

3.Un monde où chantaient les oiseaux
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3.Un monde où chantaient les oiseaux
Le jour où les oiseaux se sont tus
Chapitre 3: Un monde où chantaient les oiseaux
- Dis le vieux, il ressemblait à quoi le monde avant ?
- Oh tu sais, celui que j'ai connu n'était pas aussi bien que l'ancien, mais il était nettement mieux que celui d'aujourd'hui.
Assise à côté de lui sur un toit duquel ils contemplaient la ville sans visage, la fillette laissait paresseusement pendre ses jambes dans le vide. De salutaires nuages avaient couvert le ciel, laissant un peu de répit aux habitants qui pouvaient profiter de la relative fraîcheur d'un monde sans soleil. Les rues étaient étrangement bruyantes et les deux compagnons avaient préféré s'élever à la recherche d'un semblant de tranquillité. Ainsi perchés, Crow et Merle avaient une vue imprenable sur l'horizon et pouvaient observer les citadins qui fourmillaient à leurs pieds.
- Quand j'étais jeune... débuta-t-il.
- C'était il y a combien de siècles ?
- Je ne suis pas si vieux que ça ! Enfin passons, quand j'étais jeune disais-je, on pouvait sortir la journée sans que le soleil ne nous crame le visage. On pouvait encore profiter de la caresse du vent et il y avait plein de douces odeurs qui nous chatouillaient le nez. Le monde était rempli de couleurs et il y avait encore des arbres qui nous protégeaient de leurs majestueuses ramures.
- Mais on a encore des arbres... fit remarquer la fillette qui ne comprenait pas la nostalgie de son ami.
- Ce sont des faux petite, c'est simple, de nos jours tout est faux. Il n'y a plus rien de vivant dans ce monde hyper artificialisé et dénaturé. En dehors des villes, l'air est tellement pollué qu'il en est presque irrespirable, la seule eau que l'on puisse boire est celle que traitent les infrastructures sanitaires et la terre est devenue si infertile que plus rien ne poussent. Si nous continuons dans cette voie, la vie sur Terre deviendra hostile et si l'humanité survit par miracle, il faudra lutter contre les famines et les aléas climatiques. Et puis, les gens aussi ont changé. Avant, on pouvait s'ennuyer, rêver et réfléchir, on créait des choses à l'aide de notre imagination et on se servait de notre esprit pour bâtir des sociétés meilleures. Les gens étaient curieux et devenaient savants, chercheurs ou bien philosophes ! Regarde aujourd'hui, tout le monde est toujours occupé, les distractions proposées par le gouvernement nous accaparent et nous détournent de la vraie vie. Si bien que de ne nos jours, plus personne ne s'intéresse à rien et les métiers prestigieux sont réservés à une poignée d'élites qui nous gouvernent et nous veillent comme le ferait un bouvier avec son bétail.
- Mais, mais au moins les gens sont heureux... hasarda timidement Merle qui ne se rendait pas compte qu'elle avançait la propagande des autorités. Il n'y a pas de pauvreté, tout le monde travaille et mange à sa faim...
- Les gens sont heureux ? Non petite, on le leur fait croire. Ils sont tous enfermés dans une cage, une volière à ciel ouvert où ils tournent en rond à longueur de journée. Ils ne connaissent rien de la vraie vie qui s'est perdue au fil des générations. As-tu seulement déjà vu des étoiles petite ? As-tu seulement déjà vu une forêt ? Une forêt remplie d'arbres, si vaste qu'elle se confond avec le ciel à l'horizon ? As-tu déjà senti l'envoûtant parfum d'une fleur ? Ou même goûté un fruit juteux qui t'explose en bouche et dégouline le long de ton menton ? As-tu seulement déjà entendu le chant des oiseaux ?! Tu ne connais rien de tout ça et tu ne connaîtras sans doute plus jamais rien de semblable. Pouvoir sentir, toucher, goûter, voir, entendre, c'est ça le bonheur ! Et quiconque ne pouvant affirmer l'avoir déjà fait n'a jamais vécu ! Et pourtant tout le monde s'en fout, tous préfèrent rester dans leur petit confort, dans une ignorance douillette, vivotant dans un semblant de réalité. Tout le monde ferme les yeux et on veut qu'ils les gardent. La nature est morte et nous l'avons remplacée par une pâle copie qui finira par avoir raison de nous.
À bout de souffle, Ulrich garda le silence pendant un long moment durant lequel il fixait pensivement la ville sans visage qui s'étalait à ses pieds. Rendue muette par cette longue tirade, la fillette observait attentivement les traits du quadragénaire en proie à une profonde mélancolie.
- Mais, pourquoi il est devenu comme ça le monde ? finit-elle par demander timidement. S'il est si moche que ça, pourquoi en ne revient pas en arrière ?
- Parce que c'est trop tard petite. On ne peut réparer ce qui a été brisé... et puis les Hommes préfèrent ce monde, un monde qu'ils dominent en maîtres incontestés. Un monde qu'ils ont façonné à leur image, un monde où les oiseaux ne chantent plus...
Quand elle entendit ces mots, Merle se redressa vivement et posa sur Crow des yeux pétillants de curiosité.
- Tu ne m'as toujours pas dit ce qu'était un oiseau ! lui fit-elle remarquer en le fixant effrontément.
- Tu ne te lasses donc jamais de poser des questions ? Soit, si tu le souhaites, je vais t'en parler. Les oiseaux étaient des animaux tout couvert de plumes, qui avaient deux pattes, un bec et des ailes pour voler. Avant, ils peuplaient les cieux de leurs chants harmonieux, bien que quelques uns fussent incapables de décoller. Certains étaient merveilleusement colorés, d'autres aussi grands que nous et tous pondaient des œufs pour donner naissance à leurs petits. Ils étaient ce que la Terre avait de mieux, mais aujourd'hui, ils ont tous disparu.
- Que leur est-il arrivé ? s'enquit Merle qui, émerveillée par ce récit, avait déjà l'impression de les voir voler tout autour d’elle.
- Eh bien, dit Ulrich dont l'expression se rembrunit violemment, nous les avons exterminés.
À ces mots, la fillette se détacha des petits oiseaux chatoyants qu'elle s'était imaginée et se tourna vers Crow, horrifiée. Ce dernier, le visage fermé, était plus sombre que d'ordinaire et il avait le regard plongé dans le passé.
- Depuis longtemps, nos ancêtres les trouvaient gênants et avaient toujours voulu réguler leur population.
- Mais qu'avaient-ils fait de mal ?
- Rien petite, murmura l'homme tristement, ils avaient juste commis le crime d'exister. Tu sais, l'humanité a toujours aimé contrôler. Elle croit que la Terre lui appartient toute entière. Alors, quand elle s'est rendue compte qu'elle ne pouvait dompter ces être libres qui avaient l'immensité du ciel pour royaume, elle a voulu les éliminer. Les oiseaux étaient vifs et imprenables. Ils mangeaient les graines de nos champs, empêchaient nos avions de conquérir les cieux et fragilisaient nos bâtiments en faisant leurs nids sous les toits. Sur tous les points, l'Homme les considérait comme nuisibles. Ils ont tenté de les chasser, de les réguler, de les dresser… Sans succès. Les oiseaux se riaient d'eux et les narguaient depuis les cieux. Alors ils les ont tués en masse, tirant sur eux dès qu'ils les voyaient, brûlant leurs nids et contaminant leur nourriture. Ce fut un massacre d'une violence rarement égalée. Mais les oiseaux tenaient bon... jusqu'à l'arrivée de la Science.
Essuyant son front ruisselant de sueur, Ulrich commença à éviter le regard de Merle qui, pendue à ses lèvres, ne perdait pas une miette de ce qu'il disait. La fillette ne semblait pas remarquer son trouble et devait mettre ce malaise croissant sur le compte de ce récit épouvantable.
- Ils, ils ont commencé par appeler d’éminents professeurs, des scientifiques surdiplômés et des naturalistes qualifiés pour régler ce problème de façon définitive. Puis, ils ont fini par trouver un homme, un biologiste qui mit son savoir au service de ce macabre projet. C'est lui qui fut à l'origine de la chute des oiseaux.
À ces mots, sa voix se brisa et, couvrant son visage de ses mains, il eut beaucoup de mal à poursuivre.
- Ce jeune homme cupide et ambitieux mit au point une maladie très contagieuse qui ne s'attaquait qu'à ce taxon. Cette arme biologique faisait mourir les embryons dans les œufs, annihilant ainsi les futurs générations, et engendrait une dégénérescence rapide quand elle touchait les adultes. Ce fut une révolution scientifique, mais une horreur sans nom qui allait à l'encontre de sa morale et de tout ce qu'il avait appris. Pourtant, alléché par la promesse d'une gloire certaine, ce jeune scientifique arriviste le présenta aux gouvernements qui s'en emparèrent aussitôt. Quand les premiers spécimens contaminés furent relâchés il était déjà trop tard et il n'y avait plus aucun retour en arrière possible. En une décennie, tous les oiseaux disparurent et ce fut la fin de l'une des classes de Vertébrés la plus prospère de la planète. L'Homme avait gagné.
Un long silence s'abattit sur les deux compagnons et Merle, étrangement mal à l'aise, mit du temps à reprendre timidement la parole.
- Ils sont vraiment tous morts ? demanda-t-elle d'une voix que faisait trembler l'émotion.
- Oui petite, répondit-il sourdement et le regard perdu dans le lointain, tous sauf un qui a miraculeusement survécu à cette maladie foudroyante qui a décimé toute son espèce.
- Et il est encore vivant !! s'écria la fillette pleine d'un espoir soudain.
- Oui mais ne t'imagines pas qu'il coule depuis des jours heureux. C'est un vieil oiseau tout décrépi qui vit aujourd'hui enfermé dans une cage, exposé à le vue de tous par son propriétaire cupide qui ne le voit que comme une marchandise. C'est animal est un vestige de l'ancien monde et le seul survivant d'un massacre qui n'eut jamais d'exemple.
Redevenue muette, Merle regarda à son tour la ville à ses pieds qui commençait à s'illuminer. La nuit était en train d'étendre ses ailes noires et le soleil avait fui à l'horizon pour échapper aux serres du crépuscule.
- Et qu'est devenu ce scientifique ?
- Je ne sais pas. Après le succès de son œuvre infernale il a disparu et personne ne sait ce qu'il est devenu. J'imagine qu'il s'est rendu compte de l'horreur de son acte et que, trop lâche pour affronter le poids de sa culpabilité, il a tout abandonné pour se terrer et mener une vie de misère et de mystère, traînant derrière lui son sombre passé, dans un monde qu'il avait aidé à dénaturer....
- Crow, murmura timidement Merle en lui tirant doucement la manche, pourquoi tu pleures ?
Les yeux rougis et embués, ce dernier se tourna vers la fillette sur qui il posa un regard plein de tristesse et de remords.
- Parce que j'ai honte de ce que nous avons fait.
Le lendemain, il avait disparu.


Jackie H il y a 1 heure
Ulrich ou Crow ? 😉 Sinon, son discours me rappelle "L'Enfant aux cheveux blancs" de Patrick Juvet (un morceau qui date d'il y a 50 ans mais qui apparemment n'a pas pris une ride 🙂)
https://youtu.be/IdewvEwY49g?si=T_osa7POcfSExJIb