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Chapitre 11 - Où il est question de la ‘Coupe de Cormac’

Chapitre 11 - Où il est question de la ‘Coupe de Cormac’

Publié le 6 déc. 2024 Mis à jour le 6 déc. 2024 Fantaisie
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Chapitre 11 - Où il est question de la ‘Coupe de Cormac’


Samedi 1 novembre 2014, vers 10h30



 Pelléas nous avait laissé trente minutes après le petit-déjeuner pour nous préparer. Le temps était compté, la journée serait chargée. Nous étions tous aussi perplexes les uns que les autres et avions regagné nos chambres après les explications qui nous avaient été données. Nous devions donc nous retrouver en milieu de matinée dans la salle de réunion. Aurélien avait choisi de donner un cadre plus solennel à la scène qu’il voulait tourner et je me doutais que nous allions aborder la deuxième phase de son programme : la sélection. J’étais assez serein car en principe je ne serais que spectateur.   


Une petite entrée faisait office de sas, avec un évier étriqué, un réfrigérateur encastré et un meuble blanc esseulé qui hésitait entre le rôle de buffet de salon et celui d’armoire de bureau. Une légère odeur de café flottait encore dans l’air, témoin des réunions plénières qui avaient dû se dérouler dans cette salle lors des assemblées évoquées par Pelléas la veille. 

Une table ronde nous attendait, autour de laquelle nos trois hôtes étaient déjà assis. Pelléas nous proposa de nous installer à notre tour et je sentais que le grand-père accueillant avait fait place au maître de cérémonie.

« Hier nous avons évoqué différents objets rituels et sacrés utilisés par les anciens et nous souhaitons vérifier ce matin s’ « ils »  approuvent notre volonté de passer la main. »


Parlait-il des objets ou des anciens ? La tournure de la phrase était volontairement imprécise.


Blaise sortit précautionneusement une bague d’un écrin discret, simple anneau surmonté d’une pierre dont j’aurais été bien en peine d’identifier la nature.


Une nouvelle ordalie, mes camarades allaient donc être mis à l’épreuve de la vérité ! Au moins, si l’un d’entre eux était jugé coupable il n’aurait à déplorer qu’un doigt coupé...


Pelléas se tourna vers ma cousine.

« Nolwenn, veux-tu bien passer cette bague à ton doigt ? »


Ma cousine se demanda sans doute pourquoi elle avait été choisie en premier mais elle ne fit pas état de son interrogation.


« Bien sûr », répondit-elle d’une voix la plus assurée possible.

Blaise lui présenta l’anneau qu’elle enfila sur son annulaire droit. Elle fit mine d’examiner l’effet obtenu mais je sentais bien qu’elle était tendue. Rien ne se

passa. Les anciens semblaient embarrassés.


Je m’en étonnai. S’attendaient-ils à ce que Nolwenn soit jugée illégitime?


« Je suppose que je ne peux pas garder la bague ? » plaisanta-t-elle. 

Ce fut le tour de Maïwenn.

« J’ai parfaitement confiance, dit-elle, je n’ai rien à me reprocher. »

Il ne se passa rien non plus. Curieusement nos hôtes avaient l’air très tendus.


Quelque chose ne tournait pas rond dans l’histoire ! On aurait dit qu’un problème technique était venu perturber le bel arrangement en ne déclenchant pas les effets spéciaux espérés autour de cette bague et je m’attendais à ce qu’Aurélien apparaisse, penaud, et à ce qu’il nous demande de retourner la scène !


« Je peux essayer ? » demanda Lughan, tout timide.


Cela ne lui ressemblait pas.


Pelléas acquiesça. Là encore, aucune réaction. Lughan sembla déçu également.

« Erwann ? » demanda Pelléas.

— Moi ? Mais je ne suis pas concerné ! Je ne suis pas supposé prendre part à l’expérience. »

Maïwenn m’adressa son plus beau sourire pour m’encourager.

« Je vous préviens, je ne suis pas à l’aise avec les bijoux… »

J’eus du mal à passer la bague, un peu petite pour moi.


Je me sentais comme toutes ces prétendantes, dans Cendrillon, qui se démenaient pour enfiler cette satanée chaussure.


Mais à peine la bague fut-elle à mon doigt qu’elle se mit à gémir. Je l’enlevai aussitôt et discernai une certaine stupeur et une incompréhension manifeste dans l’assemblée.

« Je vous l’avais dit, je ne suis pas trop bagouse… Et je ne crois pas à vos explications à propos de la moralité du porteur. J’imagine que vous allez me juger à

présent alors je préfère me retirer et vous laisser seuls… »


Tout le monde me regardait étrangement. Une sombre hantise rejaillit en moi, comme celle qui m’avait réveillé la nuit de la rentrée scolaire au milieu d’un cauchemar dans lequel mes élèves constataient à mon arrivée que j’avais oublié d’enfiler un pantalon…


Si je me rappelle à peine être sorti de la pièce, les caméras furent là pour raviver ce souvenir et pointer mon air vexé. On me voit au passage jeter un coup d’œil à Maïwenn avec une légère grimace du style « je te l’avais bien dit que ce n’était pas une bonne idée. »


Je me demandais si l’affront que je venais de subir n’était pas leur manière de sanctionner ma curiosité déplacée !


Je n’eus que quelques pas à faire pour disparaître dans ma chambre, piètre refuge cependant, bardée elle aussi d’yeux avides de suivre ma déconvenue et de se repaître de mes malheurs. Dans mon apathie, j’entendis néanmoins quelqu’un quitter la salle à son tour, à peine trois minutes après moi, puis prendre l’ascenseur. Je compris par la suite qu’il s’agissait de Lughan car les deux filles abandonnèrent la place peu après, chuchotant et commentant manifestement ma sortie peu glorieuse.


Je repris brusquement conscience au moment où l’on toqua à ma porte. Mon trouble fera probablement rire, j’en en bien peur, mais je n’en suis plus à une moquerie près. J’ouvris et me trouvai nez à nez avec Lughan.

Je vais laisser aux téléspectateurs la vision froide et dénuée d’empathie des caméras et reprendre avec vous, lecteurs, le fil de mes propres souvenirs à ce moment-là.

Lughan tenait une bouteille dans une main, et deux verres encore emballés dans leur boite en carton dans l’autre.


Boire et déboires…


« Tu viens fêter mon départ ? »

Lughan sembla choqué.


J’y étais peut-être allé un peu fort.


« Ne fais pas attention, je ne suis pas dans mon état normal.

— Tu vas partir ?

— C’est bien tout ce qui me reste à faire non ?

— Je ne sais pas, ‘ils’ souhaitent s’entretenir en tête à tête avec toi, et d’ailleurs moi aussi il faut que je te parle… »

Je l’invitai à s’assoir dans le petit salon et il posa la bouteille sur la table basse. Il s’agissait d’un pommeau de Bretagne, un mélange de jus de pommes et d’eau de vie de cidre.


Ce n’était pas encore l’heure de l’apéritif…


Il ouvrit délicatement le premier carton et dévoila un verre en cristal soigneusement enveloppé. Il le tint par le pied et le démaillota lentement.

« Blaise a appelé ces verres « les verres de Cormac » en référence à l’ordalie correspondante mais rassure-toi, je ne viens pas te soumettre à une autre épreuve, je souhaite juste te mettre en confiance.

— Cormac, dis-tu ?

— Oui. »

Je lui fis signe d’attendre une minute et ouvris mon dictionnaire à la lettre ‘C’, chapitre que je n’avais pas eu le temps de découvrir, puis je lus l’histoire de Cormac:


« Lors du repas auquel est invité le roi Cormac lors de son séjour chez Manannán, un des maîtres de l’Autre Monde, on leur partagea le porc et sa part fut mise devant Cormac.

— Je n’ai jamais pris un repas, dit Cormac, sans cinquante hommes à mes côtés.

Manannán chanta un refrain et le mit dans le sommeil. Cormac se réveilla ensuite et il vit cinquante guerriers, son fils, sa femme et sa fille à ses côtés. Il eut

alors l’esprit vigoureux. On leur partagea la boisson et la nourriture et ils furent gais et joyeux. On mit une coupe d’or dans la main du guerrier. Cormac s’émerveillait de la coupe à cause du nombre de ses formes et de l’étrangeté de son art.

— Il y a quelque chose de plus étrange encore, dit Manannán, si trois paroles mensongères sont dites sur elle, elle se brisera en trois et si l’on dit trois paroles vraies elle se reconstituera comme elle était auparavant.

Il dit alors  trois paroles fausses et la coupe se brisa en trois, puis  trois paroles vraies et elle fut de nouveau entière après cela. »


« Donc, si je comprends bien, ces verres agissent comme ceux de cette histoire ?

— En quelque sorte.

— Et d’où les tiens-tu ?

— Je suis allé les chercher dans le laboratoire de Blaise.

— Comment fonctionnent-ils ?

— Il suffit de les tenir et de prononcer le nom de leur ancien propriétaire pour les activer. Regarde bien ! »

Il affirma sa prise en main sur le verre, le présenta à la lumière et s’exclama solennellement :

« A ta santé Cormac ! »

Je vis un léger flash de lumière orange remonter le pied, parcourir toute la surface du ballon puis disparaître.  Sans le lâcher il et me dit :

« A ton tour. »


J’ouvris l’autre carton et débarrassai lentement le deuxième verre de ses couches protectrices. Je le tins devant les yeux comme j’avais vu Lughan le faire et je prononçai simplement « Cormac ». Le même flash de lumière orange se manifesta avant de s’étioler.

« Bien ! dit Lughan. Les deux verres sont  « en marche » maintenant. Si l’un d’entre nous profère un mensonge son verre explosera. Un seul  mensonge suffit, l’époque actuelle n’a pas de temps à perdre. Par contre les verres  ne se reconstruisent pas tout seul quand l’utilisateur dit une vérité, il faut faire fondre à nouveau les morceaux pour en extraire la magie et de toute façon, la vérité intéresse moins que les mensonges.

— D’où vient leur pouvoir ?

— Ils sont pareils à des détecteurs qui analyseraient les vibrations dans la voix et les amplifieraient. Je suppose que le ballon doit se comporter comme une caisse de résonnance. Les vibrations sont transformées en sons dont la fréquence est calculée pour casser le cristal.

— Intelligemment conçu… repris-je.

— Tu as confiance en moi j’espère ?

— Oui, répondis-je machinalement.

A ce moment on entendit un son aigu et mon verre se fendit dans un claquement sec, projetant plusieurs morceaux dans la pièce.

« Tu vois, je te l’avais bien dit, pas de mensonges entre nous … On va ramasser les morceaux,  je les laisserai dans le meuble de la petite cuisine et les donnerai à Blaise plus tard pour qu’il les refonde, en espérant qu’il ne m’en veuille pas trop. »

J’allai chercher un gant jetable dans le cabinet de toilette et pendant que je ramassai les débris et les posai délicatement dans la boite que Lughan tenait ouverte, je tentai d’analyser ce qui venait de se passer.


Lughan avait posé une question pour laquelle ma réponse pouvait légitimement être mise en doute. Il suffisait que les verres aient été trafiqués pour qu’ils se cassent sous l’effet d’une impulsion quelconque déclenchée par un technicien à l’écoute de notre conversation et le tour était joué ! J’allais encore bien faire rire les téléspectateurs !


Dans ce genre de circonstances on ne dispose que de quelques secondes pour sortir de l’embarras, la première réaction doit être impériale !

Je me redressai, regardant Lughan bien en face et tentai d’articuler le plus nettement possible :

« Et la bouteille, c’est de la potion magique j’imagine ? 

— Non, le pommeau, c’est juste pour faire passer le choc que tu ne manqueras pas d’éprouver une fois que je t’aurai expliqué ce que je sais. »


A nouveau la sensation d’être envoyé dans les cordes sans pouvoir esquiver le moindre coup. 


« D’accord, je suppose que je dois t’écouter…

— Prends ton téléphone et cherche la rubrique ‘faits divers’ dans les archives des Echos de Brocéliande à la date du 01/08/1994.

Je m’exécutai et tombai rapidement sur un titre qui m’interpella : « DRAMATIQUE ACCIDENT AU RELAIS DU LAC DE DIANE : 2 morts et 3 enfants en urgence »

Suivait la photo du moulin que je commençais à bien connaître et qui montrait des traces récentes de feu. Je lus le texte, un peu nerveux à l’idée de ce que j’allais y découvrir :


« Lundi premier août, un incendie inexpliqué s’est déclenché dans le moulin désaffecté du Relais du lac de Diane dans lequel deux personnes ont malheureusement perdu la vie. C’est en apercevant leurs enfants respectifs affolés à la fenêtre en haut du moulin, à ce moment déjà ravagé par les flammes, que les parents se sont jetés sans hésiter dans le brasier pour les sauver d’une mort certaine. Ils ont réussi à rejoindre leurs enfants mais aucun d’entre eux n’a pu redescendre par l’escalier. Les autres membres de la famille ont assisté impuissants à leur saut désespéré dans le cours d’eau pourtant partiellement occulté par de la fumée et des débris divers puis au déversement sur leur tête d’un vieux silo plein de grains et de poussière. Les pompiers arrivés quelques instants plus tard ont retrouvé les corps dans le bief, coincés sous les décombres, morts brûlés ou asphyxiés. Dans un dernier effort ces parents avaient fait glisser les enfants entre les pales des roues pour qu’ils soient emportés par le courant et c’est vingt mètres plus bas que les pompiers ont retrouvé les deux fillettes et le petit garçon, Ce dernier, en état de quasi-noyade, a été transféré d’urgence dans un hôpital de Rennes et placé dans un caisson hyperbare. Son

pronostic vital est toujours engagé à cette heure. »


« Les trois enfants ? Ce sont …

— Nolwenn, Maïwenn et moi oui. »

Suivait un paragraphe sur la mère d’une des fillettes qui promettait d’attaquer en justice sa belle-famille pour négligence si par malheur sa fille décédait.


Ce devait être Rozen, la mère de Nolwenn.


« Aucun d’entre vous ne se souvient de cet accident ?

— Nous avons vécu toutes ces années dans une autre version des faits…

— Comment ça ?

— Ils nous ont fait perdre la mémoire ! Ils ont redécouvert le moyen d’occulter les souvenirs.

— Redécouvert ?

— Il y a plusieurs références à un breuvage d’oubli dans les textes anciens ! Des druides l’ont même prescrit à Cuchulain, l’un des plus importants personnages de la mythologie irlandaise, alors qu’il restait prostré dans son lit suite au départ de sa maîtresse, la propre femme de Manannán ! »


Cuchulain, pas de bol, encore un « C », pensais-je en ouvrant à nouveau mon sésame.


Le dictionnaire n’était pas avare de commentaires sur ce héros, je ne savais pas trop où regarder.

« Cherche la référence à ses amours avec Fand, m’aida Lughan.

— On dirait qu’il est un de tes intimes… plaisantai-je.

— Je ne dirais pas cela, mais je le connais assez bien, répondit-il sans se démonter. »

En effet, une page évoquait bien la relation compliquée que Cuchulain avait entretenue avec l’épouse du noble sidhé. Je lus à voix haute le dernier paragraphe :


« Mais Manannán, le fils de la mer, connaissait son chagrin et sa honte. Il vint à sa rescousse, personne ne le voyant à part Fand, et celle-ci lui souhaita la bienvenue par un chant mystique.

« Reviendras-tu avec moi ? » demanda Manannán, « ou resteras-tu avec Cuchulain ? »

« En vérité », répondit Fand, « personne de vous deux n’est meilleur ou plus noble que l’autre, mais j’irai avec toi, Manannán. »

Elle partit alors avec Manannán.

Alors, Cuchulain bondit dans les airs et s’enfuit de ce lieu. Il resta couché pendant longtemps, refusant nourriture et boisson, jusqu’à ce que les druides lui fassent finalement perdre la mémoire ; Manannán, dit-on, fit alors passer sa cape entre Cuchulain et Fand afin qu’ils ne puissent plus se rencontrer de toute l’éternité. »


« J’ai toujours été troublé par les aventures de Cuchulain, reprit Lughan, en particulier par ses colères incontrôlables qui me rappelaient les miennes, ce n’est pas étonnant que les druides aient cherché à lui faire oublier sa liaison…

— Et tu dis que Blaise vous aurait fait pareillement oublier ce traumatisme et que lui et Pelléas peuvent jouer avec les souvenirs ? »

Avant de me répondre, Lughan reprit le verre en main et dit, en me le montrant distinctement :

« Bien sûr ! Après ta prestation mémorable avec la bague, si tu es recalé,  tu n’imagines pas repartir d’ici avec toutes les connaissances qui t’auront été transmises tout de même ! Blaise et Pelléas ont testé leur technique sur eux-mêmes à plusieurs reprises en se filmant mutuellement et l’effet est saisissant ! »

Le verre ne réagit pas. Lughan continua ses explications :

« L’incendie du moulin leur a fait penser aux nombreux rituels de régénération décrits dans les textes ; par exemple dans la deuxième branche du Mabinogion1 on explique ainsi la renaissance de Bran 2.

— Bran, à présent ! Lui, je le connais !

Je lui fis le résumé que j’avais gardé en tête mais je préfère vous livrer le texte dans sa version complète.


 « Un jour on vit sortir d’un lac un grand homme roux avec sa femme et ses enfants en portant un chaudron sur le dos. Il se faisait appeler Bran et ils se fixèrent dans le pays mais se firent haïr à cause de leurs exactions. Les habitants décidèrent de s’en débarrasser et construisirent une maison en fer.  Quand elle fut prête, ils firent venir tout ce qui avait en Irlande de forgerons possédant tenailles et marteaux et firent accumuler tout autour du charbon jusqu’au sommet de la maison. Ils passèrent en abondance nourriture et boissons à la femme, à l’homme et à ses enfants. Quand on les sut ivres on commença à mettre le feu au charbon autour de la maison et à faire jouer les soufflets jusque à ce que tout fut chauffé à blanc à l’intérieur. Eux tinrent conseil assis sur le sol de la chambre. L’homme, lui, y resta jusqu’à ce que la paroi de fer fût blanche. La chaleur devenant intolérable, il donna un coup d’épaule à la paroi, et sortit en la jetant dehors, suivi de sa femme et de ses enfants. »


Lughan reprit :

« C’était un dieu de l’autre monde. Il n’y a qu’eux pour émerger d’un lac, comme cela… A croire qu’ils vivaient autant dans l’eau que sur terre ! Puisqu’il suffit à l’homme de donner un coup d’épaules dans la porte pour qu’elle s’ouvre c’est donc qu’il est resté volontairement au milieu des flammes tant qu’il a pu. A la fin de l’histoire l’homme et sa femme sont demeurés au pays, ils se sont multipliés et partout où ils sont  allés ils se sont fortifiés en hommes et en armes, les meilleurs qu’on ait vu... Cela pourrait être un simple fait divers d’une légende oubliée mais c’est le parfait descriptif d’un rite de régénération qui décuple la puissance. Il s’agit non seulement de se purifier par le feu mais de régénérer l’énergie qui est engourdie par le sommeil de l’hiver.


L’explication me faisait penser aux antiques cérémonies en usage dans une grande partie de la Gaule qui consistaient à lancer depuis le haut d’une pente jusqu’à une rivière en contrebas une roue entourée de paille et d’étoupe à laquelle on avait mis le feu. Ces cérémonies avaient d’ailleurs été reprises aujourd’hui dans certaines fêtes de la Saint-Jean.


J’évoquai cette analogie et Lughan sembla tout émoustillé.

« Exactement ! reprit-il, et si l’on voulait une preuve supplémentaire, il suffirait de se rappeler de la date de cet accident !

— Un premier août…

— Lugnasad, la fête de Lug.  Cette fête a disparu du calendrier chrétien, mais elle survit dans les fêtes de la moisson et les fêtes en l’honneur de l’été, comme la Saint-Jean en effet. » 


Cet échange surréaliste faisait presque de moi le complice de ses théories ! Je devais réagir.


« Pourquoi me racontes-tu cela ? Je ne peux pas dire à Nolwenn que son père est mort à cause d’elle !

— Non, bien sûr, mais après avoir pleuré la mort de leurs enfants,  nos grands-parents comprirent que cet évènement faisait de nous une triade exemplaire. Nos parents ont été victimes d’une triple mort sacrificielle, très courante dans la mythologie irlandaise.

— Tu as l’air de prendre cette théorie très au sérieux !

— Lettre D comme Diarmaid », répondit Lughan en désignant mon livre.


Décidément, Aurélien savait ce qu’il faisait en me proposant de le mettre dans ma poche. Une fois ouvert sur ce nouveau personnage, roi d’Irlande, tout de même, je trouvai l’allusion qui avait perturbé Lughan et qui allait me laisser songeur également :


«On présenta ses druides à Diarmaid et il leur demanda de quelle manière il mourrait.

«De meurtre, dit le premier druide, et c’est d’une chemise faite avec une seule graine de lin et un manteau fait de la laine d’un seul mouton que tu porteras la nuit de ta mort.

— Il me sera facile d’éviter cela, dit Diarmaid.

— Tu mourras par noyade, dit le second druide, et c’est dans une bière brassée avec un seul grain que tu te noieras cette nuit-là.

— Tu mourras par brûlure, dit le troisième druide, et c’est du lard d’un porc qui n’a jamais été mis bas que tu auras sur ton plat.

— Cela est peu vraisemblable, dit Diarmaid».

 Mais le roi a beau dire et douter, tout ce que les druides ont prédit se produit : Diarmaid est frappé mortellement, noyé et brûlé vif par les Ulates, subissant ainsi, suivant un schéma souvent répété dans les annales mythiques, la triple mort sacrificielle du roi d’Irlande, usé et rendu mauvais par un exercice prolongé du pouvoir 3


« C’est ce qui est arrivé à nos parents, rattrapés par un souffle brûlant et ravageur qui montait vers eux, écrasés par la charpente du moulin qui ployait sous les flammes, étouffés par la chute des grains qui pleuvaient du silo et se répandaient dans le bief. Blaise en a d’ailleurs eu la vision ! »


Je me remémorai en effet ce que Maïwenn nous avait raconté dans le grenier. Force était de constater que ses explications se tenaient.


Alors que Lughan se taisait, je repris la parole :

« Voilà pourquoi Pelléas a insisté pour que Maïwenn soit présente aujourd’hui, bien qu’elle ne fasse pas partie de la famille.

— Oui, et après l’intronisation, nous allons nous rapprocher encore et ne ferons véritablement plus qu’un.

— Tu oublies quelque chose ! La malédiction qui touche Nolwenn !

— Je comprends que tu t’inquiètes pour elle mais je peux au moins te dire que cette malédiction ne s’appliquera pas à elle ; elle ne mourra pas l’année de ses vingt-six ans ».


Je regardai le verre que Lughan tenait toujours à la main.


« D’accord, au moins tu le crois, mais Antoine Quéril n’était pas aussi affirmatif lui, même en ce qui concerne notre génération, celle des petits enfants !

— Je pense qu’ils te donneront toutes les explications nécessaires ».


La situation prenait une tournure énigmatique.


« Mais ne te fais pas trop d’illusions à propos de Nolwenn, reprit Lughan. Elle t’écartera de son chemin ! Maïwenn t’oubliera également... Viendra un moment où elles n’auront plus confiance en toi,  elles te suspecteront de leur mentir et souhaiteront te soumettre à l’épreuve de ces verres, ce ne sera pas de leur faute, elles penseront suivre leur destin. »


Nous formions une équipe d’après Aurélien mais Lughan semblait en connaître bien plus que nous, que moi en tout cas.


« Entendu, je saurai à quoi m’en tenir. »


Je baissai ma garde, laissant Lughan prendre l’ascendant sur moi, mais à mon corps défendant car je pensais bien ne plus être concerné par leurs affaires quand ce moment arriverait…


Lughan, voyant mon air contrit, reprit :

« Les femmes ont toujours été redoutables dans la mythologie celtique, nous devons nous entraider, ne serait-ce que parce que toi et moi sommes coupés d’une partie de nos racines.

— Que veux-tu dire ?

— Nous n’avons pas vraiment connu nos pères respectifs. »


Il jouait maintenant sur une corde sensible afin que je ne perde pas de vue qu’il était laissé à lui-même depuis de nombreuses années, sans père ni mère.


« Je vais te confier un secret, dit-il encore, un secret qui te permettra de ne pas tomber dans leurs combines, et ensuite nous boirons à la santé de nos pères absents, sans risquer de casser le verre qui nous reste… »


Il me quitta une dizaine de minutes plus tard, après m’avoir rappelé mon invitation ou ma convocation dans le salon… J’étais fébrile, Lughan m’avait averti que je devais m’attendre à d’autres révélations. Tout s’enchaînait très vite et je me sentais sur le point d’être emporté par les évènements. Puisque je savais désormais que l’on chercherait à me faire perdre la mémoire, je décidai de déclencher le micro de mon téléphone et de le laisser tourner pendant l’entretien. Comme je descendais les escaliers, je vis par la fenêtre les deux filles se promener au bord du lac.


Etais-je le seul à subir l’accélération du jeu ?


Les trois anciens étaient assis dans le salon et paraissaient un peu gênés. Blaise m’offrit de prendre un bonbon dans une coupe sur la table en disant comme pour s’excuser par avance :

« Lughan a même sorti des petites douceurs, c’est un bon garçon. »


Je n’étais pas certain de partager son point de vue sur Lughan et je déclinai par pure bravade le chocolat au beurre salé qu’il me tendait.


Je m’assis donc et attendis la confrontation.

« Nous sommes désolés de t’avoir mis mal à l’aise au point que tu sembles vouloir nous quitter, reprit Pelléas. En cela tu ressembles à tous ces chevaliers qui sont passés à côté du Graal à Corbénic et qui sont partis au matin, penauds et confus… Pourtant nous n’avons rien à te cacher… »


Inutile de préciser que j’avais de bonnes raisons de penser le contraire !


Il reprit :

« Nous n’imaginions pas que tu te sentirais mis en accusation.

— Après votre présentation des ordalies irlandaises, il ne pouvait guère en être autrement, répondis-je. J’ai beau chercher, je ne vois qu’une chose qui ait pu provoquer cette réaction de la bague.

— J’imagine que tu parles de ton expédition matinale au grenier, dit Blaise.

— Oui, et je vous prie de m’excuser, mais il m’avait semblé que les signaux de lumière que j’avais perçus dans cette chambre hier soir m’étaient adressés. J’avais promis à Nolwenn de veiller sur elle et j’ai pensé que c’était mon rôle de vérifier leur origine. »


J’avais volontairement appuyé sur le mot « rôle » pour bien dissocier mon comportement habituel de celui de mon personnage.


Pelléas ne fit pas grand cas de mes explications et balaya mes excuses d’un revers de main. 

« Je te l’ai dit, nous n’avons rien à cacher et nous avions d’ailleurs prévu de vous montrer cette chambre ce matin. »


Devais-je le croire ?


Il reprit :  

« Nous voulions juste nous assurer que l’un d’entre vous pourrait diriger la triade pour nous succéder. Mais il nous faut d’abord t’expliquer pourquoi nous souhaitions ta présence ici et pourquoi nous t’avons demandé d’essayer cette bague.

— Je vous écoute.

— Pour cela il faut revenir à cette fameuse pièce de théâtre en 1983. »


Pourquoi était-il à nouveau question de cet épisode ?


« Nous l’avons déjà dit, notre fils Denez y a rencontré Rozen, sa future femme, mais ce soir-là, c’est ta mère qui avait attiré son regard au sein de la troupe. Rozen a peut-être pris cette attention pour elle et comme elle a toujours été la plus entreprenante des deux sœurs elle a finalement emporté le cœur de Denez… Ta mère a dû souffrir en silence, pourtant ils ont passé beaucoup de temps ensemble tous les trois pendant leurs années lycée puis une fois étudiants à Rennes. A l’issue de leur licence, Denez est revenu un jour chez nous, perturbé, et il nous a avoué que Léna et lui venaient d’avoir une relation sexuelle, en attendant que Rozen les rejoigne pour fêter la fin d’année... Ils étaient tous deux un peu éméchés mais le mal était fait. »


Je ne m’étais pas attendu à cela.


Hélène prit la parole :

« Il savait que Léna était amoureuse de lui depuis des années mais qu’elle s’était effacée au profit de sa sœur ! Nous ne connaîtrons jamais exactement les responsabilités de chacun mais ce fut la dernière fois que nous entendions parler de ta mère. Elle a trouvé du travail à Nantes pendant que Denez et Rozen s’installaient à Rennes. »


Cela expliquait la brouille entre les deux sœurs, brouille qui s’était terminée devant le cercueil de l’homme qu’elles avaient désiré toutes les deux.


« Nous avons appris récemment et par hasard que ta mère était tombée enceinte quelque temps après son départ… C’est pour cela que nous voulions te voir, Erwann, et lever le doute si possible. Les druides étaient très au point en terme d’hérédité et de filiation, même sans tests ADN… Denez est bien ton père Erwann, et Nolwenn est ta sœur. »


Nolwenn devait l’ignorer sinon elle se serait empressée de me titiller à ce sujet.


Je demandai :

« Lui en avez-vous parlé ?

— Non.

— Lughan est-il au courant ? »

Pelléas sembla étonné.

« Lughan ? Non, bien sûr. »


Pourtant Lughan avait probablement deviné notre filiation d’une manière ou d’une autre. Cela expliquerait pourquoi il m’avait assuré que Nolwenn ne risquait rien. En effet j’étais l’ainé des deux !


« Je comprends mieux à présent votre intérêt pour mon signe astrologique !

— Pourquoi dis-tu cela ? demanda Blaise.

— Vous vouliez savoir qui serait le prochain à mourir…

— Comment as-tu eu connaissance de cela ? demanda Hélène, surprise.

— Peu importe. »


Je voulais leur montrer que moi aussi j’avais mes secrets.


« Nous n’y pouvons rien, crois bien que je suis désolé ! » dit Pelléas.


Je devinai alors pourquoi j’occupais la chambre Aulne et son rapport avec le feu. Aurélien avait poussé l’ironie jusqu’au bout !


« Nolwenn sait-elle aussi pour la malédiction ? s’enquit Hélène.

— Oui.

— La pauvre, elle doit être choquée.

— Dois-je la rassurer sur son avenir ?

— C’est à toi de décider, Erwann, tu peux aller les retrouver et leur révéler ce que tu veux, répondit Pelléas. Tu fais partie de la famille autant qu’elle.

— J’ai… besoin de réfléchir, dis-je en me levant.

— Bien sûr, nous comprenons. »

Je m’apprêtai à quitter la pièce par l’arrière et sortir sur la terrasse  mais j’entendis Lughan qui attendait dans le patio.


Il ne manquerait pas de m’interroger et c’était la dernière personne avec qui j’avais envie de parler.


Je me dirigeai alors vers l’entrée principale, ce qui me laisserait d’ailleurs plus de temps pour analyser la situation. Alors que dix minutes auparavant  je me croyais proche de la sortie j’étais désormais à nouveau propulsé au centre du jeu. J’avais finalement autant de droit à la parole et à « l’héritage » que ma nouvelle sœur et mon nouveau cousin et, de plus, j’avais toutes les chances de mourir dans le dernier épisode de la série ! Tous les regards allaient converger sur moi à présent.


Dehors je m’arrêtai après quelques pas, me demandant ce que j’allais expliquer à Nolwenn et à Maïwenn, quand tout a basculé. Des coups de feu déchirèrent le silence dans la maison. J’étais à quelques pas de la fenêtre du salon et je me précipitai à couvert en prenant garde de ne pas me faire voir. La scène qui s’offrit à moi était surréaliste ; Lughan m’apparaissait de dos, il tenait un pistolet à la main et tirait sur les membres de sa famille ! Les trois anciens avaient visiblement reçu une balle chacun et il envoya une deuxième salve, presqu’à bout portant. Tout cela ne dura que quelques secondes pourtant. Je vis alors Lughan s’approcher tranquillement de la table, s’emparer de la coupe en renversant les chocolats et se tourner ostensiblement vers moi comme pour s’assurer que je l’avais bien identifié. Je me cachai derrière le mur, sans bouger, les oreilles encore un peu assommées par le bruit de la récente fusillade, jusqu’au moment où je l’entendis s’enfuir.


La coupe ! Pelléas m’avait indiqué que je ressemblais à ces chevaliers qui passent à côté du Graal sans le reconnaître ! Le Graal n’était pas une coupe en or, mais plutôt ce banal récipient bien plus fonctionnel s’il avait dû recueillir le sang du Christ !


Je pénétrai à nouveau dans la maison, après une seconde d’hésitation, sans trop savoir ce que j’allais faire, anxieux à présent au sujet de mes coéquipières. La porte de la chambre de Lughan claqua brusquement et je commençai à grimper l’escalier faisant preuve d’un courage ou d’une inconscience qui me surprenaient moi-même. Au même moment Nolwenn et Maïwenn déboulèrent de la véranda.  

« Que se passe-t-il ? s’exclama Nolwenn.  

— C’est Lughan ! Il est devenu fou ! Il a tiré sur Pelléas, Hélène et  Blaise ! »


Rassuré sur le sort des deux jeunes femmes je repris mon ascension. Nolwenn et Maïwenn m’emboitèrent le pas, choquées elles aussi. Arrivé sur le palier je discernai le pistolet au sol.

« Regardez ! Il s’est débarrassé de son arme et il s’est réfugié dans sa chambre ! Il est devenu fou je vous dis ! »

Maïwenn semblait totalement désorientée. Je laissai passer quelques secondes et je continuai sur ma lancée :

« Et de plus il me semble bien qu’il s’est emparé du Graal ! »

Là je crois que j’étais allé trop loin pour elles. Elles me regardèrent sans comprendre. Soudain un cri retentit dans la chambre.

« Il les a tués ! »


Mais… il m’accusait !


« Où sont-ils ? demanda Nolwenn, ayant constaté d’un coup d’œil qu’il n’y avait personne dans la salle de réunion.

- Dans le salon, répondis-je.

Nolwenn me foudroya du regard et redescendit l’escalier en courant. Nous laissâmes Lughan à ses déclamations et suivîmes Nolwenn qui découvrit la scène à son tour. Au premier regard nous eûmes confirmation qu’ils étaient morts tous les trois et nous restâmes figés quelques instants au milieu de la pièce sans rien oser tenter.


Je me rendis brusquement compte que le pistolet là-haut n’avait rien d’une arme de théâtre ! Il aurait dû être bariolé pour rassurer sur son innocuité !


A voir l’expression que chacun d’entre nous arborait je sus que nous nous posions les mêmes questions. Pourtant Aurélien était toujours invisible, et aucun technicien n’était accouru. Cela aurait dû me rassurer en nous laissant penser que nous étions toujours dans la fiction mais j’étais déconcerté. Maïwenn prit la parole la première :

« J’appelle la police, c’est le mieux à faire. »

Pendant qu’elle composait le numéro sur son portable, Nolwenn sortit le sien et prit des photographies de la pièce.


Je me souvins alors de l’enregistrement sur mon propre téléphone.


Je regardai subrepticement l’écran, l’enregistrement s’était arrêté tout seul, peut-être à cause de mes mouvements brusques. Jusqu’où avait-il

fonctionné ?  Je me doutais que mon téléphone serait emporté par la police alors je transférai le fichier sur ma boite mail.

« Que s’est-il passé ? me demanda Maïwenn.

— Je venais d’avoir une conversation avec eux, dis-je en les montrant vaguement d’un geste inachevé, j’étais sorti et je m’apprêtais à vous rejoindre quand j’ai entendu les premiers coups de feu. J’ai vu distinctement Lughan par la fenêtre. Il tenait l’arme et tirait sans aucun état d’âme… Il a quitté la pièce et a pris les escaliers. Je suis rentré à nouveau et c’est à ce moment que vous êtes arrivées. »

Pendant ce temps, Lughan continuait à gémir, cloitré dans sa chambre, et son « Il les a tués ! » apportait un démenti régulier à chacune de mes explications.


Nous entendîmes rapidement une cacophonie de sirènes suivie par le bruit de véhicules franchissant le porche et celui de pneus crissant sur le gravier devant la maison. Des portières claquèrent immédiatement et plusieurs policiers en service entrèrent dans la maison. Un inspecteur prit très vite les choses en main, j’avais l’impression d’être dans un film, d’ailleurs normalement ce devait être toujours le cas…


L’inspecteur s’appelait Benjamin. Ce devait bien sûr être son nom de famille mais nous le désignerions ainsi tout au long du scénario. Pendant que Benjamin nous interrogeait dans la salle à manger, des policiers photographièrent les corps sous toutes les coutures, puis dessinèrent leurs silhouettes sur les fauteuils avant qu’ils ne soient emportés. Nous vîmes une femme en uniforme passer dans le couloir accompagnée d’un Lughan prostré, répétant toujours la même accusation. Un autre policier revint avec le pistolet dans un sachet et le montra à son supérieur. 


« Un Walter PPK, et un original apparemment… dit Benjamin, une arme allemande de la deuxième guerre mondiale ! »


Le pistolet laissé par Antoine Quéril à Louise, la mère d’Hélène et de Blaise !


Les policiers relevèrent six impacts de balles, deux par personne. Un projectile avait raté Pelléas et s’était encastré dans un mur après avoir traversé le fauteuil. Enfin des scellés furent posés sur les portes du salon.


Je décidai de donner de moi-même à l’inspecteur mon téléphone après lui avoir confié que j’avais enregistré la scène. J’étais assuré de disposer là d’une preuve de ma totale innocence.

La policière demanda à Maïwenn si elle pouvait trouver un manteau pour Lughan et je fus choqué de voir les gestes de réconfort que cette dernière lui prodigua en l’aidant à s’habiller.


Qui soutiendra-t-elle ? Avait-t-elle basculé de son côté ?


Benjamin décida de nous confiner dans la maison pour la suite de l’enquête et précisa qu’il soustrayait Lughan pour son bien car il était fragile et devait être protégé. J’étais outré.

« Fragile ? Il a tué trois personnes de sang froid ! Il joue la comédie c’est évident ! »

— Je connais cette famille depuis vingt ans, reprit Benjamin, depuis l’accident qui a privé Lughan de sa mère et qui lui a fait perdre l’esprit. Il a été suivi par un psychologue pendant des années ! Heureusement que ses grands-parents étaient là pour prendre soin de lui. Tout le monde sait dans la région qu’il est incapable de la moindre méchanceté et qu’il ne ferait pas de mal à une mouche ! »



« Tu te rends compte que tu fais le coupable idéal Erwann ! »

Nolwenn ne mit pas longtemps à m’apostropher après le départ des policiers. Comme je me taisais, Maïwenn s’étonna :

« Même si Lughan n’est pas aussi faible d’esprit que l’inspecteur le pense, il n’aurait eu aucune raison de tuer ses grands-parents ! »


La mise en garde de Lughan me revenait à l’esprit. « Viendra un moment où elles n’auront plus confiance en toi, où elles te suspecteront de leur mentir. »


« Tu peux nous dire ce qui s’est VRAIMENT passé ? demanda ma nouvelle sœur. »


Si Maïwenn avait conservé un ton bienveillant à mon égard, Nolwenn analysait froidement la situation.


« Lughan m’a piégé, et même si je vous révèle ce que Pelléas m’a raconté, cela se retournera aussi contre moi…

— Alors, nous ne pourrons rien pour toi ! dit Nolwenn.


Je décidai de jouer mon va-tout.


« J’ai enregistré la scène sur mon portable.

- Mais tu l’as donné toi-même à l’inspecteur ! répondit Maïwenn.

- Oui, mais avant que la police n’arrive, j’ai envoyé le fichier sur mon adresse mail ! »

Nolwenn m’adressa alors un regard plutôt flatteur, que j’interprétai comme une reconnaissance de mon esprit d’initiative.


Tout n’était peut-être pas perdu !


Elle me prêta son téléphone, je me connectai à ma messagerie et ouvris le fichier. La voix de Pelléas se fit entendre à nouveau :

« Mais il nous faut d’abord t’expliquer pourquoi nous souhaitions ta présence ici et pourquoi nous t’avons demandé d’essayer cette bague. 

— Je vous écoute.

— Pour cela il faut revenir à cette fameuse pièce de théâtre en 1983. »


Je surveillai les réactions de Nolwenn tout au long de la conversation, sa surprise quand Pelléas parla de l’infidélité de son père avec ma mère, son effarement quand fut annoncé mon nouveau lien de famille avec elle et son stoïcisme à l’annonce de ma mort prochaine.


J’arrêtai momentanément le fichier au moment où je sortais de la pièce le temps qu’elles assimilent ce trop-plein d’informations.

« Ainsi tu n’es pas seulement mon cousin, tu es aussi mon frère !

— Demi-frère, précisai-je.

Maïwenn intervint :

— Mais cela te désigne tout de même effectivement comme la prochaine victime de la malédiction !

— Oui, il fallait bien que je vous en parle.

Nolwenn se reprit.

— Que s’est-il passé ensuite ? »

Je remis l’enregistrement en route en commentant la bande son car il n’y avait plus de dialogue.

« Je sors de la pièce, j’ouvre la porte sur le devant. Je marche sur les graviers et… »

Je suspendis mes explications car les coups de feu rejaillirent brusquement, faisant sursauter les deux filles.

« Je me jette sur le mur. Je vois Lughan de dos à travers la fenêtre, il tire. Le bruit de course que vous entendez maintenant c’est lui qui s’enfuit et qui monte l’escalier. Je rentre à mon tour et je le suis jusqu’au bas des marches. »


Je me rendis compte que Lughan s’était arrêté au milieu de l’escalier et que quelque chose avait fait du bruit en tombant. Puis il était reparti et avait claqué la porte de sa chambre.


« C’est à ce moment que vous êtes entrées. »

Elles reconnurent en effet leur voix : 

« Que se passe-t-il ? » demanda Nolwenn. 

— C’est Lughan ! Il est devenu fou ! Il a tiré sur Pelléas, Hélène et  Blaise ! »

Nolwenn profita du temps de silence qui avait suivi ma réponse pour s’écrier :

« Nous n’avons pas entendu une seule fois la voix de Lughan dans cet enregistrement ! Comment pouvons-nous te croire ?

— Pourtant, tout est vrai, dis-je d’un air abattu. »

Elle eut une idée :

« Il y a un peut-être un moyen pour nous assurer que tu nous dis la vérité …

— Les verres de Cormac ! devina Maïwenn.

— Même si nous ne pourrons jamais convaincre la police de ta bonne foi, nous saurons au moins à quoi nous en tenir ! »

Je me pris la tête en me lamentant. Nolwenn me fustigea à nouveau.

« Tu as peur de te soumettre à cette ordalie ?

— Non, ce n’est pas cela…

— Alors, nous devons chercher ces verres et trouver comment les activer !

— Ils sont dans le laboratoire de Blaise, répondis-je.

— Comment le sais-tu ?

— Je vous expliquerai plus tard…

— Où est ce laboratoire ? »


J’imagine, ami lecteur, que vous souvenez comme moi que Lughan était descendu en sortant de la salle de réunion, à priori pour se rendre dans le laboratoire et remonter les deux verres.


« Je crois que la maison comporte un sous-sol.

— Un sous-sol ?

— Au rez-de-chaussée toutes les pièces sont occupées par des chambres ou des pièces communes. 

— Bon, admettons. Et comment y descend-on dans ton sous-sol ? Il n’y a aucun escalier !

— Par l’ascenseur.

— Bien ! dit Nolwenn, alors allons-y. »

Elle se dirigea vers la porte de l’ascenseur, qui s’ouvrit sitôt sollicitée. Je ne m’étais pas précipité à sa suite, sentant confusément ce qui allait se passer. Je l’entendis m’apostropher. 

« Je ne peux pas descendre ! Il n’y a qu’un bouton et il va m’emmener au premier étage !

— Je pense que l’accès n’est accessible qu’aux personnes autorisées… » répondis-je en entrant à mon tour dans la cabine, suivi par Maïwenn.


Nouveau regard de Nolwenn, plus suspicieux celui-là. 


«Comment le sais-tu ? demanda-t-elle.

— Les policiers ont fouillé la maison. S’ils avaient trouvé un laboratoire, ils nous auraient interrogés à ce sujet ! »

Je désignai le clavier sur le panneau de contrôle et poursuivis mon explication : 

« A quoi d’autre pourraient bien servir ces touches car, comme tu l’as remarqué, un seul bouton suffit pour faire la navette entre les deux niveaux. Je crois donc

que l’ascenseur ne descend au sous-sol que si l’on saisit un code confidentiel sur ce clavier.    

— Alors, que fait-on maintenant ? s’irrita ma cousine.

— Il y a peut-être encore un espoir », suggérai-je, en appuyant sur le bouton de mise en marche.


L’appareil nous emmena donc au premier étage et je rentrai dans la « cuisinette ». Les deux filles me regardèrent ouvrir les portes du placard. Les deux boites en carton s’y trouvaient. J’en pris une dans les mains. Un bruit de verre cassé répondit immédiatement à mon geste. Maïwenn poussa un cri.

« Lughan les aurait cassés ? »

Je dus une nouvelle foism’enfoncer un peu plus.

« Non, celui-là, c’est moi... »

Je n’osais regarder Nolwenn mais je savais que j’avais droit à un troisième regard, sans doute ombrageux celui-là. Je répétai une fois de plus la même phrase qui perdait du coup en crédibilité :

« Je vous expliquerai plus tard... »


Comme je l’espérais, le deuxième verre était intact. Nous passâmes dans la salle de réunion et je le déballai précautionneusement.

« Comment fonctionne-t-il ? » demanda Nolwenn.

Je leur expliquai le principe et elles constatèrent chacune leur tour qu’une lumière orange se diffusait dans leur main… Mais dans la mienne la lumière était bleue !

« Je suis immunisé ! dis-je d’un ton de plus en plus las.

— Immunisé ? mais pourquoi ? interrogea Nolwenn.

— Lughan est venu me voir dans ma chambre après l’épisode de la bague. Il avait apporté ces deux verres. Nous avons parlé et il m’a proposé ce qui m’apparaissait être un moyen de m’aider… »


« Je vais te confier un secret, reprit-il, un secret qui te permettra de ne pas tomber dans leurs combines, et ensuite nous boirons à la santé de nos pères absents, sans risquer de casser le verre qui nous reste… »

Il me regarda et poursuivit :

« Il est possible de s’immuniser contre les effets de ce pouvoir, il suffit de quelques mouvements de doigts bien ajustés. »

Il prit le verre et fit glisser précautionneusement son index sur le bord en alternant le sens selon une procédure complexe que je ne me sens pas le droit de divulguer ici. Je vis alors une discrète lueur bleue parcourir le haut du verre et venir se condenser dans le pied pour disparaître dans sa main.

« Voilà, le verre m’a ‘mémorisé’ et il s’est désactivé. Je pourrais maintenant mentir effrontément sans qu’il ne réagisse.

— Comment ça fonctionne ?

— Le verre comporte des cellules photo-électriques qui produisent de l’énergie, il est ainsi capable de générer un signal, une signature qui se dépose dans la mémoire de la personne, à la manière d’un « cookie informatique ». Ce cookie sera perceptible dans sa voix et jouera un rôle immunitaire. »

Lughan me tendit le verre en disant :

« Tiens, à ton tour, tu verras. »

Je pris le verre et répétai la manœuvre en suivant les indications de Lughan. La même lueur bleue apparut, me chauffant un peu la main avant de disparaître.

« Bravo, dit-il, on ne risque plus rien désormais!

— Sommes-nous immunisés sur tous les verres ou sur un seul ?

— Auprès de la totalité du service. Le cookie est déposé sur la personne sinon il faudrait renouveler l’opération sur tous les verres, ce qui serait fastidieux. »


Nolwenn était estomaquée.

— Mais pourquoi as-tu accepté une chose pareille ?

— Il m’avait mis en confiance ! Quand je pense qu’il m’a lui-même incité à déclencher les ennuis qu’il m’annonçait !

— Je ne comprends rien ! Explique-toi !

— Il m’avait révélé que je perdrais votre confiance, que vous chercheriez à me contraindre à cette épreuve des verres et que pour m’en sortir, il allait m’immuniser ! Je n’ai pas compris alors que loin de me servir, cette immunité risquait de me perdre !

— Mais pourquoi nous nous serions détournés de toi ? »


Je sentais bien que mes explications ne faisaient que m’enliser dans une situation de plus en plus critique.


« Une fois que je vous aurai rapporté ce qu’il m’a fait découvrir, vous comprendrez que j’ai pu être perturbé… »

Je demandai à nouveau son téléphone à Nolwenn, me connectai sur le site des Echos de Brocéliande et retrouvai aisément l’article de presse. Je vis les traits du visage de ma sœur se défaire au fur et à mesure de sa lecture.


Cà, pour le coup, ce n’était pas dans son livret de personnage !


« Nous avons provoqué la mort de mon père et de la mère de Lughan », dit-elle enfin.

Maïwenn la regardait sans rien dire. Elle aussi cherchait dans sa mémoire des éléments qui valideraient cette hypothèse.


Je respirai à nouveau, enfin la culpabilité avait changé d’épaules, même si je n’étais pas très fier de moi pour autant.


« Denez et Enora ne sont montés dans le moulin que parce que nous y avons pénétré juste avant qu’il brûle ! conclut Maïwenn.

— Nous n’avons jamais entendu parler de cette version ! » reprit Nolwenn.

J’intervins dans la discussion :

« Cela aurait été un peu difficile à porter pour des enfants de trois à six ans, tu ne crois pas ? 

— As-tu parlé à Benjamin de cette discussion avec Lughan? demanda ma sœur.

— Non, bien sûr… je n’aurais pas pu justifier le quart de tout ce qui s’est dit à ce moment…

— Pourtant, si je me souviens de ce que tu as évoqué dans l’escalier, il ne va pas être déçu…

— Pourquoi ? Qu’ai-je dit ?

— Ecoute à nouveau ta dernière phrase. »


Je revins sur l’enregistrement et le remis en route quelques secondes avant la fin pour m’entendre clairement dire : 

« Et de plus il me semble bien qu’il s’est emparé du Graal! »


J’avais complètement oublié cette dernière remarque ! Et Benjamin allait la découvrir alors que j’avais pris soin de l’omettre lors de mon interrogatoire !


« Maintenant, la police va chercher la trace de ce soi-disant Graal ! ajouta Nolwenn.

— Pourquoi ai-je oublié ce détail ?

— La vraie question est : Pourquoi as-tu enregistré la scène ?

— Lughan m’a averti qu’ils nous feraient oublier ce que nous avons appris si nous ne convenions pas, c’est même lui qui m’a donné l’idée d’enregistrer ! »


Mais pourquoi m’avait-il signalé cette anecdote ? Je ne m’étais pas posé cette question mais la réponse s’imposait à présent ! Il voulait que je pense disposer d’une preuve de mon innocence ! Tout ce que je crois être à mon avantage risque en fait de se retourner contre moi !


« Le Graal… dis-je. Il faut absolument le retrouver.

— En effet, dit Nolwenn qui avait suivi le même raisonnement que moi. A la place de Benjamin, je finirais par penser que c’est toi qui l’as caché finalement. »

Un rapide coup d’œil dans la chambre de Lughan nous permit de voir que la coupe n’y était pas.

« Ou a-t-il pu le mettre ? demanda Maïwenn.

— Si c’est une manigance de sa part, je dirais que nous devrions chercher partout où ce pourrait être utilisé contre moi…

— Tu as regardé dans ta voiture ?

— A quel moment aurait-il pu l’y glisser ?

— Je ne pense pas que Benjamin s’en inquiétera si la coupe s’y trouve vu que tu étais à deux pas de ton véhicule avant le drame.

— D’accord, j’y vais, répondis-je sans chercher à me disculper une nouvelle fois.

— Je t’accompagne », dit Maïwenn.


Au moins elle pourrait attester de ma coopération.


Je descendis les escaliers, Maïwenn à ma suite et je me dirigeai vers la cour. Une légère pluie s’était mise à tomber. J’ouvris la voiture, je fouillai le coffre, sans rien trouver. Maïwenn était restée à l’abri, protégée par la façade et elle me regardait faire.

Je la rejoignis, l’air dépité.

« Benjamin va croire que j’ai eu l’opportunité de cacher cette coupe n’importe où maintenant...

— A quoi ressemble-t-elle ? »

Avant même que je puisse répondre Nolwenn ouvrit la fenêtre au-dessus de nos têtes et nous apostropha.

« Alors ?

— Rien…

— On verra plus tard car nous avons un autre problème, enfin tu as un autre problème !

— Quoi donc », demandai-je, prêt à tout entendre.

Nolwenn jeta un œil au policier à l’entrée du parc avant de répondre.

« Je préfère vous enparler dans ta chambre. »


Je remontai les escaliers, rejoint quelques instants plus tard par Maïwenn. J’avais l’impression de virevolter entre deux portes, passant du salon à la salle de réunion, puis de la salle de réunion à la cour d’honneur, et enfin de la cour d’honneur à ma chambre comme dans un Cluedo 4 géant.

« Ecoutez attentivement la bande », nous dit-elle.

Elle déclencha une nouvelle fois l’enregistrement et cette fois-ci je m’abstins de tout commentaire. Sans vraiment savoir pourquoi, je comptai les détonations.  Là, nouvelle douche froide :

« Il n’y a que cinq coups de feu !

- En effet ! dit Nolwenn.

— Mais ce n’est pas possible, dit Maïwenn, Benjamin lui-même nous a confirmé les six impacts, deux par personne !

— Peut-être mais il n’y a que cinq déflagrations !

— Donc la scène n’a manifestement pas pu se dérouler comme tu nous l’as racontée !  reprit Nolwenn. Benjamin en déduira que tu lui mens !

— Je vous répète que je suis innocent ! »


Maïwenn intervint :

« Il y a peut-être une autre explication. Hélène et Blaise ont reçu deux balles mais le meurtrier semble avoir raté Pelléas lors d’un de ses tirs puisque la balle a été retrouvée dans le mur après avoir perforé le fauteuil. Et si cette balle avait été tirée à un autre moment ? L’assassin savait pertinemment que Pelléas serait sur ce fauteuil et que l’on conclurait à un tir manqué !

— Mais nous n’avons entendu aucun coup de feu depuis notre arrivée ! » lui répondis-je.

Nolwenn se lança dans une recherche sur son téléphone et reprit :

« Benjamin a reconnu l’arme comme étant un Walter PPK. Cette arme peut être équipée d’un silencieux.

— Ce silencieux serait une pièce à conviction déterminante !

— Ou est-il ? La police ne l’a pas retrouvé !  Lughan l’aurait-il caché dans sa chambre ?

— Un assassin ne cacherait pas l’arme sous son propre toit, dis-je, fataliste.

— Si c’est un élément de plus dans son complot contre toi, alors il se sera arrangé pour qu’on finisse par le retrouver là il te ferait le plus de tort, suggéra Maïwenn.

— Ou cela ? demandai-je.

— Ici, dans TA chambre ! répondit-elle. Quand il est venu te parler l’as-tu laissé seul un instant ?

— Non… attend, si ! Quand je suis allé chercher un gant dans la salle de bain !

— Ou était-il assis ?

— Pile à ta place, Nolwenn. »


Ma sœur se leva précautionneusement comme si le présumé silencieux avait pu hériter d’une capacité à se défendre contre un postérieur importun. Elle souleva les coussins un à un et examina le cadre ainsi mis à jour. Maïwenn et moi la laissions faire, cherchant nous aussi des yeux la preuve de notre théorie audacieuse. Nous retînmes un hoquet de surprise quand un froid cylindre métallique apparut dans un angle, lové entre deux ressorts. J’avais la sensation qu’à tout instant il pouvait déployer son corps ramassé et se faufiler dans un interstice du canapé tel un orvet que l’on aurait dérangé en soulevant une pierre. Nolwenn prit la parole la première.


« Allons-nous signaler notre découverte à Benjamin ?

— Vous me condamnez, si vous faites cela, dis-je. Pourtant encore une fois je n’ai rien fait.

— D’accord, je te crois à présent », soupira Nolwenn.

Maïwenn l’interrogea du regard.

« Il l’a dit lui-même, reprit-elle, un assassin ne cacherait pas l’arme sous son propre toit. »

Maïwenn sembla adhérer également à cette conclusion.

« En voulant trop te charger, Lughan aura peut-être commis là sa première erreur ! dit-elle.

— Qu’allons-nous faire ? demandai-je, heureux de ne plus me débattre seul.

— On pourrait peut-être le déplacer, proposa Maïwenn, le cacher là où Lughan aurait été susceptible de le mettre dans sa prétendue fuite, et faire en sorte que Benjamin le retrouve sans qu’il puisse croire à un coup monté de notre part.

— J’ai peut-être une idée, reprit Nolwenn.

— Laquelle ? dis-je.

— Moi je préférerais ne pas le savoir, dit Maïwenn, si jamais je dois être interrogée sous l’emprise des verres de Cormac !

— Elle a raison », confirma ma sœur.


Elle alla chercher de nouveaux gants dans le cabinet de toilette, les enfila et s’arrêta avant de prendre le silencieux, puis dit en se tournant vers moi :

« Nous avons un coup d’avance sur Lughan avec cette découverte. Utilisons-là à ton avantage ! J’ai une idée pour éloigner les soupçons de toi. As–tu confiance en moi ? »


Quelques heures plus tôt son cousin m’avait posé la même question ! 


« Oui », soupirai-je, en me demandant si je n’allais pas encore me fourvoyer dans un plan tarabiscoté.

En effet, une fois qu’elle m’eût expliqué ce qu’elle attendait de moi, je fus scandalisé. Je finis néanmoins par me laisser convaincre en renâclant.

« J’accepte contraint et forcé, que ce soit bien clair. Mais toi ou ton cousin vous êtes tout aussi démoniaques l’un que l’autre, ce doit être de famille !

— Je te signale que tu fais aussi partie de cette famille maintenant ! »

J’eu cette réponse, qui sur le coup me paraissait parfaitement légitime :

« Peut-être, mais pas depuis longtemps ! »

Puis Nolwenn quitta rapidement la chambre avec la pièce à conviction et nous restâmes seuls, Maïwenn et moi. Elle m’observait et son regard me déstabilisait totalement d’autant plus que les caméras devaient me dévisager sans vergogne.


J’avais l’impression que le moindre mouvement de tête de ma part ne ferait que dévoiler mon trouble car au montage la direction de mes yeux trahirait mes sentiments.


Nous entendîmes du bruit à l’extérieur, près de la route. Le policier de garde peinait à refermer le portail, un portail trop vieux et plus guère en mesure d’aller au bout de ses mouvements, puis l’agent reprit sa place, bien décidé à ce que personne ne sorte sans un motif dûment approuvé.

« Benjamin est de retour, clama Nolwenn, ça va être notre fête ! »





[1] Les Mabinogion sont une collection de quatre récits médiévaux en moyen gallois qui font référence à la mythologie celtique de l’Antiquité. (Wikipédia)

[2] Un autre Bran que celui évoqué par Viviane dans la première scène.

[3]Hubert D’Arbois de Jubainville, Introduction à l’étude de la littérature celtique.

[4] Cluedo est un jeu de société imaginé par Anthony et Elva Rosalie Pratt, en 1943, dans lequel les joueurs doivent découvrir parmi eux qui est le meurtrier d'un crime commis dans un manoir anglais, le Manoir Tudor. (Wikipedia)

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