Chapitre 31 - Le disciple de Hildegarde
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Chapitre 31 - Le disciple de Hildegarde
Cela fait à peine un an que Philippus a quitté la Suisse pour étudier la médecine au sein de la prestigieuse université de Ferrare, en Italie. Malgré les réticences de son père, il se plait dans ses murs, au milieu d’universitaires et d’érudits qui viennent de toute l’Europe. Si les cours sont rigoureux, basés sur des écrits classiques de Gallien et d’Avicenne, ils offrent à Philippus toutes les bases de la théorie médicale : la biologie, la botanique, l’anatomie. Surtout, de nombreuses conférences sont organisées, permettant à chacun de débattre et de s’exprimer librement. Il est bientôt reconnu comme l’un des meilleurs élèves de sa promotion. S’il en tire une certaine fierté, il n’hésite pas à user de sa notoriété grandissante pour convaincre des volontaires à participer à ses expériences.
Un jour, il fait passer un message indiquant qu’il organise une réunion extraordinaire qui révolutionnera la médecine. Intrigués,des étudiants acceptent l’invitation.
— Mes amis, je vous remercie d’être venu. Je vous présente Aldone, c’est un ami. Il a fait une chute de cheval et sa jambe a heurté une planche contenant des clous rouillés.
Dans la pièce éclairée à la lumière des bougies, le jeune homme, pâle et inquiet, montre l’infection qui gagne sa cheville. Sur un ton assuré, Philippus leur dit :
— Ce que nous voyons ici n’est pas simplement une plaie, mais une opportunité. Une opportunité de remettre en question, de chercher au-delà des limites de notre éducation actuelle.
Il pointe son doigt vers la jambe d’Aldone.
— Les méthodes traditionnelles nous diraient de nettoyer cette plaie avec de l’eau, d’appliquer des pommades à base de plantes, et peut-être d’effectuer une saignée pour équilibrer les humeurs. Mais cela prendrait des jours, des semaines et mon ami risquerait au final de perdre sa jambe. Aussi, je vous demande : est-ce vraiment tout ce que nous pouvons offrir ?
Philippus se tourne vers une table sur laquelle reposent diverses fioles et instruments.
— J’ai étudié les écrits anciens, j’ai exploré les mystères de l’alchimie, et j’ai observé les miracles de la nature. Et j’en suis venu à une conclusion : nous devons chercher des remèdes plus actifs, plus ciblés.
— Et que proposes-tu ? demande Nicolo.
Les étudiants savent que Nicolo est jaloux de la renommée de Philippus et qu’il cherche par tous les moyens de le discréditer.
— Je vous propose une approche différente, inspirée par un esprit brillant de notre passé, une femme du nom de Hildegarde de Bingen. Dans ses écrits, elle a exploré les profondeurs de la médecine naturelle, démontrant que chaque élément de la nature a un potentiel de guérison. Elle a vu au-delà des théories sur les humeurs, au-delà de tout ce que l’on peut apprendre dans nos cours.
Il lève une fiole contenant un liquide transparent.
— Ceci est une solution que j’ai conçue en m’inspirant de ses enseignements. Elle combine des minéraux et des extraits de plantes, chacun choisi pour ses propriétés particulières de nettoyage et de guérison. Il prend ensuite un pot de pommade verte.
— Et ceci est un baume enrichi de composés que j’ai extrait en suivant les principes de Hildegarde. Ces composés sont choisis pour leur efficacité contre l’infection et pour accélérer la guérison.
Nicolo se met à rire :
— J’ai entendu parler de cette Hildegarde. On raconte qu’elle entendait des voix. Pire même, elle a même admis que c’était un être surnature qui lui parlait et non pas Dieu. Un comble pour une nonne ! Alors comment croire une seule seconde à l’efficacité de ses remèdes de sorcières ? Il faut être aussi fou qu’elle pour croire cela !
Quelques rires émanent de l’auditoire, plus pour les bons mots que pour l’attaque elle-même. Loin d’être décontenancé, Philippus fixe l’étudiant avec un regard pénétrant.
— Mon cher Nicolo, il est vrai que Hildegarde de Bingen, comme beaucoup de grands esprits de l’histoire, a vécu des expériences que certains pourraient qualifier d’extraordinaires ou d’inexplicables. Elle a eu des visions, oui, mais cela ne fait pas d’elle une folle. L’histoire est pleine d’exemples de génies mal compris, souvent jugés et méprisés par ceux qui ne peuvent pas saisir l’étendue de leur pensée. Socrate a été condamné à mort pour ses idées, penses-tu pour autant qu’il eût tort ?
Philippus jette un regard scrutateur à chacun des étudiants et déclare :
— Que m’importe si Hildegarde a utilisé ses visions pour explorer des domaines que peu osaient même imaginer. Ses écrits sur les bienfaits de la nature transcendent ce que l’on apprend aujourd’hui. Elle était bien plus intelligente que nos meilleurs professeurs ! N’a-t-elle pas eu l’oreille de l’Empereur Barberousse lui-même ?
Cette réplique finit de convaincre la petite assemblée. Nicolo ne peut que maudire le héros du moment en silence. Philippus verse la solution sur la plaie, puis la nettoie avec un linge propre. Il applique ensuite le baume délicatement. Aldone grince des dents. La blessure semble entrer en fusion.
— Cette sensation de brûlure est tout à fait normale. Elle va s’atténuer d’ici à une heure.
Sur ces mots qui se veulent réconfortant, Philippus entoure la cheville d’un bandage.
— Habituellement, il fait au moins un mois pour qu’une telle blessure guérisse. Je vous donne rendez-vous tous ici à la même heure la semaine prochaine et nous verrons qui aura eu raison : la médecine de nos chers professeurs où les enseignements de Mère Hildegarde…
Une semaine plus tard, Philippus et les étudiants en médecine se retrouvent dans le même lieu secret pour observer les résultats de son traitement expérimental sur Aldone. L’air est empreint d’une certaine excitation alors que tous les yeux sont rivés sur la jambe du jeune homme.
— Chaque jour, j’ai rendu visite à notre patient et j’ai inscrit dans un carnet l’évolution de la guérison. Avant que nous découvrions tous ensemble la situation actuelle, je vous résume mes notes.
Philippus ouvre le carnet et lit sur un ton neutre :
— Premier jour : Aldone ressent une légère sensation de picotement autour de la plaie, suivie d’une réduction notable de la douleur. Second jour : l’enflure semble avoir légèrement diminué, et la rougeur autour de la plaie est moins prononcée. Troisième jour : La plaie, auparavant enflammée et purulente, commence à montrer des signes de guérison. La production de pus a considérablement baissé, et la plaie est plus propre. Quatrième jour : alors que la cheville était au départ douloureuse et l’amenait à boiter, la démarche est maintenant plus assurée. Plus aucune trace de pus ne suinte de la plaie. Cinquième jour : la plaie commence à se refermer. Philippus laisse le silence envahir la salle.
— Et nous voici au soir du sixième jour…
Il enlève précautionneusement le bandage. La plaie est à peine visible.De nouveaux tissus se sont formés. Un premier étudiant applaudit, suivi bientôt de tous les autres. Aldone rit à cœur déployé. Il est sauvé.
— Remerciez Hildegarde, car je n’ai fait qu’améliorer ses propres principes, dit Philippus, nullement gêné d’être ainsi le centre de toutes les attentions.
À travers cette expérience, Philippus vient de prouver que la médecine, l’alchimie et l’expérimentation sont désormais des éléments indissociables dans son approche.