Propos liminaires - Le Sang d'un peuple
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Propos liminaires - Le Sang d'un peuple
« Gravats grécités. Cinq syllables, deux petits mots, et les civilisations cessent de se penser immortelles. A l'instar des hommes elles s'éveillent, désirent et périssent. Résolues à aiguiser leurs emprises les unes sur les autres, elles se pavanent puis plastronnent dans des parades bigarrées. Carbriolant ainsi de saynètes répétées en pantalonnades ubuesques, elles laissent succéder au siècle des abus le siècle des excès.
Sachez, lecteurs outre-tombaux, que si je fus logographe illustre, je ne suis aujourd’hui guère plus qu’un pauvre hère déguenillé survivotant au chaos. L'heure approchant, un érudit du pouvoir des mots sait la valeur du témoignage pour ses successeurs. Que les mots stoppent les maux. Faute d'être l’œuvre de ma vie, peut-être sera-ce là la seule trace de moi qui passera à la postérité. Ma main tremble déjà alors que mon esprit me susurre les visions cauchemardesques que je me dois de narrer. Ce sera un texte court et concis, un texte d’histoire, un texte de mort et de désolation.
Lorsque les citoyens urbains et vertueux se muent en soldats bardés de fer et que les marques de labours de la glèbe disparaissent sous les lourds sabots des chevaux caparaçonnés, le sceau de la paix tremblotante se délite et en sonne le glas. Ce fut chose faite et, alors que j'écris ce récit, la dernière cité de ma patrie, Escatimoria, subit le fléau de la mort infligé par les ultimes forces ennemies. Honteux de ma lâcheté, je surplombe ma superbe cité en proie au déluge dévastateur, je regarde les rues pavées de marbre rougir, et je sens les écrits de la grande bibliothèque s’effacer dans les flammes. C’est avec le goût amer du linceul de fumée que je m’enfonce dans les profondeurs de ma caverne - ou plutôt de mon caveau - pour achever mon œuvre.
Tout est fini. Bien que les foyers ardents refusent de s’éteindre, je vois bien qu’il ne reste plus grand-chose à brûler. Ma civilisation est morte. Un nouveau monde est né de la main de l’homme mais délivré de sa présence. Puissent ces quelques lignes porter le souvenir de ma civilisation. Parfois les mots sont le sang d’un peuple. »
Ecrit découvert près des ruines d’Escatimoria attribué à Euphrosin par le panel délégué à la commission d’enquête historique (CEH)