Chapitre 13 - Où il est question de la ‘Pierre qui gémit’
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Chapitre 13 - Où il est question de la ‘Pierre qui gémit’
Samedi 1 novembre 2014 vers 14h30
Benjamin avait l’air passablement fâché.
« Je viens relever vos empreintes.
— Les miennes en particulier, je suppose ? demandai-je.
— Pas uniquement.
— Vous nous croyez complices de ces meurtres ? s’insurgea Nolwenn.
— C’est la procédure. »
C’était certainement vrai, mais il n’avait plus confiance en nous.
Il s’occupa de Maïwenn pour commencer. Pendant ce temps nous entendions deux policiers fouiller nos chambres et inspecter l’escalier.
« A écouter votre enregistrement, commença Benjamin, je me suis fait la réflexion que ces meurtres étaient peut-être l’affaire de ma carrière ! Nous sommes à Brocéliande, dans une maison pleine de mystères, et un jeune professeur d’histoire assiste à une scène de meurtres au cours de laquelle il croit voir disparaître la coupe rapportée de Judée par Joseph d’Arimathie! 1 »
Les policiers cherchaient donc bien cette coupe, auraient-ils plus de chance que nous ?
« Il faut dire que moi aussi j’ai lu beaucoup de romans sur les chevaliers de la Table Ronde, Excalibur, le Graal et tout ça ! » renchérit-il.
Une fois que Maïwenn eut fini, ce fut mon tour. Je roulai consciencieusement un par un mes doigts sur le buvard imprégné d’encre et appliquai délicatement une marque à l’emplacement qui m’était indiqué. Il ne fallait pas rater la manœuvre, sous peine de tout recommencer !
« Parfait pour le premier, dit Benjamin, après que mon pouce eut inauguré le formulaire. Nul doute qu’avec une pareille découverte, ma carrière ne serait plus la
même ! »
Je ne répondis pas, attentif à ce qu’il voulait nous dire.
« C’est bon pour le deuxième, reprit-il alors que la trace de mon index ornait une autre case sur le papier. Toutefois, j’en viens à me demander si l’on ne cherche
pas à me mener en bateau, voyez-vous… »
Il jouait avec nos nerfs. Je restai concentré malgré tout, ce qui me permettait de ne pas réagir à ses propos.
« En voilà trois », continua-t-il, alors que le majeur avait rejoint son voisin.
Je commençais à saisir pourquoi il comptait avec tant d’insistance.
« Je me demande maintenant si je ne suis pas tombé dans un sordide complot parfaitement élaboré… » poursuivit-il.
Je continuai ma tâche, l’air imperturbable, mais anxieux néanmoins d’entendre le commentaire qui accompagnerait le ballet de mes deux derniers doigts. Mon annulaire trembla au moment d’appuyer sur la feuille.
« Et de quatre, on y est presque. Voudrait-on m’induire en erreur avec cet enregistrement ? »
Je m’appliquai toujours, souhaitant abréger la séquence qui, je n’en doutais pas, avait été méticuleusement orchestrée par Aurélien.
« Le cinquième, le dernier, ce serait dommage de faire une coulure à ce stade ! »
Mon auriculaire fut noirci à son tour au même titre que les précédents, comme si le plus frêle membre de la famille devait lui aussi être interrogé au même titre que les autres, sans égard dû à sa constitution.
Benjamin reprit le formulaire pour le mettre à sécher à côté de celui de Maïwenn.
« Il est étonnant que même au vingt et unième siècle il nous arrive encore de devoir compter sur nos doigts… Au-dessus de cinq, la vue et la mémoire ne sont plus si fiables et, sans une main de libre, on risque de se tromper… »
Le doute n’était plus permis.
Ce fut le tour de Nolwenn. Elle avait à peine commencé que nous entendîmes les policiers descendre les escaliers.
« Chef, nous avons trouvé cela », dit l’un deux, en présentant un sachet plastique contenant le silencieux.
Cela faisait partie de nos plans, donc nous ne manifestâmes qu’une surprise feinte.
« Ou était-il ? demanda Benjamin.
— Sur le toit, dans le chéneau, juste au-dessus de la fenêtre de l’escalier qui monte au grenier.
— Judicieuse cachette… »
Je devais reconnaître que Nolwenn avait fait fort.
Le deuxième policier reprit :
« Sous le silencieux il y avait un gant ! »
Il montra un gant jetable au fond d’un deuxième sachet plastique.
Nolwenn avait laissé son gant avec le silencieux ! Je sentais déjà s’écrouler toute notre machination ! Pourtant ma sœur restait là, impassible, à marquer à son tour le dernier formulaire.
« Parfait, espérons que nous pourrons découvrir quelques nouveaux indices ! reprit Benjamin.
— Le gant est retourné, continua le policier. S’il y a des empreintes, elles auront été protégées de la pluie, car elles sont à l’intérieur ! »
Sa jubilation ne faisait pas notre affaire. Pourquoi Nolwenn avait-elle fait cette grossière erreur ? Cela ne lui ressemblait pas !
« Pas de trace d’une soi-disant coupe ? s’enquît encore Benjamin.
— Négatif chef, répondit un policier, d’un air navré.
— Tant pis », soupira l’inspecteur.
Qu’ils n’aient pas trouvé la coupe me chagrinait mais une autre question me taraudait, que je laisse au lecteur perspicace le soin de deviner.
Je trépignai d’impatience en attendant le départ de Benjamin et de ses hommes et à peine fut-il parti que j’apostrophai ma sœur.
« Pourquoi as-tu laissé ton gant avec le silencieux ? »
Elle afficha sa surprise, l’air outragée.
« Tu crois vraiment que j’aurais pu être étourdie à ce point ?
— Ce n’est pas le tien ?
— Bien sûr que non !
— A qui appartient-il alors ? demanda Maïwenn, me jetant un regard troublé.
— Il n’est pas à moi en tout cas ! m’exclamai-je.
— Pendant que Benjamin me faisait sa petite manucure j’ai compris que Lughan avait dû se débarrasser de ses propres gants par cette fenêtre, pensant à juste titre que la pluie allait les emporter, malheureusement le silencieux a dû empêcher l’un d’eux de glisser dans les conduites. »
Maïwenn intervint à nouveau :
« Alors c’est encore mieux ! Benjamin relèvera les empreintes de Lughan sur le gant, ce qui confortera notre version ! »
Pour une fois, l’imprévu tournait à notre avantage ! Nous eûmes un court instant de liesse avant que Nolwenn ne revienne à la question principale :
« Cela ne nous dit toujours pas pourquoi Lughan aurait commis ces trois meurtres. Il n’avait aucune raison de s’en prendre à toi, tu étais hors course depuis
l’épisode de la pierre qui crie ! »
Quelque chose ne collait pas… Et Maïwenn nous sortit de cette ornière.
« Je me souviens maintenant qu’il existe en Irlande une pierre qui crie et qui gémit également, et que l’on appelle la Pierre de Tara. Elle est même toujours utilisée dans les rituels de couronnement au Royaume-Uni.
— Tara, dis-tu ?
— Oui, je ne serais pas surprise que la pierre qui orne la bague de Pelléas provienne de cette relique et que sa magie ait également été restaurée ! Malheureusement je ne connais pas bien son histoire ! »
J’avais sortis mon dictionnaire et constatai que les dernières pages s’arrêtaient à la lettre ‘L’. Je me souvins qu’il y avait deux tomes dans la bibliothèque.
« Suivez-moi, je pense savoir où trouver la réponse ! »
Nolwenn m’apostropha avant de me suivre :
« Regarde sur internet, ce sera plus rapide !
— Je me méfie de l’historique de nos recherches sur le web maintenant et puis je n’ai plus mon portable ! »
Arrivé dans le patio, je trouvai rapidement le deuxième tome du lexique et la référence à la Pierre de Tara, encore appelée Pierre de Fal, rattachée elle aussi aux anciens occupants de l’île.
« Les Tuatha Dé Danann étaient dans les Iles au Nord du Monde, apprenant la magie, la sagesse et le druidisme. Et ils surpassèrent tous les sages des arts du paganisme. Il y avait quatre iles dans lesquelles ils apprenaient la science, la connaissance et les arts diaboliques, à savoir Falias, Gorias, Murias et Findias. C’est de Falias que fut apportée la Pierre de Fal qui était à Tara. »
Suivait le récit de sa découverte.
« Un jour qu’il était à Tara, le roi Conn alla comme de coutume de bon matin, avant le lever du soleil, sur le rempart royal de la ville. Ses trois druides l’accompagnaient. A l’endroit où il allait toujours, il lui arriva de mettre le pied sur une pierre et la pierre tressaillit. Elle cria sous son pied et l’on entendit partout son cri, à Tara et à Bregia. Conn demanda à ses druides ce que signifiait le cri de la pierre, quelle était son nom, d’où elle provenait, où elle irait et pour quelle raison elle était arrivée à Tara. Les druides lui répondirent qu’ils ne donneraient pas de nom avant cinquante-trois jours et, une fois le délai écoulé et une longue réflexion, annoncèrent que la pierre était la pierre du destin, symbole et présage de souveraineté. »
La pierre du Destin ! Donc, d’après cette hypothèse, si la bague avait crié à mon doigt, cela ne signifiait pas que j’étais reconnu coupable d’un grave méfait ! Nous avions tous supposé que la bague était une ordalie mais son rôle était différent !
« Apparemment, nous nous sommes trompés sur la signification de l’épreuve, dit Nolwenn. Pelléas t’a d’ailleurs avoué qu’il s’agissait de désigner qui dirigerait la triade !
— Et visiblement ce rôle devait revenir à l’une d’entre vous deux, dis-je aux filles.
— La pierre en a décidé autrement, conclut Maïwenn, même Lughan a été recalé.
— Et ils ont semblé totalement perturbés que je pus être choisi ! »
Cela modifiait toute la perspective de la scène. Devais-je m’enorgueillir ou m’inquiéter de ce rebondissement ? Avaient-ils été déroutés par ce choix car je devais mourir bientôt ? Décidemment, le jeu reprenait sans cesse sur de nouvelles bases.
Je portai instinctivement les yeux sur le plateau d’échecs, à proximité, et quelle ne fut pas ma surprise en constatant qu’une partie était en cours.
« Les pièces du jeu ont bougé ! m’exclamai-je. Avez-vous entamé une partie en descendant de la salle de réunion ? »
Elles me regardèrent avec des yeux ronds.
« Je ne sais pas jouer, dit Maïwenn.
— Moi non plus », reconnut Nolwenn.
J’aurais pensé que ce jeu lui serait familier, pourtant…
« Les pièces étaient à leur place quand nous sommes sorties après la séance d’essayage de la bague, reprit ma sœur.
— Ce ne peut être Pelléas ou Blaise, ils avaient d’autres soucis en tête et s’apprêtaient à me confier le secret de ma naissance. Il ne reste plus que Lughan, qui attendait ici pendant que je discutais avec eux. »
Je m’approchai du jeu. Les pions avaient fait l’objet d’un grand massacre. Il ne restait plus que quelques pièces maitresses, dispersées aux quatre coins du plateau.
« Il reste sept pièces encore debout, quatre blanches et trois noires, relevai-je.
— Nous sommes sept dans le jeu également, ajouta Nolwenn.
— Leur disposition n’est vraisemblablement pas due au hasard, repris-je. »
Nolwenn et Maïwenn se rapprochèrent à leur tour.
« On peut supposer que les blancs représentent nos hôtes, dis-je en montrant le Roi, la Reine et une Tour, restés sur la ligne du fond, tandis qu’un Cavalier chevauchait seul bien en profondeur dans le camp adverse.
— Nous savons déjà que Pelléas incarne le roi pêcheur, dit Nolwenn.
— Oui, et sa fille s’appelle Elaine si je me souviens bien, compléta Maïwenn.
— Nous sommes donc en présence du ‘clan’ de Corbénic ! conclus-je. Blaise, quand à lui, incarne forcément la Tour blanche, ce qui est logique car Merlin enfant a expliqué à Vortigern 2 pourquoi ses deux tours s’écroulaient au fur et à mesure de leur construction. D’ailleurs dans la version chrétienne de la légende, Merlin est un personnage ambigu qui raconte son histoire à un moine qui se charge de la recopier ; ce moine s’appelle Blaise 3…
— Nous sommes sur le bon chemin ! s’exclama Maïwenn.
— Reste le Cavalier blanc, qui ne peut donc être que Lughan, continuai-je.
— Qui représenterait-il dans la légende ? » demanda Nolwenn.
Nous n’avions pas suffisamment d’éléments à ce stade pour répondre à cette question mais n’importe quel joueur, même débutant, aurait constaté que le Cavalier venait d’appliquer un célèbre coup consistant à menacer simultanément deux pièces à la fois, en l’occurrence le Roi et la Reine noirs.
« C’est le Cavalier qui est censé avoir joué en dernier, dis-je en désignant la pièce. Il vient de réaliser une « Fourchette Royale » ! Les noirs devront bouger leur Roi pour contrer l’échec et, suite à cette retraite, le Cavalier blanc prendra la Reine noire au tour suivant !
— Et c’est grave ? demanda Maïwenn.
— C’est la fin assurée pour les Noirs ! répondis-je.
— Je pense incarner cette Reine noire, dit Maïwenn.
— Pourquoi cela ? reprit Nolwenn.
— Lughan m’a clairement proposé de devenir ‘Sa reine’ !
— Donc, tu serais … Guenièvre ? proposai-je.
— Et toi, dit Nolwenn en me regardant, tu es Arthur, le Roi noir ! »
Dire que je pensais depuis le début n’être qu’un pion qu’on manipule et qui n’a pas d’importance.
« Tu crois sérieusement que je pourrais incarner le roi Arthur ? demandai-je.
— Elle a raison, intervint Maïwenn. Je te rappelle que je t’ai confié Excalibur, l’épée du Roi, pour venir à bout de tes dragons…
— Quoi, Le coupe-papier ? Tu veux dire que même cela avait été prémédité ?
— Quand Arthur retire Excalibur de la pierre dans laquelle elle est fichée, tout le monde est surpris, personne ne veut de ce jeune écuyer pour roi », dit Nolwenn.
Si je devais jouer le rôle d’Arthur, ce que je n’étais pas encore sûr d’admettre, ce n’était pas étonnant que je sois attiré par Maïwenn...
Ma sœur reprit, fataliste :
« Il ne reste plus pour moi que la dernière pièce, le Fou noir.
— Qui représente-t-il ? demanda Maïwenn.
— Facile ! reprit Nolwenn en se tournant à nouveau vers moi. Qui est la sœur d’Arthur dans la légende ?
— Morgane ! »
Morgane était bel et bien apparentée à Arthur, puisqu’ils avaient tous les deux le même père, Uther Pendragon, et c’est précisément au moment du couronnement de ce dernier qu’il l’avait appris, ainsi que je venais de l’apprendre moi aussi !
« Je me retrouve donc une fois de plus contrainte de jouer le rôle de la fée Morgane… »
Je me retins de lui dire que l’on ne pouvait éviter ce qui relevait de la fatalité !
« Dans ce cas, le personnage interprété par Lughan est évident à présent, reprit Maïwenn.
— Lancelot, le soi-disant meilleur chevalier du Monde, dis-je, mais qui n’hésite pas à s’emparer de la reine !
— Lughan cherche à te séduire, Maïwenn, de même que Lancelot a séduit Guenièvre », conclut Nolwenn.
Cette analyse était claire à présent pourtant j’éprouvais de la jalousie de me voir déposséder d’un rôle qui jusque-là m’avait été confié.
« Il faut être terriblement retors pour inventer un stratagème pareil, reprit Maïwenn. Benjamin ne croira jamais un tel scénario !
— Lughan a une double personnalité, si c’est le garçon le plus gentil du monde d’après l’inspecteur, il m’a tout de même avoué s’être parfois mis dans des colères épouvantables à l’instar du héros irlandais Cuchulain.
— Il est vrai que les emportements de Cuchulain sont particulièrement décrits dans la littérature de mon pays, compléta Maïwenn.
— C’est étrange, poursuivis-je. Blaise m’a aussi parlé des contorsions colériques de ce personnage. »
Cette double allusion était-elle un nouvel indice ? Nous ne pouvions pas l’affirmer ouvertement mais cela valait le coup d’être creusé. Maïwenn s’était d’ailleurs fait la même réflexion apparemment.
« Tu permets ? » me demanda-t-elle en désignant les dictionnaires.
Je lui donnai le premier tome et, après quelques instants, elle trouva et nous lut ce qui pouvait être la suite de la description des colères du personnage commencée par Blaise :
« On entendait le bruit que faisait son cœur en frappant contre sa poitrine ; ce bruit était égal à celui que produisent le hurlement d’un chien de guerre qui aboie ou le cri du lion qui va attaquer des ours. La chaleur causée par sa violente et vigoureuse colère fit apparaître les nuages pluvieux du ciel, et, dans ces nuages, des étincelles rouges de feu.
Autour de sa tête, sa chevelure devint piquante et semblable à un faisceau de fortes épines dans le trou d’une haie… Sur son front se dressa le feu du héros, feu long et gros comme la pierre à aiguiser d’un guerrier…
Il fallut trois cuves d’eau froide pour calmer la fureur de Cuchulain ; à peine était-il rentré dans la première que l’eau prit une température telle que les lattes se
disjoignirent et se brisèrent. Dans la seconde cuve, l’eau fit encore des bouillons gros comme le poing. Dans la troisième cuve enfin sa colère s’apaisa… »
J’étais resté dubitatif pendant la lecture de la transformation quasi-chamanique du personnage et je relus le paragraphe pour moi.
« Tu aurais pu citer la première phrase du paragraphe également, dis-je à Maïwenn, elle est très instructive. »
« Le petit garçon leva son visage au-dessus de la terre, il porta la main sur sa figure, il devint pourpre et prit de la tête au pied la forme d’un moulin. »
« Lughan se sentait proche de Cuchulain, repris-je, et la référence à ce moulin devait peut-être aussi raviver son traumatisme…
— Il a subit des soins par oxygénothérapie hyperbare ! C’est peut-être ce à quoi renvoie l’allusion aux cuves ? hasarda Maïwenn.
— Lughan aura fini par deviner, sans doute avec l’aide de son psychologue, que sa mère est morte à cause de sa propre attraction pour le moulin, complétai-je.
— Et dans la mesure où notre père a également perdu la vie dans cet accident, poursuivit Nolwenn en me regardant, Benjamin aura tôt fait de croire à une vengeance de notre part à tous les deux, d’autant plus que la consultation de l’article de presse sur ton téléphone ne te permettra pas de faire croire à ton ignorance à ce sujet ! »
Cette hypothèse confirmait mes craintes : Lughan m’avait bel et bien piégé en voulant me faire condamner à sa place pour sa décision de châtier les « anciens » et Nolwenn risquait d’être emportée avec moi également. Il avait pris garde d’épargner Maïwenn, et les pièces du jeu venaient de nous en donner la raison.
« Que peut-on faire ? demanda Maïwenn.
— Franchement, je ne vois pas comment nous allons nous en sortir », répondis-je, fataliste.
Et pour illustrer ces sombres pensées, je déplaçai alors le Roi noir, dans une tentative illusoire d’échapper à son destin, puis je pris le Cavalier blanc et le posai à la place de la Dame Noire.
« A ce stade, il ne reste plus aux Noirs qu’à abandonner la partie… », continuai-je.
Je renversai alors le Roi sur le plateau, signifiant ainsi la fin du jeu.
Lughan passerait facilement pour Lancelot, le parfait chevalier, car ce dernier aussi s’était retrouvé confié à une « Dame du Lac » après avoir perdu ses parents à cause d’une guerre menée par le roi Ban de Bénoïc contre un roi voisin. Ban était mort suite à l’incendie de sa forteresse et j’étais à ce point obnubilé par ce que nous venions de découvrir que j’avais même la sensation de sentir la fumée comme si la forêt autour de nous se rappelait aussi le drame. Aurélien jouait-il aussi sur les odeurs pour enrichir son scénario ? C’était tout de même peu probable 4 !
L’auteur du Lancelot en prose situe Bénoïc sur l’embouchure de la Vilaine dans la région de Redon. Mais le royaume de Ban s’étendait hors de ce domaine, très en avant sur les Marches de Bretagne qui allaient, à en croire le romancier, jusqu’au territoire du roi félon Claudas, c’est-à-dire le Berry. Comme on le supposait au XIXème siècle 5, « Claudas pourrait d’ailleurs bien être le roi des Francs Clovis, ou Clotaire Ier son successeur, qui aurait obligé les rois bretons à reconnaître son autorité. Par la suite Claudas ne sera plus que le roi de Bourges ou du Berry. Il sera seulement un vassal du roi des Francs, et celui-ci de l'empereur de Rome ».
Toujours est-il que Claudas se serait engagé dans une désertification de ses terres au sud-ouest de son royaume afin de ne plus avoir d'ennemi de ce côté-là. Cette pratique lui aurait valu le nom de Claudas de la Déserte à moins que ce qualificatif lui fut donné suite à la dévastation de son royaume par Uther Pendragon au cours d’un premier conflit avec le roi de Grande-Bretagne.
Aurélien avait restreint le cadre géographique de son histoire, la replaçant dans un contexte contemporain dans lequel la Bretagne mythologique s’était clairement recentrée autour de la forêt de Paimpont, au fur et à mesure que s’était réduite celle de Brocéliande.
Il lui avait semblé nécessaire de ne pas trop étendre les contours de ces royaumes au risque de diluer l’histoire le long des chemins entre les cités, d’autant plus que la tragique fin du roi Ban laissait présumer une proximité entre Trèbes et le lac de Diane. Je ne pense pas dévoiler un secret en rappelant ici et avant l’heure cette histoire, mais le lecteur qui ne la connaitrait pas pourra éviter le paragraphe qui suit et tourner directement la page.
« Claudas, entré en conflit avec le roi Ban, vint assiéger ce dernier dans son oppidum de Trèbes. Une nuit, profitant que le roi accompagné de sa femme Hélène, de leur tout jeune fils Galaad (le futur Lancelot), de son druide ainsi que de quelques soldats, étaient sortis par un accès dérobé afin de quémander du secours, son sénéchal livra la place à Claudas qui y mit le feu. Parvenu sur une éminence du terrain, le roi Ban s'arrêta pour grimper sur un arbre et jeter un regard sur sa forteresse. A la vue des flammes, il ressentit une telle douleur qu'il tomba à terre, si rudement que le sang lui sortit par le nez, la bouche et les deux oreilles et qu’il sentit sa dernière heure venue. La reine Hélène, qui cheminait quelque distance en avant en portant dans ses bras son jeune enfant, le déposa au bord d'un lac près duquel ils passaient et courut en grande hâte porter secours à son époux. Le trouvant gisant sans vie, elle ne put contenir sa douleur et se pâma à son tour. Quand elle songea à son enfant et se retourna vers lui, il était dans les bras d'une damoiselle qui s'élançait dans le lac et disparut sous les eaux en l’emportant. »
Je tiens d’ores et déjà à rassurer le lecteur, cette explication du ‘rapt’ de Lancelot par Viviane n’est pas celle qu’Aurélien avait retenue mais cette anecdote laissait penser que le roi ne s’était pas encore trop éloigné de Trèbes, sinon il n’aurait pas pu se rendre compte que la tour de son oppidum et que les maisons avoisinantes étaient en feu.
[1] Si cela ne vous fait pas penser à un film …
[2] Dans la légende arthurienne, Vortigern est souvent décrit comme un tyran usurpateur qui cherche à se protéger contre les héritiers légitimes du trône, Ambrosius Aurelianus et son frère Uther Pendragon. Il est également connu pour avoir engagé Merlin l’Enchanteur comme conseiller et pour avoir assisté à la lutte entre le dragon rouge et le dragon blanc. (Vikidia)
[3] Merlin raconte sa vie à un ermite nommé Blaise dans le roman Merlin écrit à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, attribué à Robert de Boron. Le roman raconte la naissance diabolique et la vie de Merlin, ainsi que sa relation avec le roi Arthur et la Table ronde. Dans le roman, Blaise est décrit comme le scribe et confident personnel de Merlin. Il est également connu pour avoir écrit tout ce que Merlin lui a raconté, y compris ses prédictions.
[4] Il m’a confirmé en effet ne pas être allé jusque-là mais le 12 juillet de la même année les pompiers étaient intervenus pour un départ de feu au niveau de l'étang du Pas du Houx au cours duquel trois hectares de sous-bois avaient brûlés. Quelques réminiscences de cet incendie étaient peut-être parfois encore perceptibles selon la direction du vent…
[5] Paulin Paris dans Les romans de la Table Ronde.