

Coup d'État - extrait 5
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Coup d'État - extrait 5
Morjave était demeuré aussi immobile qu'une statue, un peu comme lorsqu’il chassait en compagnie des Dakotas. Combien de temps était-il demeuré ainsi, à se remémorer tout ce qui avait bouleversé sa tranquille existence parmi sa tribu d’adoption… Il n’en avait aucune idée, mais la pipe qu’il avait allumée lorsqu’il s’était installé contre le mur de l’immeuble de la rue Cunain Gridaine, était froide. Les passants qui avaient dû le voir en faction avaient dû penser que ce drôle d’individu, avec son étrange chapeau plat à larges rebords, était bien fasciné par la chapelle de l’ancienne Abbaye Saint Martin des Champs. On voyait de ces énergumènes ces derniers temps dans la cité… Il réalisa qu'il se préparait mentalement, comme il le faisait à la veille d’une chasse ou d’une expédition contre une tribu ennemie. Il allait rejoindre Gabriel et ceux qu’il désignait comme ses assistants. Avec leur concours, Gabriel avait investi la crypte et l’avait aménagé pour qu'il puisse accueillir leurs réunions. Leur repaire n’avait rien d’un club cosy comme l’affectionnaient les Britanniques ou certains Américains qui les avaient reproduit à l’identique, mais il avait quelque peu perdu de son caractère moyenâgeux et gagné en confort. Morjave rangea sa pipe dans la poche de son manteau, baissa d’un geste machinal son chapeau sur ses yeux et traversa la rue d’un pas souple et décidé.
Gabriel s’était débrouillé pour toujours laisser l’accès à un double de clé de la petite porte extérieure menant au chœur de l’église. Morjave la trouva dissimulée à l’endroit habituel. Les travaux de Vaudoyer et de ses ouvriers étaient terminés de fraîche date. Contre l’avis de ce dernier, le Général Morin le directeur du Conservatoire, avait décidé que la chapelle une fois restaurée, serait convertie en salle des machines en mouvements. Morjave remonta sans peine la nef plongée dans le noir. Les reflets d’une lune bien pleine l’éclairaient partiellement, mais ses yeux de chasseur distinguaient à sa gauche les énormes machines mues par la vapeur. À sa droite, tout aussi muets et immobiles, d’autres impressionnants engins se tenaient dans l’ombre. En journée, ils s’animaient grâce à la force hydraulique résultant d'une chute d'eau artificielle alimentée par un grand réservoir d'eau, dissimulé dans la tour du clocher. Il s’arrêta devant l’une d’elle, la contourna et se glissa derrière pour faire face au mur. Il fit jouer le mécanisme ancestral et descendit sans bruit l’escalier de pierre. Des éclats de voix lui parviennent du sous-sol. Étrange, d’ordinaire ils prenaient garde à ne pas trop élever la voix. Le grand jour serait-il enfin venu ? Il n’avait pas atteint les dernières marches que son instinct lui dicta de se baisser. Le gourdin siffla au-dessus de sa tête. Il attrapa d’une main l’arme improvisée, de l’autre le bras de son agresseur et le rembarra sans ménagement. Celui-ci, un jeune homme bâti comme un boeuf, s’étala bruyamment de tout son long et attira ainsi tous les regards de l’assemblée.
— Gustave, je te félicite de m’avoir entendu descendre ! Même avec mes bottes de citadins, je me vante d’être aussi silencieux que lorsque je portais des mocassins. Mais veille à l’avenir ne pas croquer dans un oignon quand tu montes la garde. On te sent à plusieurs mètres… Et je t'ai déjà dit que c’était à l’extérieur qu’il convenait de se cacher. Si ceux que nous redoutons se pointent et parviennent à entrer dans la crypte, c’est en est fait de nous. Tu saisis ?
Le dénommé Gustave prit un air piteux qui manqua de faire sourire Morjave. Mais il se retint. Ces gamins devaient se rendre compte de la gravité de la situation et s’endurcir. Gabriel semblait satisfait de leurs progrès quant à sa partie, Morjave beaucoup moins pour la sienne. Il peinait à en faire des conspirateurs prêts à toutes les extrémités. Car c’est bien d’une guerre souterraine qu'ils allaient entreprendre - à tout point de vue - et non d’un jeu comme certains d’entre eux semblaient le croire.
— Cher Morjave, toujours aussi intransigeant. Mais je ne peux que souscrire pour cette fois. Vous tous, dit-il en s’adressant aux jeunes hommes qui l’entouraient, vous devez bien mesurer le danger qui pèse sur nous.
Toutes les têtes, y compris celle de l’infortuné Gustave que Morjave aidait à se relever, se tournèrent vers lui. Gabriel capte vraiment leur attention comme un aimant. Qu’il n’aille pas me soutenir qu’il n’use pas de son pouvoir avec eux… Il a enfin fini par comprendre que la fin justifiait les moyens. Il en a d'ailleurs fait usage lorsqu'il a fallu mettre sur pied un vaste réseau d’informateurs, qui lui rapportent tout fait ou geste pouvant être attribué à l’Autre ou à l’un de ses séides. À tout son réseau, Gabriel avait donné comme consigne de l’informer, si leur venait aux oreilles une affaire de subordination de personne aux relents étranges ou la découverte de cadavres aux crânes éclatés. Ses informateurs, totalement conditionnés, se livraient à cette veille de manière constante et sans même s’en rendre compte, ils en avaient fait un objectif prioritaire dans leur quotidien. Parmi sa cohorte personnelle, figuraient des gens du peuple autant que de la bonne société, et même des sommités politiques et militaires. Assuré de capter son auditoire, Gabriel continua son laïus.
— Depuis que vous avez admis que ceux que vous aurez un moment à un autre à affronter, sont de véritables parasites psychiques, capables de prendre le contrôle total de vos corps et de vos esprits, vous avez tous fait d’indéniables progrès. Vous avez compris au plus profond de vous même, que la seule manière de résister à leur emprise, était avant tout de contrôler votre esprit. Vous y êtes peu ou prou, tous parvenus…
Il jeta un coup d’oeil significatif à Gustave. Ce dernier piqua un fard. Manifestement, les doutes de Gabriel le concernaient. Le pauvre jeune homme, vers qui ses camarades s’étaient tournés, certains avec un air goguenard, aurait manifestement voulu disparaître sous terre. Lui seul entendit Morjave murmurer.
— Tu n’es peut-être pas le plus fortiche quant à ce que vous enseigne votre professeur. Mais si tu veux mon avis, en cas de grabuge, c’est toi qui t’en sortiras le mieux. C’est bien beau de résister aux goules de l’Autre, mais si tu ne peux leur briser les reins ensuite, cela ne servira pas à grand-chose.
Gustave lui lança un regard empreint de reconnaissance. Avec les accents d’un véritable meneur, Gabriel poursuivait son discours et ses propos ressemblaient de plus en plus à une harangue des troupes.
— Mais pour la plupart d’entre vous, il vous reste encore beaucoup à apprendre pour ce qui est de construire une barrière psychique. Vous devez vous concentrer davantage, vous astreindre à répéter les exercices que nous menons ici. Ce qu’il vous faut comprendre sans plus attendre, c’est que lorsque vous vous trouverez face à une des créatures de l’Autre, vous n’aurez d’autre choix que de lui faire face. Il est possible de les neutraliser, certains d’entre vous en sont déjà capables. Il est vital que les autres le soient également !

