Chapitre 2 Trou d'air
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Chapitre 2 Trou d'air
Perplexe, le commissaire me dévisageait, sourcils dressés en accent circonflexe. Devant ma mine grave, il se ressaisit et me conduisit dans une pièce décorée avec raffinement. Ensemble, on aligna la trentaine de fûts sur un tapis pure soie. J’examinais la Futaie Colbert. La bouteille n’était pas vide. Malgré l’incident, le niveau d’air comprimé était presque à son maximum. Je branchai un respirateur au dropper et eus la confirmation immédiate de mes soupçons : quelqu’un avait remplacé le souffle divin d’une forêt défunte par de l’air industriel. A ma demande, le commissaire-priseur huma lui-même le cru. A la stupeur succéda une grosse colère. Le distingué Carl Löder monta illico dans les tours. J’attendis que le flux d’injures lâchées en rafale se tarisse, ce qui prit cinq bonnes minutes.
« Quelqu’un s’est payé ma fiole ! Croyez-moi, ça va lui coûter cher ! Il faut le retrouver, capitaine ! Si la substitution s’ébruite, ma réputation va en souffrir. Et ça je ne le permettrai pas. Comptez sur mon entière coopération.
- A quel moment le vol pourrait avoir eu lieu ?
- Avant d’arriver ici, répondit-il aussitôt. Dès qu’elles m’ont été livrées, les bouteilles ont été stockées dans notre chambre forte. Elle est équipée d’une serrure biométrique à ADN. Seuls les commissaires-priseurs et les administrateurs de notre holding y ont accès.
- Ça fait beaucoup de monde ?
- Une dizaine de personnes. Mais j’ai regardé l’historique des entrées et des sorties ce matin en ouvrant la chambre. Je suis le seul à y être allé depuis leur dépôt hier après-midi.
- Qui vous a livré la marchandise ?
- Deux employés de la maison Wohlleben, accompagnés du maître de chai’R Fabiani. »
Robert Fabiani en personne. Une vraie légende… Difficile de l’imaginer en trafiquant d’air ! Lui aussi aurait eu beaucoup à perdre. Mais je subodorais une escroquerie à grande échelle. Il allait nous falloir inspecter toutes les bouteilles.
J’en connais qui auraient payé cher pour être à notre place. Quelle dégustation ! Je goûtai un Brocéliande, millésime 2025, aux premières notes fusantes, légèrement mentholée, nez puissant basé sur un accord tanin-mousse de chêne, note de fond musquée, chaude et enveloppante. J’enchaînai avec un Vizzavona de 2031, tête de myrte et de thym citron, cœur d’écorce de pin torréfiée par le soleil corse sur une envolée d’eau cristalline qui me donna des frissons, tandis que de son côté le commissaire-priseur vérifiait très consciencieusement l’authenticité de la Grande Chartreuse. Au bout d’une demi-heure, nous avions inspiré l’intégralité des crus du lot. J’avais un peu le tournis, grisé par tout ce Grand Air. La narcose avait coloré la trogne de mon compagnon de bonne fortune et l’avait rendu euphorique. Pas de quoi se réjouir, pourtant ! Mes craintes étaient fondées. Le lot de Grande Chartreuse avait également été siphonné. Il me fallait mener l’enquête à la source.
A cet instant, Carl piqua du nez et s’écroula sur son beau tapis. Je le laissai cuver et quittai l’hôtel des ventes après avoir chargé les bouteilles incriminées dans mon véhicule.
Cap sur Beaune, siège de la maison Wohlleben. En chemin, j’avertis l’établissement de ma visite impromptue, sans en dévoiler la raison. Mon interlocutrice parut intriguée mais on ne refuse rien à un agent de la toute puissante police de l’air. Puis je me mis à réfléchir à la marche à suivre. Devais-je apprendre aux Wohlleben qu’ils avaient été floués ou prétexter une inspection pour enquêter discrètement ? Si j’avais affaire à un réseau de trafiquants, ils pouvaient avoir des complices dans la place. Mieux valait choisir la seconde option. Je ne prévins pas non plus ma hiérarchie. J’aurais tout le temps de le faire une fois le coupable identifié et arrêté. Je branchai le pilote automatique et piquai à mon tour un roupillon, histoire de ne pas afficher une tronche d’aérolic à mon arrivée.