CHAPITRE 14: L'ART PICASSO
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CHAPITRE 14: L'ART PICASSO
Les garçons aimaient bien l'exercice du collage. Il s'agissait à partir de différente images de les découper pour les coller ensemble dans l'agencement désiré afin de créer une image nouvelle, parlante à laquelle on pouvait encore rajouter des coups de pinceaux, des bandes de tipex, des traits de feutres. Ensuite, à partir de cette image on pouvait entamer un travail d'écriture, raconter une histoire, mettre des mots. Le dernier jour passé dans le service a été merveilleux. J'ai fais ce jeu avec un petit garçon nouveau venu. Je lui expliquais bien l'exercice, précisant que tout était possible: découper en petits morceaux, faire du collage sur collage, découper n'importe quelle forme. Si je précisais bien tout cela, c'est que j'avais pu constater à mes tout débuts que tous les enfants sans exception découpaient les images systématiquement de façon rectangulaire comme pour reproduire la forme des écrans TV. Ils suivaient conscientieusement les lignes et collaient les images les unes à la suite des autres, ce qui était tout l'inverse de ce que j'attendais, je les voulais libres et imaginatifs comme devraient l'être tous les enfants.
Après avoir donné toutes mes recommandations, Kevin me regarde et me rétorque avec un profond enthousiasme: "-Ah j'ai compris on va faire de l'art Picasso alors!!!" je ne m’attendais vraiment pas à cela et j’ai trouvé la formule très drôle. Inutile de dire qu’il m’a fait un petit chef d'oeuvre. Puis, l'après-midi passant, ma dernière heure arrivait à sa fin. "J'ai repris mon bâton, j'ai repris mes quenilles". J'ai dit adieu au service à l'intérieur de moi-même, puis j'ai arpenté le couloir pour rejoindre l'ascenseur, le fameux, le sas d'entrée et de sortie en quelque sorte. Sentiments étranges et emmêlés. Il est aussi dur de quitter un tel service que d'y rentrer. Par dessus tout, il est douloureux de quitter les enfants avec lesquels on a entamé une réelle relation de complicité, dur de s'en expliquer, dur de tirer un trait. En même temps, on croit que l'on va pouvoir tourner la page, et on se sent un peu plus léger. Un soulagement lointain s'imisce en vous faisant place aux remords.
J'ai arrêté parce-qu'il était temps pour moi de créer "Tétrapodie". J'ai l'impression de me justifier ainsi, tant il est vrai qu'on ne peut pas partir sans se donner une raison à soi même pour mieux supporter le départ. Maintenant qu'il me fallait aborder le travail de restitution sur scène, je devais me recroqueviller sur moi-même, aller puiser l'essentiel dans l'isolement. Ne plus être dépendante émotionnellement de l'état des enfants restants car toutes mes énergies devaient se cristalliser autour de mon objectif : donner en partage ce vécu au plus grand nombre. Ce n'était pas un réel départ donc puisque j'entamais une suite sous une autre forme. La nécessité de transmettre sur les planches s'est faite criante. Il fallait donner en partage ces moments vécus privilégiés, il fallait que le monde entende, faire quelquechose pour que les morts ne soient pas inutiles, pour que l'essentiel puisse être dit. Une autre façon de tirer sa révérence. Apparement elle n'a pas donné toute sa résonnance puisqu'aujourd'hui encore j'écris.