BO : https://youtu.be/WkdQhfDRBKs?si=CN_rczY3URGNCmn2

" — Non, pas terrible ...

Swan tapa rapidement sa réponse sur le clavier de l'ordinateur, un peu anxieux à l'idée que Kelly disparaisse aussitôt des DM :

— Tu veux qu'on en parle ?

— Ben, depuis le temps ... faudrait au moins qu'on prenne un café ..."

Swan releva la tête, pensif, un pincement au coeur. Tapait-elle fort exprès ? Quasiment 7 000 km les séparaient.

Il avait connu Kelly alors qu'il s'apprêtait à déménager au Canada.

Plus de deux ans auparavant, il avait décidé de changer de pays, suite à une déception sentimentale : une relation à distance qui ne pouvait voir le jour. Alors il était parti décaler l'horaire de son coeur, histoire de voir si ailleurs, il oublierait les prémices de sa love story.

Rétrospectivement, après un premier hiver par - 30 et de la gastronomie au sirop d'érable, il s'était rendu compte que, oui, ce qui avait été avant tout un fantasme de romance comme on aimait à entendre et à raconter, - "Deux âmes-soeurs, je te dis ! Comme si on se connaissait déjà ! " -, avait périclité sans trop de résistance face à la nouveauté et le dépaysement.

Mais finalement, quel qu'ait été cet élan contrarié, il lui avait permis de sauter le pas et de réaliser un rêve de gosse. Et d'apprendre à se connaître un peu mieux.

Alors, il gardait un souvenir ému de Mélanie ... Mélanie ? ... Mélanie ?! ... Mais non : Amélie ! ... Oups ...

Quelques semaines avant le grand décollage, il avait entamé des échanges plus poussés avec Kelly. Ils étaient en contact depuis longtemps sur un forum de cinéphiles, mais il ne lui avait pas prêtée attention jusqu'alors plus que ça.

Le partage d'une critique sur Inception les avait en quelque sorte rapprochés : il était enthousiaste. Elle s'était fait un malin plaisir à démonter le scénario. Il avait renchéri. Elle avait fini par faire le dos rond, parce qu'il était trois heures du mat, non sans clore par un :

C'était un plaisir de te faire tourner ... en toupie ! "

"De cape en épée", ils s'étaient amusés à détourner mots et répliques cultes, après s'être taquinés sur leur prénom :

— Bah si, enfin : réfléchis ! ... Le soap opera !

— Mais non ? !!! Alors, dans la famille " Santa Barbara - qui me dira - Pourquoiii ?! - J'ai le mal de vivrrreee", je dois demander ... ?

— Sans trop de surprise : la mère ... Et toi ? Tu ne fais pas une overdose de madeleines ? "

Plus simplement et avec une douce complicité, ils avaient fini par se raconter leur vie.

Kelly avait du coup été aux premières loges des dîners sur le pouce et des cartons interminables, par audios, tandis qu'elle-même composait des puzzles d'affiches de film.

Elle l'avait accompagné par textos, à l'aéroport.

Puis, ils s'étaient retrouvés de l'autre côté de l'océan, le temps pour lui de se baliser un nouveau cadre de vie. Ils se calaient des appels les fins de journée ou des visios la nuit selon les disponibilités et l'état de fatigue de Kelly.

Puis, le décalage horaire avait poursuivi son oeuvre ...

Swan, happé par de nouvelles rencontres, - connaissances, amitiés -, avaient été de moins en moins disponible ... Elle n'avait pas insisté.

Il avait eu une passade, avant une relation officielle. Il s'était fait à chaque fois quitté. Mais il ne pouvait qu'admettre au fond de lui qu'il avait un peu poussé le dénouement par son attitude nonchalante.

Il se sentit soudainement honteux à l'idée d'évoquer ses lapsus amoureux devant Kelly ... Elle n'aimerait pas. Et il n'aimerait pas qu'elle n'aime pas ...

Swan se pencha à nouveau sur l'ordinateur. L'activité de l'écran indiquait que Kelly poursuivait son mot.

C'était fou tout ce qui pouvait vous passer par l'esprit le temps d'un échange écrit : l'ébauche d'une psychothérapie qui soulignait du pas joli-joli. Deux années à la fois trépidantes mais ... sans elle. Et l'envie de lui chanter "Lettre à France" ...

Il s'était surpris ce soir à retourner sur le forum cinéphile. Il avait alors vu passer en direct un commentaire inespéré de la main de Kelly ! Spontanément, il l'avait hélée en privé. Il ne réalisait que maintenant son audace déplacée, après tout ce temps après l'avoir ignorée.

photo : pinterest

Il lut enfin le texte qui venait d'apparaître :

Quand je dis " prendre un café " , je veux dire bien sûr l'assiéger ...

Il gloussa :

Un siège façon Die hard : je suis ton homme ! "

Un arc amer vint immédiatement bander sa bouche vers la bas.

Il aurait adoré planifier l'assaut d'un café avec elle.

Il aurait adoré touiller le sucre dans son café sans sucre, pour garder contenance en face d'elle. Elle et son petit grain de folie caféiné. Un petit grain à ... - avec lequel il aimerait encore en découdre.

Mais bien sûr, bien sûr ... maintenant qu'il avait décalé toute sa vie, en plus de son coeur, il n'avait plus qu'à ravaler le marc de la réalité : ils ne vivraient jamais la même heure.

Photo principale : @vuralyalim