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Le Poids des Preuves

Le Poids des Preuves

Publié le 14 juil. 2025 Mis à jour le 14 juil. 2025 Policier
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Le Poids des Preuves


Le soleil de l'Ardèche, ce jour-là, était un marteau-pilon. Il écrasait les toits de tuiles, faisait frémir l'air au-dessus du chemin communal où la 308 banalisée des flics avait craché ses gravillons. À l'intérieur, Morvan, le vieux de la vieille, sentait déjà la sueur froide perler. Ses yeux cernés avaient vu trop de choses finir en eau de boudin. Son coéquipier, Mercier, le gamin, la mâchoire serrée, fixait la fiche, comme si les mots pouvaient changer de sens à force d'être relus

.

"Quatre. Quatre putain de corps, Morvan." Murmura Mercier. "Et le petit Dubois... discret. Solitaire. Jamais un mot plus haut que l'autre."


Morvan grogna, un son rauque.


"C'est souvent ceux qu'on ne voit pas venir qui font le plus de dégâts, gamin. La surface est toujours trop calme."


La bagnole s'arrêta devant une vieille ferme de pierres, la façade usée. Le lierre s'accrochait aux murs comme une peau de serpent. Une odeur de terre humide et de lavande desséchée planait dans l'air, douce et suffocante.


Ils descendirent, le pas lourd. Leurs chaussures craquaient sur les graviers. Morvan jeta un coup d'œil à Mercier.


"T'es prêt, gamin ? Ça va pas être une partie de plaisir. C'est la mère."


Mercier hocha la tête, sans un mot. La gorge serrée. Ils traversèrent la petite cour. La porte d'entrée était en bois massif, tordue par le temps. Morvan leva le poing et frappa deux coups secs, qui résonnèrent dans le silence écrasant.


Un instant de vide. Puis, le bruit de pas lents, traînants. Le loquet grinça. La porte s'entrouvrit sur une mince silhouette voûtée. Une vieille femme aux cheveux blancs, les mains noueuses agrippées au chambranle. Ses yeux, d'un bleu délavé, passèrent des uniformes à leurs visages, puis aux voitures garées. Une lueur, non pas de prescience, mais une curiosité mêlée d'agacement.


"Madame Dubois ?" demanda Morvan. "Gendarmerie Nationale."


Elle hocha la tête. "C'est pour quoi faire ? Mon potager ? J'ai toutes mes autorisations." dit-elle, sa voix plus ferme qu'il ne s'y attendait.


Morvan sentit un picotement derrière les yeux. Elle n'était pas dans le coup. Pas encore.


"Madame, nous... nous devons vous parler de Jean-Pierre." Il hésita. Il n'y avait pas de bonne façon de dire ça. "Votre fils est... est soupçonné d'un quadruple meurtre."


La vieille femme éclata de rire. Un rire sec, rocailleux, qui n'avait rien de joyeux. "Jean-Pierre ? Mon fils ? Vous êtes sûrs que vous avez la bonne adresse, messieurs ? Jean-Pierre, il est à son travail. Il travaille toujours. Il n'a jamais fait de mal à une mouche, ce gamin. Il est si discret, vous savez. On le remarque à peine."


Elle les regardait avec une incrédulité mêlée d'un amusement condescendant, comme s'ils venaient de lui raconter la meilleure blague de l'année.


Mercier sentit son estomac se nouer. C'était la première fois qu'il voyait un tel déni. Il s'attendait à des hurlements. Mais elle, elle restait là, droite, figée.


"Madame, les preuves sont accablantes," insista Morvan, sa voix se durcissant. "Quatre personnes ont été retrouvées mortes dans le secteur de Saint-Martin. Et tout pointe vers votre fils."


Le rire de la vieille s'éteignit, remplacé par une expression de mépris. "Jean-Pierre ? Non. C'était un enfant... turbulent, oui. Pas facile. Son père... il avait la main lourde. Mais Jean-Pierre, il a toujours été un bosseur. Il s'est rangé. Il a fait sa vie, proprement. Vous faites erreur. Des Jean-Pierre, il y en a des tas en Ardèche. Allez voir plus loin."


Elle s'écarta pour les laisser passer, la petite maison sombre et fraîche. L'odeur de vieux bois et de cuisine ancienne. Des photos jaunies sur une étagère, des visages du passé. Des images d'un Jean-Pierre enfant, maigre, les yeux déjà un peu trop profonds.


Ils entrèrent dans la pièce principale, une cuisine-salle à manger austère. Une vieille table en bois ciré au centre. Elle désigna deux chaises, puis s'assit elle-même, le dos contre le mur, les mains posées à plat sur la table. Ses yeux ne montraient aucune peur, seulement une obstination aveugle.


"Son père," commença-t-elle, sans les regarder, comme si elle se justifiait à elle-même. "Il était... un homme dur. La terre rendait dur. Les coups, les colères... C'était le pain quotidien, ici. Jean-Pierre, il prenait tout. Il ne disait rien. Mais il n'était pas méchant, non. Juste un peu solitaire, à sa manière. Il aimait sa tranquillité. Mais un bon fils. Il m'a toujours aidée. Il a même refait le toit l'année dernière."


Mercier écoutait, le souffle court. Il imaginait l'enfant, le gamin, absorbant la violence, la transformant en une pâte sombre au fond de son âme, mais la recouvrant d'une couche d'apparente normalité. Le monstre tranquille.


"On l'a élevé du mieux qu'on a pu," murmura la vieille. "Il a eu son lot de difficultés, c'est sûr. Mais il s'en est sorti. Il s'est racheté. Il a toujours eu le sens des responsabilités. C'est pour ça que ce que vous dites, c'est impossible. C'est une erreur. Vous devriez vérifier vos dossiers. C'est un autre Jean-Pierre que vous cherchez, sûrement. On en a tant, par chez nous."


Elle leva enfin ses yeux délavés vers les deux flics, une pointe d'agacement dans son regard. "Alors, vous avez des preuves solides ? Parce que moi, je connais mon fils. Et je ne crois pas à un mot de cette histoire."


Morvan laissa un long soupir. Il sortit une pochette plastique transparente de sa veste. Le plastique craqua doucement. À l'intérieur, on distinguait des photos. Des photos couleur, tirées sur papier glacé.


"Madame Dubois," dit Morvan d'une voix qui ne laissait plus de place au doute. "Nous avons trouvé son véhicule, une vieille fourgonnette blanche. Dans un bois, à une dizaine de kilomètres des corps. À l'intérieur..." Il marqua une pause, ses yeux s'accrochant à ceux de la vieille femme. "À l'intérieur, sous un siège, nous avons trouvé ceci."


Il sortit de la pochette une petite figurine. C'était un vieux soldat de plomb, l'uniforme vert écaillé, le fusil cassé. L'œil droit de la figurine manquait. Un détail infime, mais pour la mère, c'était le coup de grâce.


Les yeux de la vieille femme s'écarquillèrent. Son visage, jusque-là figé, se décomposa. La couleur la quitta. Sa main tremblante se tendit vers le soldat de plomb.


"Non..." murmura-t-elle. Le son était à peine audible, une plainte étranglée.


Morvan continua, sa voix grave, impitoyable. "Ce soldat de plomb, Madame Dubois, il était avec lui partout quand il était enfant. Vous nous l'avez dit, lors d'un signalement pour fugue il y a des années. C'était son unique jouet. Celui qu'il serrait fort quand son père le frappait."


La vieille femme ne respirait plus. Son regard hagard fixait la petite figurine. Ses souvenirs, qu'elle avait si soigneusement compartimentés, vinrent s'écraser contre cette preuve dérisoire et pourtant si dévastatrice. Le "turbulent" de son enfance, le "solitaire" de l'âge adulte, tout s'effondrait sous le poids de ce petit bout de métal. Le rire sec avait disparu, remplacé par un silence glaçant. Elle ne s'effondra pas en larmes, non. Ce serait trop simple. Elle s'enfonça plus profondément dans la chaise, ses yeux bleus devenus opaques, le regard perdu dans l'abîme. Le déni était brisé. Non par la violence des corps, mais par l'innocence brisée d'un jouet d'enfant.


Morvan sentit la chair de poule. Il n'y avait pas de plus grande destruction que celle-là. La destruction d'une illusion, la mort de l'espoir. La vieille femme était là, vivante, mais son monde venait de s'éteindre.


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