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La honte, outil de contrôle social

La honte, outil de contrôle social

Publié le 20 avr. 2020 Mis à jour le 1 oct. 2020 Politique
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La honte, outil de contrôle social

Crédit photo : felipe pelaquim
 
Je n’avais jamais envisagé cette émotion sous cet angle. En effet jusque là, pour moi, celle-ci relevait de l’intime et me semblait déconnectée d’une quelconque problématique de contrôle social. Pourtant, quelques lectures récentes m’ont donné un nouvel éclairage sur cette émotion, que je souhaite partager avec vous.
 

Une émotion puissante

 
La honte est une émotion beaucoup plus primaire que la culpabilité.
 
La force de la honte vient du fait qu’il s’agit d’une émotion, à savoir une réaction à la fois mentale et physique sur laquelle nous n’avons pas de prise. Celui qui la ressent éprouve des réactions d’ordre physiologique telles que rougissement, transpiration, respiration saccadée, augmentation du rythme cardiaque, douleurs à l’estomac, confusion temporaire et inhibition verbale. Même une fois surmontée, ces réactions peuvent laisser place à une forme de malaise durable et à une sensibilité accrue à la honte en des circonstances semblables.
 
En outre, les conclusions qui sont en relation avec la honte ont une force et une rigidité particulières parce qu’elles ont été installées dans l’organisme à une étape précoce de la croissance, à savoir entre deux et cinq ans.
 
Si l’on fait honte à quelqu’un, on lui inculque une forme de peur particulière. Ce qui inspire la honte à un enfant est ressenti comme menaçant pour la vie à un âge où il ne peut estimer le danger selon des critères réalistes. Ce n’est sans doute pas un hasard si dans de nombreuses langues, les expressions liées à la honte utilisent le champ lexical lié à la mort : « Mourir de honte » ; « j’aurais voulu rentrer six pieds sous terre ».
 
La honte a donc pour fonction première d’adapter l’enfant à la civilisation, à la culture, à la famille dans laquelle il grandit, pour le meilleur et pour le pire.
 
Par ailleurs, la puissance de la honte vient également du fait qu’elle porte non pas sur nos actes mais sur qui nous sommes. C’est là la distinction majeure entre honte (qui porte sur qui je suis) et culpabilité (qui porte que ce que j’ai fait).
 
Alors qu’on peut remédier à une action malheureuse en en réparant les conséquences ou à minima en s’excusant auprès de celui qui en a été la victime, on ne peut rien faire quand quelqu’un vous fait ressentir de la honte pour ce que vous êtes. Ressentir de la honte comporte une dimension de sidération qui à nouveau renvoie à une forme d’impuissance.
 

L’être humain, animal social.

 
Les êtres humains sont interdépendants et ont besoin de règles comportementales pour que leurs sociétés subsistent. Plus la culture est traditionnelle, plus l’éducation dans ce sens est stricte dès le plus jeune âge : qui enfreint ces règles peut être gravement stigmatisé. Ces règles comportementales sont tellement intériorisées qu’on se sentirait honteux de les transgresser, indépendamment de leur bien-fondé ou de leur désuétude intrinsèque. 
 
Or ceci est problématique car cette intériorisation aboutit à une difficulté voire à une incapacité à questionner la norme sociale. Il devient alors beaucoup plus difficile de la faire évoluer ce qui peut aboutir à une forme de sclérose. Beaucoup de codes sociaux se forment à l’origine pour garantir la protection des personnes. Mais avec le temps, ils ne préservent plus que des détails sans pertinence et deviennent alors inutilement répressifs.
 
Par ailleurs, la vulnérabilité à la honte est trop souvent utilisée par des groupes ou des individus pour asseoir leur pouvoir sur d’autres ou pour les exploiter. 
 
C’est un phénomène que l’on peut observer par exemple en ce qui concerne le contrôle social des femmes par la honte. On leur inculque à avoir honte de leur désir, honte de leur corps, par exemple, à l’apparition des règles ou encore lorsqu’elles allaitent en public. La honte a été et reste encore une des grandes forces utilisées pour « maintenir les femmes « à leur place ». 
 
On peut observer des mécanismes similaires à propos de minorités sexuelles, ethniques ou encore dans les rapports de classes sociales. Ainsi, dans l’Empire britannique, c’était  une technique majeure pour remettre domestiques et indigènes « à leur place » ; ceux-ci transmettaient ces attitudes à leurs enfants que devenaient à leur tour vulnérables à cette honte, qui passait ainsi de génération en génération.
 

La fierté, remède à la honte

 
Comme en témoignent les mouvements de libération de minorités dans les pays occidentaux au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, le meilleur remède à la honte est le remède préventif de la fierté. Fierté homosexuelle (Gay Pride), mouvement de libération des femmes, mouvement Black is beautiful (Black Pride), tous ces mouvements ont utilisé la fierté comme remède à la honte que la société de leur temps leur faisait ressentir. 
 
S’affirmer fier de ce dont on veut vous faire honte, voilà le meilleur remède pour reprendre du pouvoir sur sa vie.
 
Je suis par exemple, pour ma part, désormais fier d’être un hypersensible introverti ! (On me l’a longtemps reproché)
 
Et vous, dans quel(s) domaine(s) êtes-vous sensible à la honte ? Passez-les en revue et observez dans quelle mesure cette sensibilité a permis à d’autres d’exercer du pouvoir sur vous !? Voyez d’où vient cette sensibilité, est-elle toujours aussi justifiée ? Comment pourriez-vous transformer celle-ci en fierté ?
 

Conclusion 

 
Côté lumière, l’aptitude à ressentir la honte a conduit l’espère humaine à une socialisation plus large que la famille. 
 
Côté ombre, elle contribue à inscrire dans l’organisme avec la même force qu’un instinct, donc de manière inconsciente, des conditionnements qui influencent nos conduites et nos comportements à l’âge adulte.
 
Ceux-ci donnent un pouvoir dictatorial aux normes sociales et à ceux qui ont le pouvoir de les manipuler à cause de la menace de disgrâce (ostracisme) qu’elles véhiculent.
 
On n’a honte que dans les domaines où l’on est sensible et cette sensibilité particulière se développe au cours de nos plus jeunes années à travers les hontes qu’on nous fait ressentir dans le cadre de notre éducation, au sens large.
 
Faire honte aux enfants pour les éduquer peut être une stratégie efficace, mais c’est également prendre le risque de développer chez eux une sensibilité à la honte dans des domaines particuliers et de fait les rendre plus faciles à manipuler à l’âge adulte. 
 
Une alternative est de davantage recourir à des encouragements comme nous y encourage l’éducation positive.t
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