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Pierre, feuille, ciseaux. Pierre… 3/3

Pierre, feuille, ciseaux. Pierre… 3/3

Publié le 13 sept. 2024 Mis à jour le 13 sept. 2024 Jeunesse
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Pierre, feuille, ciseaux. Pierre… 3/3

Je jette un coup d’œil derrière mon épaule. Je suis la seule de l’assistance à être descendue à la rivière. Après l’enterrement, en fin de matinée, la famille a invité uniquement les proches à rester au bar-restaurant. Je suis donc toujours considérée comme telle …

Tout à l’heure, la mère de Vincent m’a invitée à visiter la chambre de son fils.

La peur au ventre, j’ai frôlé du regard les tapisseries inchangées, pour éviter le sien. Je suis déjà venue passer une semaine, un hiver, pour aider Vincent à remonter ses résultats scolaires. Avant ce dernier été de saccage… Vincent était intelligent et travailleur mais en décalage permanent avec les autres. Avec la vie. Il décrochait, de plus en plus, en perte de but à tout ça. 

J’ai craint à tout moment qu’elle me reproche ce qui me traque comme une évidence : 

« Toi, tu aurais pu le sauver. »

Elle s’est contentée de me dire, isolée dans sa culpabilité comme je le suis dans la mienne :

« Quand il a dû partir de l’armée, après que le docteur ait diagnostiqué sa maladie, il a passé des heures, là-bas … près de la rivière … Je ne me doutais pas … Je n’ai pas compris … ce qu’il avait en tête. Je croyais qu’il y aurait toujours de l’espoir … Qu’il aurait toujours de l’espoir. C’est ce qu’on croyait lui avoir appris …»

Sur le mur, entre la lampe de chevet et le lit, mon regard s’arrête sur une photo polaroid  : devant leur verre de grenadine, deux garçons et une fille, tannés par le soleil, bras dessus bras dessous, et des sourires qui s’étirent, interminables, comme pour ne faire qu’un.

 

 

                                                                                      #

 

Plus tard, Vincent tâtonne au lycée puis, poussé par les inquiétudes de ses parents, il s’en remet à l’armée pour se trouver une voie. Sans aucune vocation réelle, ni protestations non plus.

Il continue de m’écrire des cartes postales, aux fêtes de fin d’année et à mon anniversaire. À chaque fois, elles ravivent la brûlure de ce baiser. Alors, j’en pleure de rage. Puis, le temps passant, de nostalgie. 

Je lui réponds toujours. Une part de moi l’attend. Mais, je sais très bien que si je ne viens pas à lui, il ne viendra jamais à moi. Alors, je m’autorise mes premières histoires, qui n’ont d’amour que leur titre.

                                                                                             #

Contre toute attente, la vie finit par me prendre en main. Le cursus d’études de Tom le replace sur ma route. Nous habitons désormais dans la même ville. Il a encore gagné en assurance et en popularité. Il m’en fait profiter, en m’invitant à des soirées étudiantes auxquelles je ne pourrais prétendre sans lui. 

Si je veux être enfin honnête avec moi-même, il me faut bien admettre que le regard qu’il me porte, - celui qui avoue me concéder et me pardonner tout -, n’est pas paternaliste. Je comprends qu’il a toujours était là, pour moi. Attendant juste que je mûrisse. Espérant juste que la réciprocité se matérialise.  

Affamée d’hier, j’en finis avec le dilemme d’antan. Nous ne pouvons être trois. Alors, je fais le choix de la facilité, peut-être. En tous cas, je fais le choix des bras assurés et décidés qui, une fois autour de moi, ne se desserreront plus. Sous aucun prétexte.

Je continue néanmoins d’écrire à Vincent, sans jamais aborder notre romance, à Tom et à moi. Il l’apprendra par Tom, lors d’une réunion de famille, que je réussis à esquiver. Tom me racontera seulement  : 

« On a déconné toute la nuit ! C’était chouette. C’était comme avant. Tu nous a manqué … Tu lui manques. »

Puis, s’écoulent deux années de lâcheté à craindre ses torts, sans jamais le revoir. Juste nos échanges de cartes postales. Et, lire les trois ou quatre phrases de son quotidien, signées de ses « pensées ». Ni « meilleures », ni « amoureuses », ni rien. Juste ses « pensées » : 

«  Mes pensées, Sabine. Vincent. » 

                                                                                      

C’est arrivé la semaine dernière. Il n’a pas laissé de lettre. Non. A quoi bon. Un tel acte dit tout ce qu’il y a à dire. Je sais bien que je n’en suis pas à l’origine. Je sais bien que c’est la maladie qui l’a emporté. Mais là, même si mes larmes tarissent d’épuisement, j’ai le cœur qui pèse plus lourd qu’une pierre. L’idée me traverse que ce poids pourrait suffire à me lester au fond de l’eau. J’ai tellement envie de dormir pour ne plus souffrir son absence, irrémédiable.

Et d’un coup, je sais. Je sais ce qu’il me reste à faire …

Submergée par le fil de l’eau et de ma pensée, je me déshabille et m’avance pour m’enfoncer.

                                                                                          #   

La main sur mon ventre rebondi, je calcule le nombre de semaines restantes. Ça sera pour mars. Un petit « poisson » qui, déjà, effleure les parois de son premier univers, bientôt trop petit. 

Un petit miracle. Tom et moi avions envisagé assez vite de devenir parents, même si nous étions un peu jeunes pour l’aventure. Mais, nous nous connaissions tellement par cœurs. La nature ne semblait pourtant pas décidée. Peu de temps après notre deuil commun, quelque chose ou quelqu’un a enfin autorisé la vie à naître.

Je revois la tête de Tom, cet après-midi-là, tétanisé devant mes vêtements à terre, prononçant chaque mot avec prudence :

« Sabine ... Je … peux … t’aider ? ... »

Ma réponse, en même temps que je continuais d’avancer pour que l’eau m’enveloppe, n’avait rien eu de rassurante :

« Oui. Ne viens pas… »

 

                             

Les doux remous à l’intérieur de mon ventre me tranquillisent. Allongée sur le canapé, les jambes surélevées sur l’accoudoir, je ferme les yeux et me concentre sur la musique du mobile de l’entrée.  Depuis quelques mois, sa musique annoncent, dans notre nouvel appartement, les allées et venues de la famille et des amis.  Les bonnes ou les moins bonnes nouvelles. Elle annoncera bientôt le retour de Tom. Et, je me prépare à en reconnaître le son propre à son appel d’air. Elle chante le bonheur qu’il a de rentrer, même s’il est parfois fatigué de sa journée. 

C’est un carillon fait-maison, de bambous, au bout duquel est suspendu un galet brun. Je l’ai ramassé au plus tourmenté de la rivière. Au plus noir des profondeurs, - d’elle et de moi.

Parfois, il arrive que le mobile chante tout seul un refrain que je reconnais : « Mes pensées, Sabine. Vincent. » Alors, j’en reprends à mon tour la mélodie et chantonne tout haut avec gaité : « Mes pensées, Vincent. Mes pensées. » 

Et Tom, s’il est là, vient nous serrer fort dans ses bras.

 

                                                                                                                                                                          Fin 

 

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Commentaires (4)

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Jean-Christophe Mojard il y a 2 mois

Je l’attendais celle-ci ! Ce soir je l’embarque pour la lire au couchage.

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Jean-Christophe Mojard il y a 2 mois

Sublime. Trois parties percutantes, poignantes. Un très beau texte, dans ses parties comme dans son intégralité.

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Aline Gendre il y a 2 mois

Merci, Jean-Christophe. Merci d'avoir lu. Merci pour votre retour. Très sincèrement.

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