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Arrivée à Cadix

Arrivée à Cadix

Publié le 17 août 2024 Mis à jour le 17 août 2024 Horreur
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Arrivée à Cadix

Océan Atlantique, Richard

 

C’était définitif, il n’aimait pas le bateau. Le bruit des moteurs, le roulement des vagues, et l’absence de vie, de faune, de flore, autre qu’humaine sur ce navire pris dans la tempête. Dix interminables jours de voyages sur cet engin de malheur.

Mais la souffrance en valait la chandelle. Du moins l’espérait-il. Ne serait-ce que pour avoir supporté la nourriture. Par les dieux, c’était infect. Un goût de carton, une abondance de sel dû à l’air marin, qui s’infiltraient du pont à sa cabine et de ses vêtements à son repas. Il aurait dû emporter de la viande, il le savait, mais elle se conservait si mal dans de telles conditions.

Et les marins qui piaillaient du matin au soir, ne se gênant pas pour se moquer de son « teint vert comme une petite grenouille », n’arrangeaient pas son humeur massacrante.

Le pire dans cet enfer était qu’il ne pouvait même pas se défouler, car la disparition d’un passager ne serait que trop facilement repérable, et il ne donnait pas cher de sa peau s’il se faisait prendre. Il soupira, passant lentement le doigt sur le couteau de boucher dissimulé dans son manteau. Plus que deux jours avant Cadix.



Séville, Édith

 

-Señorita Sinclair ?

 

Édith se retourna, bagage en main, vers l’homme qui venait de l’interpeller sur les quais de la gare. Plutôt petit et approchant de la soixantaine, il dégageait malgré tout une impression de tranquillité, attitude de ceux qui ont tout vécu, tout vus, tout entendus. Ses yeux gris la scrutaient attentivement, mais comme une personne curieuse, contrairement à la majorité des hommes présents dans les lieux, qui semblaient la considérer autant qu’une pièce de viande sur le crochet de la boucherie.

 

-Je suis envoyé, dit-il dans un anglais quasiment parfait, conservant tout de même un fort accent aux « r » roulants, par Madame Ifelis Dela Ria pour vous conduire à Cadix.

-Vous m’en voyez ravie.

 

Elle le suivit, bien qu’un peu méfiante, vers une voiture à l’air assez récent stationnée à l’extérieur. Il lui ouvrit la portière en s’inclinant légèrement, sans pour autant prononcer un mot de plus, sans même esquisser un sourire. Durant le trajet, ni l’un ni l’autre ne parla, ne voulant, ou ne pouvant pas engager la conversation.

La jeune femme regardait donc le paysage ensoleillé par la fin d’après-midi, se posant toujours plus de questions sur sa mystérieuse hôtesse et son chauffeur aux allures de croque-mort.

Ils finirent par arriver devant un manoir à l’architecture gothique, derrière lequel s’étalaient d’immenses jardins ainsi qu’une serre où se reflétait la couleur du ciel. La valseuse fut tirée de ses pensées par la voix du majordome.

 

-Madame ne pourra pas vous recevoir pour le moment. Vous la rencontrerez ce soir, au dîner, ainsi que les autres convives. Je vais vous conduire dans votre chambre, où vous pourrez vous reposer en attendant 21 heures.

-Et sans plus d’explications ? rétorqua la jeune femme. Que votre maîtresse sache qu’elle ne peut me convoquer ainsi sans prendre la peine de m’accueillir, ou de m’envoyer dans « ma chambre », elle insista sur ces derniers mots de manière sarcastique, comme une enfant qu’on punit pour attendre plus de deux heures en me laissant dans la plus complète incompréhension !

-Je vous le répète, Señorita Dela Ria vous donnera toutes les informations ce soir. Veuillez me suivre s’il vous plaît.

-Cela ne me « plaît » pas, mais soit, puisque je n’ai guère le choix.

 

Le ridicule de la situation, ainsi que le ton las du personnage, faisait fulminer la danseuse. Mais elle se contint, et accompagna le vieil homme au travers de la demeure. La chambre dans laquelle elle arriva lui fit pourtant oublier sa mauvaise humeur. Lumineuse et décorée de plantes diverses, les derniers rayons du soleil frappaient les pierres qui formaient le parquet d’acajou, se répercutaient sur un immense miroir qui couvrait un pan du mur gauche et finissait leur course sur les rideaux perle d’un immense lit à baldaquin.

Dessus celui-ci était posé une robe mauve et lilas, un corset bas noir, une demi-cape d’une teinte violet bien plus sombre, ainsi qu’un masque qui semblait fait de rose cristallisée et enduite d’or.

 

-Madame voudrait que vous portiez cette tenue au dîner. Elle vous informe également que les armes sont autorisées, mais que les quatre personnes qui seront avec vous ne devront pas être blessées.

 

Sans rien ajouter de plus, le majordome s’en alla, laissant la valseuse autrichienne de plus en plus intriguée par les événements à venir. Le manoir lui semblait étrange. Trop grand et trop vide. Elle s’attendait à croiser plus de personnes, mais pour l’instant, à part cet austère majordome. Si les cinq jours à venir ressemblaient à ça, elle n’en avait pas fini de déprimer. Ce pendant, malgré l’absence de monde, il lui semblait être observé depuis son arrivée.



Séville, Edward

 

Ah, les gares. Tant de monde, de bruits, baignés dans la langue aux accents chantants caractéristiques de l’Andalousie. Pleine de vapeur filtrant la lumière du soleil d’été et donnant aux quais parcourus de passants une impression mystique, tels les décors enchantés des contes que lui racontait sa mère jadis. Il n’aimait pas ces histoires fantastiques, les trouvant invraisemblables depuis son plus jeune âge. Il n’aimait pas les gares non plus. En fait, il n’aimait pas grand-chose, et pas grand monde pour ainsi dire.

Luzia lui avait pris un billet pour le troisième train de ce voyage, reliant Cadix et la capitale de l’Espagne. Il avait hâte de retrouver le calme et la solitude, loin de la population, car l’Espagnole avait pris soin à chaque fois de lui réserver un wagon privatif.

 

Il chercha donc rapidement le quai n° 3, wagon 7. Quelle ne fut pas sa surprise donc d’y trouver une jeune femme à la peau d’ébène, plongée dans un roman nommé « L’île des disparus* ». Une Française donc, même si cela ne paraissait que peu probable au vu de la teinte de son épiderme, ou qu’elle ne soit excellente en langues, ce qui ne paraissait que peu probable également.

Mais le plus surprenant était l’enveloppe noire, semblable à celle qu’il avait reçue quelques semaines plus tôt. Cependant il ne dit rien, se contenta de s’asseoir face à elle. Les relations humaines n’étaient pas son fort et les femmes encore moins.

 



Séville, Sarah

 

Un homme venait de rentrer dans le compartiment du wagon 7 où elle était installée. Elle sentit son regard sur elle, mais il ne lui adressa pas la parole et s’assit sur la banquette opposée. Elle fit donc abstraction de l’inconnu, s’immergeant dans sa lecture.

Le son feutré des pages que l’on tourne lui fit savoir que l’homme en avait fait de même, et un rapide coup d’œil lui fit savoir qu’il s’agissait d’un traité de psychanalyse en psychologie.

Bien étrange occupation, mais cela collait au personnage. Avec ses cheveux noirs, ses iris bleu-gris et la cicatrice qui lui parcourait l’œil gauche, il trouverait parfaitement sa place dans la représentation d’un philosophe contemplant le monde, ou bien du penseur de Rodin. Elle n’avait cependant pas le temps d’exprimer sa créativité. Quel dommage !

 

-Luzia Ifelis Dela Ria ?

 

La jeune fille releva la tête, étonnée. Cette personne était-elle un des invités de cette Espagnole au nom bien trop long ? Dans l’absolu, cela ne la choquait pas tant que ça, en raison de l’air soigné de l’homme.

 

-Vous vous rendez donc également au manoir ? reprit-il, curieux.

-À l’évidence, oui, soupira-t-elle. Mais ne vous méprenez pas, je ne suis qu’une simple femme de chambre.

-Une « simple femme de chambre », comme vous dites, ne parlerait, je pense, absolument pas un anglais aussi parfait, répondit-il avec un mince sourire. Permettez-moi de me présenter. Edward Carlson, pour vous servir Miss.

-Sarah Laroche, lui retourna-t-elle en lui serrant fermement la main. Excusez-moi mais ai-je bien entendu ? Edward Carlson ? Auteur du « Traité de la pensée humaine : l’aube de la raison ? »

 

Le dénommé eut un rire franc cette fois-ci.

-Je ne m’attendais pas à trouver une admiratrice dans cette partie de l’Europe, et encore moins une personne telle que vous.

-Une personne telle que moi ? fit la jeune femme, suspicieuse.

-Et bien, répondit-il en fronçant les sourcils, une femme d’Afrique.

 

Ses mots jetèrent un froid sur la conversation.

-Sachez, monsieur, rétorqua-t-elle, que je suis de nationalité de Française, et que ma carnation ne vous autorise pas à tenir de tels propos.

 

Edward la regarda, surpris par sa verve soudaine. Sarah le remarqua et se raidit, baissant les yeux.

-Excusez-moi Monsieur. J’ai oublié quelle était ma place. Veuillez me pardonner.

-Non Miss. C’est à moi de m’excuser. La jeune fille le fixa, stupéfaite. Je n’aurais pas dû vous parler comme je l’ai fait, et je suis entièrement en tort. Si je puis me permettre, vous appréciez donc mes travaux ?

-Comment pourrait-il en être autrement ! lui répondit la Française, retrouvant sa bonne humeur. Vos théories et expérimentations sont tout simplement fascinantes. Même si elles m’interrogent fortement, notamment sur la possibilité d’un véritable retour pour notre psyché au début de l’humanité suite à un traumatisme conséquent nous faisant perdre mémoire et capacités cérébrales, même si les deux vont de pairs.

 

La jeune femme était de plus en plus enthousiaste, ce qui eut pour effet de faire sourire le médecin de plus belle.

 

-Vous êtes vraiment une personne fort intéressante Miss Laroche. Et dire que Schopenhauer à un jour déclaré que « La femme est un animal à cheveux longs et à idées courtes ».

-Encore un de ses soi-disant philosophes qui n’est qu’un mufle à beaux discours. Bien que certains de ses ouvrages ne manquent pas d’esprit, je le concède.

-Pour sûr. Mais dites-moi, cela m’intrigue depuis tout à l’heure. Que venez-vous faire à Cadix ?

-La même chose que vous je crois. Sauf qu’à l’inverse de vous, je ne resterais que dans l’inverse du décor.

-Mme Ifelis Dela Ria ne vous a donc pas convié pour vos dons ?

-Oh si ! Ceux de me faire discrète et de préparer ma maîtresse pour la fête en moins de 10 minutes. Quant à mes réels talents…

 

Elle interrompit à temps. Et dire qu’elle allait tout raconter à cet homme sans même le connaître, et de plus, susceptible de tout rapporter aux autorités. Il était bien psychiatre. Cependant, il ne semblait pas avoir remarqué son trouble, perturbé par la phrase qu’elle avait prononcée avant.

 

-Une fête ?

-Et bien oui, comprenant plusieurs dizaines d’invités de toute l’Europe, ou presque, voir au-delà, en l’honneur des dix ans de la fin de la guerre. Que voulez-vous que ce soit d’autre ?

 

L’anglais ne répondit rien, se contentant de grommeler dans sa barbe. Sans un mot de plus, il se replongea dans sa lecture sans rouvrir la bouche du voyage, se qui convenait parfaitement à Sarah, bien qu’un peu étonnée par ce changement d’attitude, mais plus que ravie de ne pas avoir à faire la conversation.

 

------------

 

Ils arrivèrent plutôt rapidement à destination, du moins avant que le soleil ne se couche, aux alentours de 20 heures. La gare ne se trouvait pas loin du manoir, ils finirent donc le trajet à pieds. Si Edward ne semblait pas vraiment touché par la beauté des lieux, la Française, au contraire, en restait émerveillée, ayant l’impression d’être plongée dans un tableau de Monet, la ville étant parée de mille couleurs et lumières se fondant dans une harmonie presque parfaite.

Sa contemplation fut interrompue par l’apparition dans le paysage d’une grande bâtisse de construction à la fois similaire et différente à ce qu’elle avait pu voir, ne tranchant cependant pas avec les alentours, de par ses murs ornés élégamment de gravures discrètes.

 

Un homme d’une soixantaine d’années vint à leur rencontre dans le hall de la demeure, se présentant à eux comme le majordome de la maison, au service de Señorita Ifelis Dela Ria.

 

-Malheureusement, ma maîtresse ne pourra pas vous accueillir avant ce soir, annonça-t-il d’un ton morne. Des tenues spéciales ont été laissées à votre attention sur les lits de vos chambres. Vous êtes priés de les porter lors du repas de ce soir. Je viendrais vous chercher au moment venu. Si vous voulez bien me suivre.

 

Il s’engagea dans les escaliers sans attendre de réponse. Après un regard, ils s’avancèrent à sa suite, tous deux intrigués par l’attitude et les paroles du vieil homme. Ils se séparèrent sans un mot, chacun trouvant, conformément à ce que leur avait dit le majordome, des vêtements ainsi qu’un masque.

Edward, cependant, était contrarié. Luzia en omettant de lui préciser la nature de son invitation, lui avait promis quelque chose. S’il avait su le pourquoi du comment de cette absurde mascarade, il ne serait pas venu, aussi alléchante cette promesse fût-elle. L’Espagnole savait comment manipuler les gens à travers les mots, soit. Mais elle avait intérêt à tenir parole.



Cadix, Luzia

 

Enfin ils étaient tous là. Rassemblés dans la salle à manger, se fixant avec méfiance, curiosité. Enfin presque tous. Richard Lefleur manquait à l’appel. Luzia se posait mille questions. Avait-il eu des problèmes de transport ? La police l’avait-elle mis à jour avant son départ de La Nouvelle-Orléans ? Était-il disparu ? Décédé ? Ce n’était pas possible. Sans lui, rien n’aurait de sens désormais. Toutes ces préparations minutieuses pour que tout se joue aux aléas du destin. Elle aurait dû le faire surveiller, laisser quelqu’un sur place. Elle avait été trop confiante. Si seulement elle pouvait remonter le temps.

 

Elle sentit une main se poser sur son épaule, rassurante. Oui, semblait-elle dire en silence, je serai à tes côtés, quoi qu’il arrive. Ne t’en fais pas ma Dame. Ne t’en fais pas ma sœur. Il finira par arriver.

Cette conviction la calma. Elle avait les choses sous contrôle. Tout était sous contrôle. Pour l’instant elle devait faire son entrée. Impatienter des invités aussi distingués était malpoli. Elle lissa donc sa robe perle, ajusta son masque, regarda une dernière fois la personne à ses côtés, et pénétra, seule, dans la pièce.



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Lexique :

« L’île des disparus » : titre en français

« La femme est un animal à cheveux longs et à idées courtes ».: En réalité, Arthur Schopenhauer n'a jamais affirmé cela tel quel, mais c'est un résumé d'un de ses essai sur les femmes. En clair, c'est un bon gros con, même si les façons de penser étaient différentes à son époque.

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Commentaires (4)

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Claire Brun il y a 1 mois

Entre une murder party et les dix petits nègres, je n’ai qu’une envie c’est de rentrer dans ce manoir et telle une petite souris….. découvrir l’objet de cette invitation.

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Cheshire il y a 1 mois

Honnêtement, les deux sont ma source d'inspiration 🤣 Je suis une grande fan d'Agatha Christie et de jeu de piste!

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Elysio Anemo il y a 1 mois

L'auteure est une personne de goût !

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