[Making-of] Mise en mouvement collective
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[Making-of] Mise en mouvement collective
Edito
La campagne de crowdfunding du roman arrive (9 mai au 17 juin), ça se passe ici : https://fr.ulule.com/ponsamaro/coming-soon/preview/
Après un atelier à l'école des vivants et une relecture du livre par l'auteur de science-fiction Alain Damasio, le roman évolue. Voici une scène coupée lors de la réécriture de la version 3. Afin de dynamiser le récit, certains passages sont supprimés ou retravaillés, malgré l'affection que peut avoir l'auteur pour eux. Ici, le contenu de l'intrigue n'est pas supprimé, mais il est intégré dans une ellipse temporelle décrite brièvement dans un chapitre ultérieur. Est également présenté un extrait du cahier de Rahul qui donne des indications techniques sur la vie à Ponsamaro, ainsi
Cahier de Rahul - Mise en mouvement collective
Intention : engager pleinement un collectif d’individus dans la réalisation d’un projet, en prenant en compte les ressentis, les aspirations et les idées de toutes et tous.
Processus : une personne se présente comme source d’un projet, elle expose clairement son intention au groupe, la raison d’être de la démarche ainsi que les contraintes proposées. Après un temps de silence introspectif, chaque personne du groupe partage : ce qui lui convient, ce qui va dans le mauvais sens, ses questions franches, ses préoccupations, ses envies profondes. La raison d’être du projet est ensuite challengée pour s’assurer de la pertinence du changement proposée, on s’assure qu’il n’y a pas de non-dits. Un temps d'intelligence collective permet à chaque personne d’apporter ses idées et de s’engager là où elle est appelée, débouchant sur les premiers pas concrets.
Commentaire : cette pratique, parfois appelée Fusée, est facilement adaptable en fonction du nombre de personnes et de l’habitude des participants à ce genre d’exercice. Connaître la courbe du deuil aide à accueillir les divers ressentis face à un changement : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation, construction.
Ma première tentative de mise en mouvement d’un collectif a été douloureuse. Elle m’a permis de comprendre que le ressenti d’une personne lui appartient, qu’il exprime des besoins indépendants de mon être. M’identifier à mon sujet a été mon erreur. Au contraire, ignorer les étapes de ressentis et d’aspirations est un bon moyen de forcer le changement, cela n’est pas pérenne en revanche. La rétroaction systémique peut être brutale, mon père en sait quelque chose…
Extrait du chapitre 5 (reconverti en ellipse)
[...]
Un amphithéâtre se dresse devant moi, des citoyens de tous âges parsèment les quelques rangées de bancs. Une jeune femme blonde, peut-être la vingtaine, se tient devant une audience qui ne me prête aucune attention. Je décide de m'asseoir et d’assister à ce spectacle. Les fenêtres dans notre dos inondent la salle de lumière, j’ai la sensation agréable de chaleur dans mon dos.
Sur le grand tableau à deux panneaux coulissants est écrit « Fusée - Fête de l’été ». Je questionne discrètement un voisin, qui me précise qu’il s’agit de l’organisation de la célébration annuelle avant les grandes chaleurs. Remerciant l’homme, je prends mes distances pour écouter cette femme s’entretenir avec l’amphithéâtre. Je prends la conférence en route.
— …et donc pour cet été, je propose des caravanes d'humour itinérantes, qui passeront une nuit dans chaque quartier. Chacune et chacun seront préparés dans la joie pour la période d’éternation, plaisante-t-elle.
Des mains s'agitent en approbation dans l’assemblée, on dirait un dialogue de sourd-muet. Elle invite les participants à faire part de leurs ressentis sur son partage d’intention. Un homme âgé, visiblement sur la réserve, ouvre le bal de manière appuyée.
— Il va falloir un paquet de caravanes pour couvrir les 250 quartiers. Je suis sûr que certains seront délaissés comme l’année dernière.
— Ça me met en joie, continue une femme enthousiaste. En tant que représentante de quartier, j’ai hâte de participer activement à la réussite de la fête.
— J’ai un peu peur pour ma part, exprime un jeune père. L’année dernière, l’humour était bien noir, je me questionne sur le développement de mes enfants. Ils ne veulent rater ce moment pour rien au monde…
— Il y a 3 ans, un conflit de voisinage nous a empêchés de faire la fête. Depuis, plus aucune caravane n’est passée, ça me rend triste.
Cela continue pendant un long moment, chacun y met de ses opinions, de ses sentiments. Un deuxième tour de parole est dédié à la raison d’être du projet, aux aspirations individuelles. Tout le monde veut mettre son grain de sel, un consensus avec cette tribu me semble impossible. Je sais que ce n’est pas l’objectif, l’idée étant plutôt de consulter au maximum les parties prenantes, les faire participer à la construction de la solution pour qu’ensuite un leader s'empare du projet. On m’a demandé mon avis, j’ai décliné la proposition, l’humour en congrégation ce n’est pas mon truc, je ne vais pas commencer maintenant.
Je suis impressionné par les talents de chef d’orchestre de la porteuse de projet, c’est visiblement la première fois qu’elle prend la responsabilité d'un si gros événement, quelle audace. Elle mène la danse avec fluidité, d’un tel ancrage que j’aurais presque envie de la suivre malgré le manque d’intérêt pour le sujet. Un instant, je m’imagine à sa place sur l’estrade, berçant le peuple des belles paroles qu’il veut entendre, me sentant important. Qu’il est bon d’être aimé, et craint à la fois ! Cette dernière dimension lui manque, je lui souhaite de ne pas avoir à gérer trop de pots cassés à vouloir satisfaire tout le monde. Je reprends mes esprits, il ne s’agirait pas de se faire remarquer par un excès de zèle, cela fait si longtemps que je n’ai plus porté de grands projets. Toute bonne chose a une fin.
La séance se termine par une émulsion créative, chacun partage ses idées en petit groupe. Des citoyens butinent à droite et à gauche, les échanges intergroupes donnant lieu à des discussions génératives. J’en profite pour m'approcher de la responsable de circonstance. Plein d’intérêt, j’interpelle la jeune femme dynamique.
— Belle entreprise pour une jeunette comme vous.
— Plait-il ? Vous êtes surpris qu’une jeune femme dirige ?
Son aplomb me prend de court, je reste sur le registre du vouvoiement, peu courant ici.
— Pas tellement, c'est un réflexe de vieil homme qui a fait sa carrière avec des mâles blancs, quadragénaires et plus. Je suis impressionné par votre capacité d’entraînement des foules. La mienne était forte par le passé, elle a perdu de sa superbe si vous voyez ce que je veux dire…
— Non.
— Peu importe. Quel est votre secret ?
— Il n’y a pas de secret, j’agis en lien avec ce qui me porte. J’écoute ce qui veut vivre à travers moi et je m’y abandonne en confiance.
— Moi aussi j’ai suivi mes désirs, mais tout de même, je ne comprends pas, dis-je perplexe.
— Désirs ou pulsions ?
Bonne question. J’ai du mal à faire la différence, il y a eu tellement de débats sur la signification du désir entre les philosophes. Mon absence de réponse invite la jeune femme à reprendre sa leçon.
— Il y a des moments où il faut savoir se poser, arrêter d’être toujours dans l’action et sonder ce qui est important pour soi.
— C’est ce que je fais depuis des années, l’action me manque, soupiré-je.
— Il y a ensuite un temps pour se remettre en mouvement.
— Facile à dire à votre âge, comment m'y prendre ?
— Eh bien lancez-vous dès que vous en avez l’occasion. Choisir d’agir c’est se libérer de ses doutes, finit-elle en remontant sur l’estrade. L’authenticité, la congruence sont les ingrédients essentiels du succès.
Le temps de la construction collective des actions pour le festival est terminé, un rapporteur vient remettre une ardoise à la porteuse du projet. Y sont décrites les grandes lignes des discussions, puis chaque groupe partage à haute voix. Je décide de quitter les lieux, Laurène va finir par m’attendre. Le partage d’intention est terminé, la leader pourra prendre sa décision de manière autonome, en conscience comme elle dit, accompagnée de contributeurs motivés.
Relâchant le strapontin, je me dirige vers la sortie, écoutant d’une oreille le discours de clôture de l’organisatrice. La voix s’efface à mesure que je m’éloigne dans le couloir en direction du bâtiment principal. Encore ces satanés principes de congruence et d’authenticité qui reviennent, il va falloir que je m’y mette un jour. C’était bon d’être chef quand même, j’étais fait pour ça. Peut-être que ce temps n’est pas si révolu que cela après tout, qu’il suffit de me lancer comme elle m’y a invité. Je suis un peu vieux pour ces bêtises... Qui sait ?
[...]