Faire le vide CHAPITRE VIII
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Faire le vide CHAPITRE VIII
CHAPITRE VIII : AU NOM DU PERE
Nastia était impressionnée par le lieu : elle était attablée dans un restaurant ultra chic du centre-ville, où les serveurs apportaient le pain avec une petite pince, et un sommelier conseillait pour le vin. C’était la première fois qu’elle mangeait dans un tel endroit : un vrai palace !
Nastia ne posait même pas de question sur les capacités de Manu à financer une telle sortie. Il allait s’en tirer pour plus de deux mille francs en une seule soirée, mais ça n’avait pas l’air de la perturber : elle était émerveillée par cet endroit luxueux. Manu passait une excellente soirée, et il savait que ça ne faisait que commencer. Le ravage préparé depuis plusieurs mois promettait d’être tout simplement exceptionnel. Une installation au millimètre avait été mise en place : murs anti-bruit, décors impressionnants dans l’immense sous-sol de la maison du Bois l’Abbé, matériel de tir acheté facilement dans une armurerie réputée pour sa discrétion mais aussi grâce à sa licence obtenue quelques semaines auparavant. Manu n’était pas fou : les armes prévues pour le ravage de Nastia étaient à plomb, les impacts n’étaient donc pas mortels.
Il s’impatientait tandis que l’impressionnant chariot de desserts arrivait près de leur table. Nastia voulut goûter tout un assortiment de ces fabuleuses douceurs, et Manu dût prendre sur lui pour ne manifester aucun signe d’impatience. Il commanda un digestif pour passer le temps. Nastia était repue et ravie de cette formidable soirée. Comment un garçon comme Manu avait pu tomber amoureux d’elle ? Certes, elle se savait mignonne, mais n’avait rien d’exceptionnel : jamais apprêtée, ni maquillée, ni vraiment bien coiffée. Elle ne venait pas d’une famille bourgeoise non plus, tandis que son amoureux cochait quasiment toutes les cases. Tout à ses réflexions, elle vit Manu se diriger vers la caisse du restaurant pour solder l’addition. Elle se hâta d’enfiler son gilet et s’accrocha tendrement à son bras.
« Es-tu prête à entrer dans mon monde Nastia ?
-Je crois que oui. »
Ils prirent la route vers la maison de Manu. La radio diffusait une musique de fond et Nastia semblait emplie de joie et de satisfaction. A l’entrée du lotissement, il croisa le regard de Loïc. Ce dernier se trouvait là, fidèle au poste au début des ravages, il contrôlait entrées et sorties du lotissement. Son clin d’œil confirma que tout se déroulait comme prévu. Quand le moteur de la voiture se coupa, Manu sortit et vint ouvrir la portière à Nastia. Comme d’habitude lors des ravages, il avait garé sa voiture sur le trottoir d’en face, devant la maison de Loïc. Il savait que tout était prêt à l’intérieur. Ses invités spéciaux attendaient dans la maison, tandis que les « acteurs » étaient en place soit dans les marches d’escalier menant au sous-sol, sois devant les paravents repeints spécialement pour ce ravage. Il devait faire passer Nastia par la petite porte du sous-sol située à l’arrière de la maison. Cela ne perturba pas Nastia car un joli chemin dallé menait jusqu’à cette porte.
Manu fit entrer Nastia dans le sous-sol qui était plongé dans une pénombre suffocante. Elle eut un mauvais pressentiment : un courant glacial venait de lui passer sur tout le corps, la chair de poule marquant ses avant-bras. Elle vacilla et se rattrapa sur une façade du sous-sol.
« Pourquoi n’allumes-tu pas la lampe ? osa-t-elle demander à Manu »
La voix de son amoureux s’était transformée pour laisser place à une inflexion autoritaire, dure, sans appel :
« Pour l’instant, c’est dans le noir que je veux que tu sois. »
Puis il l’empoigna par le bras sans ménagement et la fit assoir sur ce qui semblait être un bloc de résine. Nastia sentit son cœur battre fort dans sa cage thoracique. Elle ne se sentait pas en sécurité. Que lui voulait Manu ? Pourquoi ce ton glacial et cette soudaine autorité masculine dans ses paroles et dans ses gestes ? Elle discernait la présence oppressante de Manu tout près d’elle. Elle contrôla sa respiration, réfléchit rapidement aux actions qui s’offraient à elle. Pouvait-elle s’échapper par la porte empruntée quelques minutes auparavant ? Avait-elle la capacité de l’amadouer ? Manu ne lui laissa pas plus de temps pour les spéculations, il s’approcha de son oreille et lui dit froidement :
« J’ai eu tellement de patience pour t’apprivoiser, faire tomber tes barrières de jeune fille prude et indifférente aux hommes. Aujourd’hui, je te dévoile ma vraie nature, mon caractère très éloigné de celui que tu as pu apprécier jusque-là. »
Nastia écoutait avec attention le monologue de cet homme qu’elle ne reconnaissait pas. Cela lui glaça le sang.
« Tu n’as pas cherché à en savoir plus sur moi, sur mes fréquentations, ma réputation. Tu aurais dû Nastia, tu aurais dû. Ce soir, tu vas devoir faire pour moi quelque chose d’exceptionnel, d’inédit, de violent…
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Une détonation très puissante retentit au-dessus de leurs têtes. Des cris s’ensuivirent, provenant de l’étage mais aussi du sous-sol. Manu s’éloigna, puis le sous-sol s’éclaira et Nastia put observer la décoration de cette pièce : des murs anti-bruit, des canapés inoccupés et des tables sur lesquelles des verres à cocktail étaient posés, une carabine à plomb posée sur un présentoir qui lui était sûrement destinée, des paravents sur lesquels étaient peintes des scènes pornographiques mais on y regardant bien, les organes génitaux, eux, n’étaient pas peints, ils étaient bien réels : on les voyait dépasser par des trous plus ou moins gros : ici un sein, là un sexe d’homme, ou encore ici des fesses, tout cela appartenant à de vrais êtres humains… Nastia leva la tête vers la montée d’escaliers où se trouvaient un couple nu et l’air apeuré. Malgré le bruit de l’explosion survenue quelques secondes avant, personne ne bougea à part elle. Manu n’était plus au sous-sol. Il devait se trouver à l’étage pour comprendre d’où venait ce bruit assourdissant qui résonnait encore dans la pièce. Tout le monde restait figé. On aurait dit des sculptures de cire de mauvais goût. Nastia s’approcha du présentoir où était posée la carabine et les munitions. Elle ne prêta pas attention aux différents bruits venant de la maison. Elle s’imagina le scénario prévu par Manu la concernant : il voulait qu’elle tire littéralement sur des gens nus, sans défense. C’est cela qu’il avait prévu pour elle… Mais dans quel but ? Pourquoi ces canapés et ces cocktails ? Pour des spectateurs avides de torture et de sexe ? Elle chercha autour d’elle des caméras. Manu filmait certainement toutes ces horreurs. Puis des pas lourds descendirent vers le sous-sol. Un homme, couvert de poussière et de sang, apparut devant Nastia. Pendant une fraction de seconde, il lui sembla qu’elle le connaissait. Il prit la parole en s’adressant à toute la salle :
« Où est cet enfoiré de Manu ? »
Nastia s’entendit dire :
« Il est monté à l’étage il y a peu de temps. »
Vassia reprit :
« Allez ! Rhabillez-vous ! Et quittez ce lieu de dépravation. Vu le bruit que je viens de faire, la police ne devrait plus tarder. Et je suppose que vous ne voulez pas avoir à faire à la police n’est-ce pas ? Surtout, ne partez pas vers la forêt, rejoignez plutôt la grande route. Des amis à moi seront là. Dites-leur que Vassia vous a trouvés et libérés de cet enfer.»
Puis il les menaça de son arme en disant qu’ils avaient intérêt à ne rien dire sur ce qui s’était passé ici à la police, sous peine de subir sa colère.
Nastia vit toutes les personnes du sous-sol sortir de leur léthargie et se précipiter vers des casiers d’usine afin de récupérer en hâte leurs habits et quitter la maison des supplices. Nastia ne bougea pas d’un pouce.
L’homme se planta devant elle et lui annonça sans ménagement :
« Tu es peut-être douée pour le tir ma fille, mais très décevante concernant tes choix amoureux ! Va m’attendre dans la maison en face. »
Nastia n’était pas en capacité de penser ni de réfléchir, ou même de répondre à cet homme impressionnant qui venait de lui annoncer qu’il était son père. Son père mort en Russie. Son père, son héros, décrit dans les histoires de sa mère comme un homme courageux, qui avait sauvé la vie de son meilleur ami en donnant la sienne lors d’une soirée qui aurait mal tournée. Son père mort … Et sa mère qui lui disait avoir quitté la Russie, enceinte de quelques mois, car elle n’y voyait aucun avenir là-bas sans son âme sœur.