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Rencontre avec Alicia Bouffay

Rencontre avec Alicia Bouffay

Publié le 6 févr. 2023 Mis à jour le 7 févr. 2023 Culture
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Rencontre avec Alicia Bouffay

 

Jack se réveilla avec une sale migraine. À croire qu’il avait perdu l’habitude de boire. Ou alors c’était la qualité du whisky qui était à revoir. Son nez était gelé, sa gorge piquait. Il se leva à grande peine, s’enveloppa dans sa couverture pour se faire un café. Il faisait un froid glacial dans la cabane.

« Il faut absolument que je fasse réparer ce poêle. Surtout si je décide de rester. » pensa-t-il.

Jack était né à Los Angeles et avait toujours vécu en Californie. Quarante-sept Noëls sans jamais descendre au-dessous de 15 °C. Cette année, il passerait les fêtes seul au fin fond du Montana, dans ce coin perdu. Dans cette petite cabane au confort sommaire. Absolument pas le « cocon douillet » que lui avait décrit son boss. Sacré Max, quelle bonne blague cette affaire. Pas étonnant qu’il n’avait trouvé personne d’autre pour ce job. Comme d’habitude, Jack était le seul inspecteur célibataire, sans enfants. Même pas une mamie à inviter pour le réveillon. En lui offrant une vodka et un cigare, son chef lui avait expliqué l’affaire. Un meurtre, cinq suspects. Pour Max, la clé de l’histoire, la solution de l’énigme se trouvait là, dans cette cabane. Le lieu du crime.

L’idée était d’y passer quelques jours, plusieurs semaines peut-être. S’imprégner du lieu, des paysages. La réponse serait dans l’ambiance, dans l’espace, entre ces planches pourries, dans ce froid glacial. Jack devait se fondre dans l’environnement, devenir habitant des montagnes, des vallées et des champs.

L’inspecteur posa sa tasse dans le petit évier, mit son manteau et ses bottes. L’homme ouvrit la porte de la cabane. Il ferma les yeux, ébloui par la neige qui avait tout recouvert pendant la nuit.

Texte de Alicia Bouffay.

 

 

 

Le calme et silence des lieux étaient des plus impressionnants, presque irréels. Jack n’avait vraiment pas l’habitude, il préférait l’ambiance surexcitée de la ville : klaxons, bruits de moteur et hurlements. Mais aujourd’hui, il n’était pas mécontent d’être loin de tout ce brouhaha. Son mal de crâne en serait que plus supportable.

« Maudite affaire ! » bougonna-t-il avant de retourner au chaud.

Il n’avait aucune envie de mettre un pied dehors pour l’instant, la neige avait probablement tout effacé de toute façon. Il ne lui restait plus que les notes et photographies du dossier que lui avait confié son commandant.

Il contourna le dessin morbide du corps de la victime pour aller s’asseoir à la table. Une table de bois massif qui occupait presque tout l’espace de cette vieille bicoque. Une couverture sur les épaules, la lampe à huile allumée juste devant lui, il éparpilla toutes les pièces à étudier. Il cherchait le rapport d’autopsie. Il avait besoin d’examiner le corps, de comprendre ce qu’on avait fait subir à cette pauvre femme.

« D’après le doc, la victime a reçu 15 coups de couteau avant d’être égorgée […] post-mortem, multiples brûlures de cigarette. » bredouilla Jack en pleine lecture.

Il observa attentivement la mise en scène du meurtre. Il reconnut l’évier dans lequel on avait retrouvé l’arme du crime, le lit dans lequel le tueur aurait dormi après avoir tué la jeune femme, et le plancher sur lequel le corps avait été retrouvé. Elle avait l’air endormie sur le sol, un mince bouquet de fleurs sauvages sur les mains posées sur sa poitrine généreuse. Ses vêtements étaient propres et son visage serein, comme si elle n’avait pas souffert.

Jack reprit le rapport du doc pour vérifier les analyses : positive au GHB. Elle avait été droguée, mais aucuns sévices sexuels. Décidément, tout cela n’avait aucun sens. C’était comme si on avait affaire à plusieurs tueurs, plusieurs profils : le calculateur, le passionné, le psychopathe et celui qui regrette. En définitive, cette histoire allait être beaucoup plus captivante que prévu et valait bien quelques jours à se geler les fesses dans ce cercueil.

Texte de L. S. Martins.

 

 

 

Quelqu’un tambourinait à la porte. Ou était-ce une bête sauvage cherchant à briser la cabane ? Le bruit réveilla Jack qui s’était assoupi sur le rapport après avoir terminé la dernière bouteille d’un très mauvais whisky.

Jack, l’arme à la main, et une peur toute citadine au ventre, alla ouvrir. Ce n’était pas ni un ours, ni le Bigfoot, mais une femme.

La trentaine, un regard perçant, et une stature impressionnante. « Excusez-moi bien, hé, je crois que j’ai tapé un peu fort… » puis confuse « Je vous réveille ? Grand dieu, vous m’en voyez navrée. »

Elle avait l’air aussi timide qu’elle était baraquée. Jack la fit entrer. La dame se présenta. Elle s’appelait Jena, la plus proche voisine de la victime. Elle habitait un chalet avec tout le confort moderne à seulement dix kilomètres de là. Mon Dieu que c’était triste, disait-elle, de revenir ici maintenant qu’Angie était morte.

Jack lui proposa un café, Jena déclina trois fois l’invitation. « Ne vous donnez pas cette peine, je suis gênée… » puis finit par accepter en le remerciant avec effusion.

Il avait été entendu avec le commandant que Jack était ici incognito. Il devait mener son enquête en douce, se faire passer pour un bobo de la ville qui voulait goûter une nouvelle expérience, faire une retraite, complètement « déconnecter ». L’inspecteur demanda à Jena ce qu’il s’était passé.

« Oh, je ne sais pas trop, vous savez. La police a déjà mené son enquête, et cela n’a rien donné.

— Ils vous ont interrogée ?

— Moi ? Oh, oui, c’était bien embêtant. Je n’ai pas trop compris pourquoi, j’habite à dix kilomètres de là… je n’ai rien entendu.

— Mais vous vous connaissiez bien ?

— Oui, enfin… c’est horrible, ce qu’elle a dû endurer… et puis…

— Oui ?

Jena se tut, elle reposa sa tasse puis se racla la gorge.

— Y avait ce détail qui m’a toujours intrigué, vous savez. J’en ai parlé plusieurs fois à la police, mais ils ne l’ont jamais relevé. Le shérif était plus préoccupé par sa réélection que par la résolution de cette affaire, si vous voulez mon avis.

— Alors, ce détail ? dit l’inspecteur, l’invitant ainsi à poursuivre. Peut-être que l’histoire allait progresser plus vite qu’il ne le pensait.

— Et bien, continua Jena, hé bien, Angie, le bouquet qu’on lui a retrouvé dans les mains, ces fleurs sauvages…. En réalité, c’est une variété qui n’existe pas.

Texte de Alicia Bouffay.

 

 

 

Jena se pencha et pointa de la tête le dessin morbide encore visible sur le sol :

« Ça vous dérange pas trop ? C’est un peu glauque comme ambiance, même pour un gars de la ville, non ? »

Jack l’avait complètement oublié, tout comme le dossier éparpillé sous la grosse laine qu’il avait sur le dos avant son arrivée. Heureusement que Jena n’avait pas remarqué les photos du cadavre sur la table devant elle, parce qu’il aurait été bien incapable de justifier leurs présences sans faire sauter sa couverture !

« Non, au contraire… c’est encore plus existant ! vous vous rendez compte, je dors à l’endroit même où une pauvre fille a été assassinée ! Et vous dites en plus qu’il y a un mystère pas encore élucidé ? Quand je vais raconter ça à Los Angeles, personne ne va vouloir me croire… »

Jena le toisa du regard, mais elle semblait avoir mordu à l’hameçon. Elle se leva, prête à partir : « Vous m’croyez, alors, quand j’dis que ces fleurs n’existaient pas ? » Elle avait les larmes aux yeux et la lèvre qui tremblait.

Même s’il n’avait pas envie de consoler cette femme, Jack saisit la perche et l’invita à se rasseoir en s’excusant pour sa maladresse. Il n’avait pas l’habitude de traiter avec les proches des victimes et manquait clairement de tact. « Laissez-moi ranger tout ça, et reprenons du début ? Vous voulez bien, Jena ? » Jena acquiesça timidement de la tête, avant de prendre sa tasse pour occuper ses grandes mains.

Jack ramassa maladroitement le dossier avec la couverture, laissant tomber une photo. Heureusement, Jena n’avait pas eu le temps de la voir. Jack posa son pied dessus et la tira vers lui pour la ramasser. Il posa le tout sur son lit et retourna vers la seule personne qui semblait avoir des réponses à lui apporter.

« Qu’est-ce qui vous fait dire que ces fleurs n’existent pas ? » demanda-t-il doucement. Il ne voulait surtout pas effrayer Jena.

« Je travaille avec les fleurs, je les connais. Elles n’ont pas d’secret pour moi ! » dit-elle fièrement. C’était la première fois qu’elle avait cette assurance dans le regard. De toute évidence, elle savait parfaitement de quoi elle parlait. « Les fleurs que la p’tite Angie avait dans les mains, c’est un croisement entre une orchidée et une fleur sauvage, l’Edelweiss. Mais c’est très difficile à faire. Il faut de bonnes connaissances en botanique pour réussir un truc pareil. »

Texte de L. S. Martins.

 

 

 

Jack ne dit rien, il avait besoin de prendre son temps pour assimiler l’information. Il jeta un regard à la petite fenêtre. Il neigeait à nouveau. C’était de gros flocons, il imaginait déjà la porte croulant sous le poids de la glace, la porte qu’on ne pourrait même plus ouvrir, la nuit qu’il faudrait passer ici, bloqué, avec Jena, cet étonnant personnage… Oui, Jena était un personnage échappé d’un roman d’Agatha Christie. Se prenant à la fois pour la suspecte, la témoin, la détective… S’il fallait d’excellentes connaissances en botanique pour produire les fleurs tenues par la victime… il en fallait aussi pour le savoir, non ?

L’inspecteur se demanda si la voisine n’était pas un peu cinglée, au moins autant que lui. Très logiquement, il lui proposa un verre de whisky.

Texte de Alicia Bouffay.

 

 

 

Il espérait un peu que quelques gouttes de ce doux breuvage lui délient la langue. Son flair ne se trompait jamais : il était persuadé que derrière cette apparence de femme timide et sotte se cachait un brillant cerveau. Jena était un personnage beaucoup plus compliqué qu’elle ne voulait le laisser croire. Et c’était le moment idéal pour découvrir ce qu’elle lui dissimulait.

Après de longues minutes d’un silence pesant, elle siffla son verre de whisky avant d’annoncer d’une voix sifflante : « Je devrais partir avant que la nuit tombe. »

« Je crains qu’il ne soit trop tard. La neige doit bloquer la porte à présent… », annonça Jack d’un air triomphant.

Elle se leva précipitamment pour se diriger vers la fenêtre. L’inspecteur disait vrai, la neige recouvrait le chemin et devant la porte déjà un bon mètre s’était accumulé. Elle était coincée avec cet individu étrange. Il fallait être cinglé pour venir s’enfermer dans une cabane perdue en plein milieu des bois en hiver et, qui plus est, était la scène d’un crime épouvantable. Elle ne se sentait pas en sécurité, ici, mais elle n’avait guère le choix. Avec la nuit qui allait tomber, même en connaissant la forêt, elle avait de grandes chances de se perdre. Si seulement elle avait fait plus attention ! Quelle idée de revenir ici. La chaleur de l’alcool la calmait doucement, elle avait besoin d’un autre verre.

Elle tendit timidement sa main vers la bouteille et se servit un fond qu’elle but d’une traite. Il lui faudrait du courage pour affronter cet homme beaucoup trop curieux. Il lui faudrait du courage pour ne pas lui dire tout ce qu’elle savait sur cette sordide affaire.

Texte de L. S. Martins.

 

 

 

Jena, yeux mi-clos, n’était pas ivre, comme le pensait Jack. Jena réfléchissait. À comment raconter cette histoire. Il lui semblait qu’il faudrait commencer du début. Remonter à l’enfance. Ses premiers souvenirs. Ses parents, son chien, la maison en ville.

Sa rencontre avec Angie. C’était un jour de grande désolation pour Jena. Elle pleurait toute seule, assise par terre, dans la cour de récréation. Personne ne voulait jouer avec elle. Elle était trop grande, elle parlait trop fort… Angie lui a tendu la main. « Allez, viens voir, j’ai des billes ! » Angie ne trouvait pas que Jena était trop. Jena trouvait Angie parfaite. Elles se sont tout de suite entendues. Elles avaient cinq ans.

Texte de Alicia Bouffay.

 

 

 

Comment pouvait-elle expliquer tout ceci sans se trahir ?

L’homme assis devant elle était d’une curiosité malsaine. Elle le savait pertinemment, il ne la lâcherait pas. Elle pourrait inventer, bien sûr, mais ce n’était pas son point fort. Elle n’avait jamais su mentir. C’était Angie la créative…, surtout lorsqu’il s’agissait de raconter des histoires. Elle était si brillante. Elle avait un tel génie pour toutes ces choses-là. Elle aurait pu être une scientifique de renom si elle n’était pas aussi désordonnée. Aussi extravagante dans ses idées.

« Je connaissais très bien Angie ». La voix de Jena était comme un souffle : sourde et légère. Le secret était brisé. Elle attendait une réaction, un cri de la part de l’individu assis devant elle, mais il ne sourcilla pas. Pouvait-il déjà le savoir ? Non, c’était impossible. Il ne connaissait rien de sa vie. Rien de ces lieux… Jena commençait à douter. Douter d’elle-même. Douter de cette histoire sordide. Angie était-elle réellement morte ? Ou tout ceci n’était qu’un autre de ses cauchemars ?

Je connaissais très bien Angie. Ces quelques mots tournaient en boucle dans l’esprit de Jack. Elle avait enfin craché le morceau, mais en quoi cette révélation pouvait l’aider dans son enquête ? De toute évidence, Jena tenait à Angie et il la voyait mal la poignarder 15 fois. Non pas qu’elle n’en avait pas la force – non, vu sa posture elle aurait pu le mettre à terre, lui et ses 90 kg de muscles –, mais elle n’avait pas le profil.

 Texte de L. S. Martins.

 

 

Textes de Alicia Bouffay et L. S. Martins. 

Image par Nicky ❤️🌿🐞🌿❤️ de Pixabay 

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Commentaires (3)

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Snakecroqueur il y a 1 an

On va finir par faire un quatre mains sur un jack ^^

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Snakecroqueur il y a 1 an

C'est le même Jack de mes histoires ? 😜😜😜

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