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2 avril : Journée internationale de sensibilisation à l'autisme

2 avril : Journée internationale de sensibilisation à l'autisme

Publié le 2 avr. 2021 Mis à jour le 2 avr. 2021 Curiosités
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2 avril : Journée internationale de sensibilisation à l'autisme

Je ne pense pas assez…

…comme les autres

« Quarante-trois ans que je pense, donc je suis ?

Si je vous dis « je suis autiste », je sais que vous allez me répondre que ça ne se voit pas. Tu m’étonnes, 43 ans que j’essais de me fondre dans la masse.

Mais je suis qui en fait ? Une femme, un homme, un extraterrestre, un zèbre, un caméléon, une pieuvre. Peut-être tout ça en définitive. Et si finalement j’étais juste moi, avec un panel de caractéristiques différentes des autres mais aussi des semblables. En effet j’ai une tête, deux yeux, un nez, une bouche pleine de dents, deux oreilles, des cheveux, deux bras agrémentés d’une main chacun, un tronc, un sexe, deux jambes avec aux bouts des pieds. Comme tout le monde dans ma tête j’ai un cerveau avec des neurones, mais avec des connexions différentes et c’est là que « je ne pense pas assez comme les autres » prend tout son sens.

Je ne sais pas fonctionner autrement, comme vous. Tout comme vous, vous ne savez pas fonctionner comme moi. Quand on me dit « t’es bizarre quand même », « ça va passer », ou bien encore « tu te prends bien la tête pour rien », « pourquoi tu t’intéresses à ça ? », « tu pourrais faire un effort ». Mais enfin je fais comment ? Il est où le mode d’emploi ? C’est inconcevable pour moi de penser ou faire différemment. C’est comme si je disais à un aveugle : « Tu n’arrives pas à voir ce magnifique coucher de soleil, allez prends sur toi, tu ne fais pas beaucoup d’efforts aussi » ou à un malentendant : « tu n’entends pas cette musique, c’est bizarre, t’inquiète ça va passer ». Vous comprenez avec cette analogie que c’est logique qu’un aveugle ne voit pas le soleil se coucher en Bretagne et qu’un sourd ne s’émerveille pas quand Céline Dion passe à la radio, ceci dit ce n’est pas un super exemple Céline 😁
Vous comprenez même aisément que c’est inapproprié comme remarque. Ça ne vous viendrez même pas à l’esprit, alors pourquoi je devrais subir ce type de propos, juste parce que mon fonctionnement différent ne se voit pas, il suffit de faire confiance aux personnes concernées et ne pas juger sans connaître.
Chez moi c’est intrinsèque, inné, mon lot quotidien, je ne pense pas assez comme les autres et on me le renvoie bien.

Dans l’enfance j’aimais jouer aux petites voitures, avec mes Playmobil, grimper dans les arbres, aller à la pêche, mais je suis une petite fille et je suis déjà en décalage avec les personnes qui me ressemblent physiquement. Je ne pense pas assez comme les petites filles qui jouent à la poupée, portent des robes, ont des beaux cheveux long. A cette époque j’ai seulement quelques centimètres sur la tête, car mon cuir chevelu est très sensible et je crains énormément les cheveux (ça n’a d’ailleurs pas changé), je porte des pantalons, ben oui c’est plus simple pour grimper aux arbres.

Au collège, les adolescentes de mon âge aiment déjà porter un peu de maquillage, s’intéressent aux garçons et s’imaginent déjà mariée avec des enfants dans une grande maison. Encore une fois je ne pense pas assez comme les jeunes filles de treize ou quatorze ans. Je ne les comprends même pas. Leurs sujets de discussions sont irréels et me passent totalement au-dessus de la tête. J’ai même du mal à me définir par rapport à un genre. Fille ou garçon, peu importe, je suis moi. J’ai souvent entendu « tu es un garçon manqué », j’ai envie de répondre « non, une fille réussie ».

Ce qui me fait vibrer à cette époque, c’est d’être libre, ce besoin viscéral d’indépendance. Partir avec mon vélo à l’aventure, explorer mon entourage, découvrir le monde avec excès et avidité. Je veux vivre dans les nuages.
A treize ans je veux une mobylette, je n’ai pas l’âge et je suis en colère de devoir attendre mes quatorze ans, je ne comprends pas, qu’est-ce que ça change un an de plus ? Je suis prête depuis longtemps et je dois encore attendre, toujours cette norme à laquelle je dois me soumettre. Heureusement dans mon entourage proche, il y a des personnes plus âgées, j’aime être avec elles et j’emprunte leurs deux-roues à moteur. Ça va vite, ça va loin et sans effort. C’est le paradis pour moi et mes connexions neuronales qui carburent à plein pot.
Le jour de mes quatorze ans, j’ai eu cette si attendue mobylette, elle était différente elle aussi, turquoise avec les roues roses et beaucoup de chrome torsadé. On me dira plus tard qu’elle ne passait pas inaperçue et qu’elle me correspondait bien, je n’en avais pas conscience à l’époque, je la voyais juste comme un moyen de locomotion. Elle a été mon fidèle destrier durant quatre ans.

Les années lycées se passent tant bien que mal, je ne saisis pas les enjeux et que je prépare déjà mon avenir. Tout cela est très abstrait pour moi. Je ne me pose pas de question sur l’avenir, non pas que je m’en fiche, mais simplement je n’imagine pas l’avenir. Je suis là dans l’instant, je tente d’apprivoiser mes premières angoisses, je me crois folle. Je le conçois à ce moment, je ne pense pas assez comme les autres.

Au moment de faire un choix d’orientation, je suis bien incapable de choisir. Je m’intéresse à pleins de choses et peine à canaliser mes envies. Je veux faire plusieurs métiers. J’aime la moto et si je devenais championne de motocross ? J’ai la tête dans les nuages et me passionne pour l’univers, je pourrais devenir astronaute. La maladie m’angoisse et je veux guérir tout le monde, pourquoi pas chercheuse pour concevoir des médicaments ? Je ne supporte pas l’injustice, très bien, je veux devenir juriste. J’aime dessiner depuis l’enfance alors je pourrais être bédéiste. Et pourquoi pas journaliste d’investigation pour assouvir ma soif de vérité et de justesse de l’information. Toutes ces idées me traversent, je passe d’une idée à une autre en quelques mois et je suis perdue, je ne sais pas faire de choix.
Je me laisse donc porter, mes choix sont hasardeux, je me dirige vers des études où il faut communiquer à l’oral alors que je déteste ça, je n’ai aucune confiance en moi. J’arrive à avoir le baccalauréat, sésame sans lequel on me fait croire que je n’arriverais à rien et j’y crois, pourquoi on me mentirait. Le fait d’avoir des diplômes ne fait pas de moi une personne qui va réussir. Je ne sais toujours pas à quoi ça peut servir. Là où on nous abreuve de « il faut des diplômes pour réussir à avoir un travail et réussir sa vie », pour moi tout cela est dépassé. Non décidément je ne pense pas assez comme les autres. J’ai des diplômes mais j’ai une impression d’inachevée, de ne pas avoir fait les choix les plus justes.

Revenons sur cet après baccalauréat, je suis les autres tel un mouton et m’oriente vers un DUT dans une filière qui ne me plaît pas, le commerce. Les étudiants sont pour moi des extraterrestres, je ne comprends pas leurs blagues et suis à côté de la plaque, ils me font peur. J’ai tenu deux mois. S’en est suivi une année à ne rien faire. Quelques petits boulots par ci par là, beaucoup de sorties alcoolisées pour oublier ma situation, je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie.
Je me dirige finalement vers un BTS toujours dans un domaine qui ne me plaît pas mais cette fois-ci je tiens le coup. C’est dans une petite ville et mes camarades sont simples. Et surtout j’ai mon premier appartement, mon indépendance. Comme je ne pense pas assez comme les autres, je vis avec le strict minimum. Une assiette, un verre, une poêle, une casserole, un canapé, une table basse, une télévision, non pas que je n’ai pas les moyens d’avoir plus, seulement ça ne me vient pas à l’idée que je pourrais inviter ne serait-ce qu’une personne. Je mange quasiment tous les midis la même chose, gougère/flan et je sympathise avec deux filles de ma classe qui m’appelle la foldingue. Je pense que ce n’était pas méchant mais aujourd’hui je doute. Je ne comprends toujours pas trop les implicites et sous-entendus.

Je suis arrivée dans la vie active en prenant ce qui se présentait à moi. J’ai commencée par de l’alternance dans un domaine qui me plaisait mais où je m’ennuyais terriblement, je ne sais pas si c’est parce qu’on ne me donnait pas assez de travail ou si j’allais trop vite. J’avais du mal à appréhender les codes de l’entreprise. Quand le téléphone sonne dans le bureau de votre collègue et que vous êtes en train de discuter avec lui, il faut partir ou rester ? Il faut faire la bise et/ou serrer la main ? Quand on vous dit « Christelle nous a quitté », elle est partie de l’entreprise ou elle est décédée ?
Puis je me suis retrouvée dans une autre entreprise à un poste de débutante mal payé mais qui me plaisait. Quelques temps après, un poste bien payé mais qui ne me plaisait pas et toujours cette incompréhension de ce qui se passait dans les relations sociales. Avec cette hiérarchie qui me bouffe, je ne comprends pas les enjeux qui se trament pour évoluer. Devant la méchanceté gratuite et l’incompétence managériale, je prends la fuite pour survivre. J’imagine que c’est mieux ailleurs et ça l’est dans un premier temps. J’ai trente ans et je commence à comprendre les relations humaines et sociales. Je me prends au jeu, j’imite à la perfection mes semblables, je fais mêmes des pauses et bois du café (alors que je détestais ça). Je refoule mes angoisses et je suis persuadée d’être comme tout le monde, enfin.

Les années passent avec des hauts et des bas, je réprime totalement mon fonctionnement. Puis petit à petit, les angoisses sont plus fortes, j’ai de plus en plus de mal à faire semblant. A nouveau je ne comprends pas la malveillance, le manque d’indulgence, les sous-entendus, la méchanceté, le manque de cohérence et de bon sens. Tout cela m’affecte profondément. Je suis dans l’incompréhension totale, moi qui avais tout assimilé, tout bien fait comme les autres, ça me revient en pleine tête comme un boomerang. Je n’ai rien vu venir. Pendant quelques temps j’ai eu l’illusion que je fonctionnais comme les autres. En quelques mois je prends conscience que non, je ne pense pas assez comme  +99 % de la population. Je suis un peu perdue et me demande ce qu’il m’arrive. Tous mes sens sont en alertes et me crient DANGER ! DANGER !
Qu’importe les autres y arrivent alors moi aussi, il n’y a pas de raison que je n’y parvienne pas. Mais mes œillères deviennent de plus en plus transparentes, je vois et déchiffre enfin comment le monde tourne. Quelle claque, je pensais faire une crise de la quarantaine, mais en fait non, je me suis voilée la face durant tout ce temps, pour rentrer dans le moule, ne pas faire de vagues, être transparente. C’est étrange comme sensation. C’est un mélange de vide, de peurs, d’étouffement mais aussi d’espoir.

À ce moment-là je relis mon existence avec une nouvelle grille de lecture. Les souvenirs reviennent, tout fait sens désormais.

  • Les colères incompréhensibles
  • Une préférence à être entourée de garçons et de personnes plus âgées.
  • Mes sens exacerbés.
  • Ne pas me sentir à ma place à l’école au point d’en faire de la phobie scolaire et me faire du mal.
  • Ce besoin d’être dans mon monde. De m’isoler pour me ressourcer.
  • Une adoration pour les chiens qui sont fidèles et ne jugent pas.
  • Cette nécessité d’être stimulée et de vouloir suivre dix projets en même temps.
  • Cette soif d’apprendre jusqu’à m’en écœurer.
  • Ne plus vouloir copier les interactions sociales qui ne sont pas faites pour moi.
  • Ce syndrome de l’imposteur toujours présent alors que je vais deux fois plus vite dans certains domaines.
  • Un perfectionnisme qui m’empêche d’être satisfaite
  • Une pensée en images et très détaillée
  • Ma maladresse légendaire
  • Ce besoin d’être rassurée sans cesse
  • Cette envie d’explorer pleins de domaines
  • Cette phobie de l’ennui
…Liste non exhaustive

Je suis un être humain, un extraterrestre, un zèbre, un caméléon, une pieuvre ?

Tout simplement un personne autiste Asperger.

Je ne pense pas assez comme les autres, car je suis tout ça. »

Ce texte, je l’ai rédigé en novembre 2018, peu de temps avant mon burnout et avant de savoir que j’étais autiste Asperger.
Il a été fait dans le contexte d’un groupe Facebook et pour prendre à « contre pied » le livre de Christel Petitcollin "Je pense trop" . Nous sommes une dizaine je crois à avoir écrit un texte avec comme consigne juste « Je ne pense pas« . Chacun(e) était libre de s’exprimer comme il le souhaitait.
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