Je sais que c’est là, mec ! Je sais que c’est là ! Je le sens. C’est pas normal qu’ils scintillent à chaque fois… Toujours de la même manière… Comme des paillettes… Ils scintillent, ces putains de frelons… Il réactive son application sur le canal « BrainDrive », cette fois, et une liste de milliers de profils apparaît, s’étalant sur plusieurs pages. Il active son filtre « Successful connexions » et la liste des avatars se raccourcit drastiquement pour afficher deux cent trente-sept profils.

Bonjour Benjamin. Voyons comment va ton subconscient, aujourd’hui… Est-ce qu’il brille, lui aussi ?

Gauvain n’explore pas uniquement ses propres rêves. Il a découvert, il y a quelques mois, qu’il pouvait utiliser le réseau BrainDrive pour pénétrer dans les rêves d’autrui.

Avant chaque cambriolage, il a suivi le même protocole : il a analysé scrupuleusement le compte de sa cible sur le réseau social BrainWave (appartenant à BrainDrive) pour avoir un peu plus de contexte sur celle-ci.

Lorsqu’un.e utilisateur.trice se connecte la nuit pour « nightworker », il.elle n’est pas éveillé.e pendant toute la session. Il.elle lance ou valide des tâches par la pensée, puis les laisse tourner et s’endort, parfois plusieurs dizaines de minutes, et l’application le.a réveille dès qu’une autre tâche attend une action de sa part. Pendant ces plages de sommeil, Gauvain hacke l’application, par un procédé technique qui ressemble au Cheval de Troie et pénètre dans le subconscient de l’utilisateur.trice.

Les propriétaires des subconscients que Gauvain cambriole ne s’en aperçoivent même pas. Tant qu’il n’y a pas d’alerte BrainDrive, ils dorment et voient Gauvain comme un énième personnage peuplant leurs rêves. Le propre d’un rêve normal - non lucide - est que le cortex frontal est majoritairement inactivé et qu’il n’y a plus de logique ou d’illogique. Tout existe, tout simplement. Gauvain existe, lui aussi, et le.a rêveur.se ne lui prête attention que s’il entre en contact direct avec lui.elle - ce qu’il fait avec parcimonie.

Gauvain est ce personnage que chacun peut croiser dans ses songes. Ce personnage étrange que vous n’avez jamais croisé dans la vie éveillée, qui n’est ni un ami d’enfance, ni un membre de votre famille, ni une personnalité connue et qui, pourtant, vous observe et vous suit dans vos rêves. Vous l’avez simplement oublié dans les minutes, si ce n’est les secondes, qui suivent votre réveil.

Il va sans dire que cette pratique est totalement illégale. BrainDrive n’apprécierait certainement pas qu’on détourne leur matériel pour hacker l’intimité de ses utilisateurs. Gauvain sait qu’il prend des risques et que ça lui vaudrait une peine très lourde s’il se faisait attraper, probablement la prison à vie. Il n’y a donc qu’une seule personne de confiance avec qui il partage ce secret : Youssou.

Hello Yasmina. Comment va ton inframonde, cette nuit ? Est-ce qu’il scintille ?

Depuis qu’il a terminé la passerelle entre son application et le réseau BrainDrive, Gauvain a ainsi exploré l’inframonde de deux cent trente-sept personnes (57% de femmes majeures, 43% d’hommes majeurs, de diverses nationalités). Il les a comptés, triés, classés par âge, par sexe, par profil, en a fait toutes les moyennes et statistiques possibles. La data, la data, la data. Gauvain ne jure que par ça.

Entrer dans le rêve de quelqu’un d’autre, ici Yasmina, est comme entrer dans une pièce de théâtre dont le rôle principal serait joué par elle, dont il n’y aurait pas de script précis, seulement des intentions connues des protagonistes, et où tous les dialogues seraient improvisés. Dans cette pièce se créant en direct, tant que le quatrième mur est intact entre les protagonistes (dont Yasmina) et l’individu infiltré (Gauvain), seul ce dernier sait qu’il est dans une pièce de théâtre. Tous les autres protagonistes jouent leur rôle, en improvisant, en changeant d’apparence, en poursuivant leur trajectoire courte et instable, sans avoir conscience de la bizarrerie de la situation. Ils évoluent dans ce décor surréaliste et exécutent des actions qui seraient jugées comme inutiles, insensées, voire complètement obscènes dans la vie éveillée, sans que cela leur pose le moindre problème.

Ce quatrième mur ne peut être brisé que d’une seule manière : si Gauvain révèle à Yasmina qu’elle est en train de rêver et que tout, autour d’elle, est imaginaire. Elle ne pourra jamais s’en rendre compte d’elle-même, car son cerveau est connecté à l’application de Gauvain qui bloque son réveil et, dans la même foulée, plafonne l’activation de son lobe frontal : donc sa lucidité.

Gauvain s’est donné comme point d’honneur à ne jamais révéler à un.e rêveur.se qu’il.elle est en train de rêver, car cela pourrait constituer un choc traumatique important pour lui.elle, entrainant très probablement des angoisses et parasomnies. En tant que rêveur lucide dans un autre subconscient, Gauvain sait qu’il vaut mieux jouer le jeu, comme tous les autres protagonistes, mais habilement pour atteindre son objectif.

À toi, Ariel. De quoi tu rêves ce soir ? Est-ce que ça brille comme les autres ?

Après plusieurs centaines d’heures d’explorations oniriques, ce qui frappe le plus Gauvain est que les gens soient intérieurement aussi surprenants, contrastés et créatifs, et pourtant souvent si ternes et banals dans leur vie éveillée. Aujourd’hui, il a l’impression de connaître intimement deux cent trente-sept personnes qui n’ont aucune idée de qui il est. Il aime cette étrangeté : le fait d’être à la fois au cœur et en marge de la société. Il a à la fois besoin d’être au centre des questionnements sociaux et politiques, et d’en être isolé, protégé, presque comme un ermite.

Ce serait un désastre si toutes ces informations intimes et secrètes, qu’il a volées, étaient détenues par n’importe qui d’autre. Mais en tant que chercheur, il s’est imposé spontanément de respecter une éthique stricte dans ses explorations clandestines ; de ne pas endommager les subconscients qu’il cambriole, même si certaines des personnalités qu’il devine sont parfois détestables, misanthropes, voire franchement malveillantes. Il s’est fait violence pour observer passivement certains subconscients clairement hostiles envers leur propre propriétaire. Il est resté neutre, simple observateur. Il n’est même pas intervenu dans certains inframondes pervertis : comme celui où un homme battait à mort quasiment systématiquement sa femme, ou encore ceux de rêveurs systématiquement incestueux ou pédophiles. Il ne juge pas les rêveurs et leurs désirs ou fantasmes refoulés, même abjects, mais reconnaît dans le caractère systématique quelque chose de pathologique.

Cette passivité lui a coûté de longues nuits, de longues semaines, de longs mois à tourner en rond pour savoir ce qu’il devait faire de tout cela. Malgré cette culpabilité, fidèle à sa déontologie autoattribuée, il n’a jamais dénoncé ces personnes dans la vraie vie pour les raisons de confidentialité et parce que rien sur leur BrainWave ne laisse penser qu’ils sont des criminels. Par ailleurs, s’il est partisan du « dis-moi ce dont tu rêves, je te dirai qui tu es » avec ses proches, il est plus mesuré quant à ces braindrivers qu’il n’a jamais rencontrés dans le monde éveillé, conscient qu’il ne peut les juger en quelques songes. Alors, il a simplement créé un filtre « Blacklist » auquel il a associé ces subconscients indésirables pour s’éviter la peine d’y replonger.

Salut Yiyi. Voyons voir si tu as des paillettes, toi aussi…

Gauvain se connecte aux quelques subconscients qu’il connaît le mieux parmi sa liste « Successfull connexions ». Pour chacun d’eux, il a amassé des informations détaillées dont : le nombre de connexions tentées, le pourcentage de connexions réussies, les phobies du rêveur et ses « nœuds oniriques » récurrents.

Les nœuds oniriques sont un élément central de ses expéditions. Après treize années de recherches, il est arrivé à la conclusion, comme des psychologues avant lui, que parmi les rêves, désordres émotionnels qui n’ont souvent pas de significations précises, il y a des rêves « vecteurs » de sens. Ces rêves vecteurs sont des tentatives du subconscient de signifier à son propriétaire, à travers un processus naturel et aléatoire de symbolisation, les problèmes majeurs qui l’entravent dans la vie réelle. Aussi, ces symboles sont des nœuds oniriques, des dilemmes cornéliens constitués des propres angoisses du rêveur.

Ces nœuds sont particulièrement visibles et spectaculaires lorsqu’ils font intervenir une phobie du rêveur. Ce sont des nœuds « borroméens » : en dénouer un, dénoue une succession d’autres ; ce sont les points névralgiques des angoisses des rêveurs : ils sont l'importance de l’expression du sensible, l’importance de dire, ou plutôt le danger de ne pas dire.

Hello Karim. Est-ce que t’as des papillons dans le ventre, toi aussi ?

Gauvain se réveille à 5 h 53, inquiet, après quelques sessions oniriques dans une sélection d’inframondes. Il doit parler de toute urgence à son meilleur ami, Youssou ; ce dernier doit arrêter immédiatement le nightworking.

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