De quelques sourds célèbres
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De quelques sourds célèbres
L’envie m’est venue d’écrire ce texte après un échange avec l’un des auteurs de Panodyssey qui avait commenté un livre de David Lodge « La vie en sourdine », où il fait part de son handicap avec humour. J’ignorais que David Lodge, comme tant d’autres auteurs, artistes, musiciens, hommes politiques… fût atteint de surdité.
Je parle ici de sourd et non de malentendants ou de non-entendants, mots qui n’adoucissent en rien ce terrible handicap. Car naître sourd, totalement sourd, c’est ne jamais être en « prise directe » sur la vie quotidienne par la parole de ses proches, de sa famille, des gens que nous côtoyons. C’est vivre dans un silence absolu ou presque, détaché de toutes les actions et les réactions du monde environnant. Bien que la sympathie générale aille plus volontiers au non-voyant, rien certainement n’est si pesant que l’océan de silence dans lequel évolue et devra vivre un enfant sourd et rien non plus nous permet d’imaginer ce terrible handicap, car boucher ses oreilles contrairement à fermer ses yeux, ne nous donne en aucune façon une idée de ce monde du silence dans lequel il évoluera. Avec encore comme corollaire, quand l’enfant naît sourd profond, une acquisition du langage très difficile malgré l’adaptation d’un implant cochléaire le plus tôt possible dans la vie pour apporter un semblant d’audition. L’idée que ces enfants étaient muets parce qu’ils étaient sourds n’effleura jamais l’esprit d’aucun médecin ou d’aucun philosophe jusqu’à une date relativement récente à l’échelle de l’humanité.
Et pourtant, nombre de sourds, à la manière américaine, parviendront à surmonter ce terrible handicap et en faire presque un atout avec la volonté d’étudier, de diriger des entreprises (ou autres), de faire de la musique, de la politique et beaucoup d’autres choses.
Voici donc quelques-unes de ces personnes remarquables en précisant bien sûr que cette liste est loin d’être exhaustive. Tentons une chronologie bien que dans l’Antiquité, il reste difficile d’avoir des certitudes et bien souvent, seuls les poètes et les écrivains évoqueront leur infirmité, ce qui, bien sûr, paraît exclu pour les musiciens par exemple.
-À tout seigneur, tout honneur … commençons par Charlemagne (cf. S…comme surdité), qui nous l’avons dit n’était pas plus empereur des Français que porteur d’une barbe, encore moins fleurie. Mais peu importe la légende. Dans le défilé de Roncevaux, attaqué par les Vascons (ces ancêtres des Basques), il laissa Roland en arrière garde, soucieux de ramener son prodigieux butin en lieu sûr. Il n’entendit pas, affirme-t-on, Roland jouer de l’olifant pour l’appeler à la rescousse (cet ancêtre du cor, taillé dans une défense d’éléphant et dont la forme préfigurait déjà le cornet acoustique). Précisons d’ailleurs que très tôt dans l’Antiquité des peuplades utilisèrent naturellement une conque (coquillage) en l’appliquant du côté pointu et sectionné pour mieux entendre. Cette conque, spiralée comme l’oreille interne et que tous les enfants mettent à l’autre extrémité pour « entendre la mer » (la propre circulation sanguine de leur oreille en fait, naturellement amplifiée par le coquillage).
- Les princes de la Pléiade, Pierre Ronsard et Joachim du Bellay, tous deux nés en 1525 devinrent sourds très tôt. Cette phrase, ces deux sourds étaient faits pour s’entendre, fut créée pour eux et du Bellay écrivit un hymne à la surdité qu’il dédia à Ronsard.
- Nicolas Boileau, homme de lettres du « Grand Siècle », théoricien de l’esthétique classique en littérature.
- Ch. M. de la Condamine, savant géographe connu pour son irascibilité. Reçu par Buffon à l’Académie française en 1760. Son irascibilité venait-elle de sa surdité ?
- Jean-Jacques Rousseau, né un an après la mort de Nicolas Boileau. Dès l’âge de 24 ans, il décrira sa surdité dans « Confessions ». Un matin que je n’étais pas plus mal qu’à l’ordinaire[…] je sentis dans tout mon corps une révolution subite et presque inconcevable […] Ce bruit intense était si grand qu’il m’ôta la finesse d’ouïe que j’avais auparavant[…] Au bout de quelques semaines, voyant que je n’étais ni mieux ni pis, je quittai le lit et repris ma vie ordinaire avec mon battement d’artères et mes bourdonnements[…]. J’abandonnai l’étroit régime, je repris l’usage du vin et tout le train de vie d’un homme en santé… On voit tout de même que ce grand misanthrope savait vivre !
- Le peintre Goya,
- Beethoven, LE musicien sourd, qui, on le verra, s’adaptera tant bien que mal et réalisera, avec ce handicap, ses plus belles symphonies. Il méritera un texte à part.
- Graham Bell, orthophoniste qui inventera « est-ce bien lui ? » le téléphone…
- Thomas Edison, autodidacte génial qui ne déposera pas moins de 1093 brevets au cours de sa longue vie et améliorera le télégraphe…
- Ferdinand Berthier, on l’a vu (cf. S…comme surdité), sourd dès l’âge de 4 ans et qui créera la Société centrale des sourds-muets de Paris, à qui Victor Hugo confiera : Qu’importe la surdité de l’oreille quand l’esprit entend ? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c’est celle de l’intelligence »
Le XIXe siècle a son lot d’auteurs qui portent ce handicap :
- Octave Feuillet, membre de l’Académie française, le Musset des familles, dont certaines citations sont restées célèbres. Il était dépressif peut-être la conséquence de ce handicap dont il fit un atout.
- Jules Goncourt, qui créa avec son frère l’Académie du même nom, mourut jeune d’une syphilis tertiaire, probablement à l’origine de sa surdité.
- Louis Gallet, librettiste et auteur dramatique français, un temps directeur de l’Hôpital Lariboisière à Paris.
- Henri Lavedan de l’Académie française, journaliste et auteur dramatique. À sa mort, L’illustration lui consacre une notice nécrologique rédigée par Abel Bonnard, publiée en septembre 1940 qui dira en hommage « Henri Lavedan vient de quitter la vie, mais il était déjà séparé des hommes. Une surdité infranchissable qui le privait de tout commerce, sans lui donner cependant les bienfaits du silence… »
- Plus tardivement, Charles Maurras dont on connaît les idées politiques, qui fondera la ligue d’action française et dirigera le journal L’action française dont il poursuivra la publication sous l’occupation. Membre de l’Académie française, il soutiendra le régime de Vichy. Arrêté à la Libération, il sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale. Il sera gracié en 1952 pour raisons de santé. Auteur (entre autres) de Tragi-comédie de ma surdité.
- Des savants aussi…outre Ch. M de la Condamine, n’oublions pas Charles Nicolle. Microbiologiste français, il sera lauréat du prix Nobel de médecine en 1928 pour ses travaux sur le typhus. Membre de l’Académie des sciences en 1929. C’est vers l’âge de 20 ans, racontera-t-il que son audition décline, le poussant à s’orienter vers les travaux en laboratoire.
Auteur d’une remarquable Lettre aux sourds.
- Les philosophes Schopenhauer et Bergson furent de grands sourds dont la force de caractère permettra de dominer leur infirmité.
- L’extraordinaire Hellen Adams Keller dont Mark Twain dira qu’avec Napoléon elle était la personne la plus fascinante du XIXe siècle ! Qu’on en juge. Née en 1880 dans l’Alabama, elle est atteinte à 19 mois d’une grave affection (scarlatine) dont les conséquences sont effroyables : perte de la vue et surdi-mutité. Dans son livre The story of my life édité en 1905 à New York chez Grosset de Dunlap, Helen Keller racontera son parcours. À 7 ans, une extraordinaire chance lui sourit. Ses parents la conduisent à Washington pour consulter le docteur Alexander Graham Bell (Oui celui dont nous venons de parler), qui enseigne le langage par signes aux sourds-muets et qui confie la petite fille à Anne Mansfield Sullivan qui lui apprendra à se servir de ses mains pour toucher, interpréter, ouvrir sa prison et libérer son esprit. Il s’agit là de la démonstration, s’il le fallait, des fabuleuses possibilités de la rééducation d’un enfant sourd, muet et aveugle à force de patience, de courage et de volonté sans oublier la ténacité et l’habilité de son éducatrice Anne M. Sullivan. H. Keller apprendra le Français, l’Allemand, le Latin, le Grec, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, l’histoire, la poésie et la littérature…
Mais, derrière ces exemples que l’on pourrait répéter à l’infini, n’oublions pas tous les autres sourds qui, individuellement, à coup de volonté, de persévérance et avec une force de caractère hors du commun ont vaincu ce handicap, s’en servant parfois comme d’un aiguillon pour se dépasser.
Non, jamais ce handicap, comme l’ont évoqué certains, ne peut être considéré comme bénéfique. Mais il peut faire naître, chez ces sourds, une volonté inflexible de réussir ce qu’ils voulaient entreprendre malgré son existence.
Réf. biblio: Histoire des maladies de l'oreille , du nez et de la gorge -Guerrier, Mounier-Kuhn -Éditions Dacosta-Paris
Petit glossaire ORL pour tous -même auteur
Jean-Jacques Hubinois il y a 2 ans
Merci pour ces remarques. J'ai été longtemps absent de la plate-forme ce qui explique ma réponse tardive. Excellente journée.
Charles Mansfield il y a 2 ans
Ceci est un essai inspirant. Merci pour le partage des histoires, bien écrit - Charles