

Les Évangiles de la Rouille
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Les Évangiles de la Rouille
Le ciel crachait du noir sur Gary, ville-usine aux artères déchiquetées, rongée par une lèpre de rouille et de silence.
Jadis "Magic City", ses hauts fourneaux rouges palpitaient comme un cœur monstrueux, et les flammes dansaient, fées furieuses et cannibales, sur les nuits d'acier. Aujourd'hui, c'était un cadavre colossal dont les poumons ne crachaient plus que des fantômes, l'écho moite des ruines et l'amer murmure des âmes égarées.
Par-delà les ombres en friche, la Division Occulte du FBI, menée par des âmes lucides ou brisées, chassait des ombres encore plus noires, des mystères gluants nés dans les crevasses de l'âme humaine. Parmi eux, un homme aux yeux brûlés par l'inconnu : l'agent Bran Harris, silhouette frêle et nerveuse sous l’imperméable délavé, dont chaque geste semblait porter le poids d'une fatalité indicible.
Il y avait là, sous les effondrements métalliques de l'usine U.S. Steel, des rites sales, dirigés par Hollis Walker, patriarche cauchemardesque, prophète des souillures.
Avec lui, Mama Ruth, sorcière des égouts aux yeux voilés de fumée âcre, psalmodiait des incantations suintantes sur des autels crasseux de ferraille. Leurs enfants, "Slick" Billy à la violence aveugle, et les jumelles Savannah "Spine" et Nelly "Needle", spectres moqueurs aux rires stridents, triaient leurs proies parmi les âmes perdues des ruelles éventrées.
À l’autre bout de Gary, Emilio « El Padre » Figueroa, prêtre maudit aux mains tachées de sang noir, dirigeait Los Hijos de la Santa, vénérant la Santa Muerte avec des offrandes morbides.
Non loin, les Konvwa Kòn, chevaliers haïtiens menés par Maître Zamor, psalmodiaient des prières vaudou dans des caves obscures, invoquant des loas voraces dans des cérémonies écarlates.
À travers ces ruelles oubliées, les agents du FBI poursuivaient l'invisible, le cri informe des victimes dans les égouts, les plaintes spectrales s’élevant des "Catacombes Ferroviaires", où l’écho répète éternellement des morts jamais apaisées. L’agent Harris, hanté par ses propres démons, entendait ces voix, les sentait palpiter sous sa peau, comme un appel vénéneux vers la folie.
Dans l’antre pourrissant des "Pissotières", Bran Harris affronta le regard fou d'Hollis Walker.
La lumière de sa lampe torche révéla un visage marqué de cicatrices, une barbe grisonnante souillée par la boue. Autour de lui, un cercle immonde de membres mutilés, une liturgie du désespoir. La voix rocailleuse du patriarche résonna dans l’humidité : « La rouille est notre Dieu, agent. Nous sommes ses prêtres et vous êtes nos offrandes. »
Mais Harris, brandissant sa rage comme une arme, cria plus fort que les murmures visqueux des égouts : « Votre dieu n’est qu’une illusion, votre rouille une défaite ! »
Et sous le grondement lointain du tonnerre, il ouvrit le feu, éclairant la nuit souterraine de déflagrations argentées.
La ville vibra d’un cri primal, comme si ses entrailles s’éveillaient enfin. La rouille, les spectres, les rites impies : tout s'effondra sous les flammes et la poudre, dans une danse de destruction qui semblait purifier les âmes torturées de Gary. Lorsque l'aube pointa, froide et pâle, Bran Harris sortit des ténèbres, les yeux rougis par la fumée, l’âme encore brûlante d’avoir défié les ténèbres.
Gary, la ville aux âmes fracturées, demeurait muette sous un ciel enfin lavé, mais l’ombre, tapie sous les décombres, attendait patiemment le retour des hommes, ces éternels architectes de leurs propres abîmes.


Jackie H il y a 7 heures
"l'ombre, tapie sous les décombres, attendait patiemment le retour des hommes, éternels architectes de leurs propres abîmes" : cette seule phrase mérite un "j'aime" et même bien plus...