CHAPITRE 16: PARCELLES
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CHAPITRE 16: PARCELLES
Je garde en moi le goût amer de l’impuissance, l’impression de n’avoir rien pu faire, d’avoir été si minuscule face à ses enfants pleins de sagesse et de force. Je ne les ai pas sauvés, je ne sais pas réellement ce que j’ai fait, si j’ai pu servir à quelque chose. Parfois cela allait tellement vite. Comment apaiser les angoisses ? Qu’ai-je bien pu leur donner ? Je crois que ce sentiment ne me quittera pas malgré tous les dessins reçus, tous les petits mots, toutes les phrases échangées et les sourires apparents, car ce que j’ai pu accomplir n’est rien face à ce que j’ai reçu.
Un souffle est venu remuer les bas fonds de mon être, incandescent il a pénétré mon âme, il s’est abattu comme une tempête pour tout remuer puis, il l’a fait croître, il l’a nourri pour un nouvel éveil, un nouveau réveil, une nouvelle lucidité. La conscience de notre « mortitude » et ainsi, par là même, il m’a sauvé la vie. Tout simplement.
Car y a-t-il de plus beau défi que celui de vivre? Vivre en sachant que demain peut-être vous ne serez plus change toutes les perspectives, les priorités, les raisons même de l’existence. L’urgence de dire l’Amour à nos proches, de réparer nos erreurs, de tenter l’impossible, d’affronter nos démons se fait jour. Quelle délivrance ! Plus de falaise, plus d’abîme, un bleu immense ; parfait, un bleu limpide, liquide pour accueillir, et les plumes, et les pierres et les petits bateaux-papiers.
Le vol d’une mouette n’est jamais anodin.
(Silence)
S’il y avait tant de choses à dire pourquoi les avoir tus ? Pourquoi avoir mis des socles et vissé les caveaux. Par peur, par culpabilité ? Par pudeur sûrement ! Par honte, parfois, aussi peut-être d’être là, imparfaite. Encore là pour combien de temps ? Pour quelles raisons ?
Devant, la route est belle, longue et fuyante. Elle monte inexorablement vers une lumière irréelle. Le sol est lisse mais naturel. Pas de goudron, plutôt du sable ou de la terre d’ancêtre, quelque chose des chemins d’enfance au cœur de la garrigue avec le soleil qui éclate et qui rebondit sur le lit de poussière, sur les pierres autour, et les branches téméraires des buissons ardents. Je sais que cela est une offrande et qu’il faut marcher attentivement, simplement, sereinement.
Parfois l’on a envie de courir et de revenir, de faire des allers-retours avec une frénésie toute enfantine ou bien encore, avec le cœur battant sous le giron de la Liberté sauvage retrouvée. Envie de tout. Envie d’être total, entier, totalement au monde, sans retenue, sans inhibitions. Envie de crier, de chanter, de sauter, d’aimer, de le prouver. Envie d’enlacer, d’admirer, d’éprouver le monde, de le dévorer sans préambule. Envie d’être la femme oiseau. Envie de l’envol.
Besoin de sentir, de deviner, de se fondre dans ce qui est autour, de s’enrouler dans la terre, de s’offrir à la mer. Besoin de sentir l’immensité qui nous mange le cerveau, qui nous inspecte, l’œil attendri. Les étoiles qui comblent les doutes, qui poussent tranquillement sur le terreau du vide sont là pour nous rappeler que la mort n’habite pas seule, qu’il y a la place pour de nouveaux mondes.
Bien sûr, on fait des rêves, bien sûr on pense pouvoir en finir avec le néant, on crée les prêtres, les imâms, les moines, les religions et les noms des dieux pour les réponses certifiées conformes mais jamais, tant que nous vivrons nous ne saurons ce qu’il y a là-bas si là-bas il y a. Seulement voilà, besoin de lire dans les étoiles le message de l’après, besoin de croire… de croire pour ne pas devenir fou, d’aimer… d’aimer pour être au monde, d’écrire…d’écrire pour avoir l’illusion de remplir le vide.
« Je n’ai plus peur à présent. C’est fait !!! Il n’y a plus de doute à avoir, surtout pas. Petite maman cesse de te torturer, il n’y a pas de doute à avoir, le mal est fait. Je mangerai, je te le promets. Ouvre les yeux, n’aies pas peur, ne chuchote pas, n’oublie pas les caresses. Tu n’as pas besoin de me regarder pour que j’existe, je suis ton souffle, ta main ne doit pas trembler. Je t’aime. D’aussi loin que je me souvienne, il n’y a pas à en douter. Il ne fait pas froid. Rien de tout cela. Je te le jure. Écoute moi ma petite infirmière de toutes les heures, tu n’as rien à craindre ! Je suis seulement là et c’est immense si tu savais ! Ouvre les yeux. Je vois l’eau qui fait des ricochets, d’immenses mares tremblotantes, une sorte de gris vide mais ce n’est pas ça ! Il n’y a pas à douter. Je n’ai pas froid, je te le répète. Tout ça ne signifie rien, c’est tellement loin maintenant. Je ne veux pas que tu aies mal, cela ne sert à rien. Ne me pense pas en terre, je ne suis ni le haut, ni le bas, ne cherche pas ces images brouillées, tu n’as pas besoin de me voir pour que j’existe. »