Les descriptions
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Les descriptions
Il n’y a pas dans mon livre, une description isolée, gratuite ; […] toutes servent à mes personnages et ont une influence lointaine ou immédiate sur l’action.
Flaubert
Dans l’art de conter, deux éléments essentiels se distinguent et se complètent : la narration et la description.
La narration entraine le lecteur dans un tourbillon d'actions et d'évenements. Elle anime le récit, elle est le fil conducteur qui nous guide à travers les péripéties du ou des personnnages.
La description, plus discrète mais tout aussi importante, créait la toile de fond. Un peu comme la palette du peintre, à travers les nuances de couleurs et de formes, elle va donner vie à l'univers du récit. Elle évoque la réalité concrète et rend les lieux, les personnages et les objets plus palpables, plus vivants. Elle permet au lecteur de sentir la brise lègére, les embrins salés ou d'entendre le grincement inquiétant d'un vieil escalier.
La description ne se contente pas "d'habiller" le décor. Elle permet de créer l'atmosphère, de susciter des émotions et d'insuffler une âme à l'histoire. Elle est le silence apaisant d'une prairie au clair de lune, le froid mordant d'une soirée d'hiver... Elle nous plonge dans un univers unique, où chaque détail compte.
Ainsi, narration et description s’entrelacent, se nourrissent l’une de l’autre. La première avance, impétueuse, tandis que la seconde tisse les fils invisibles qui retiennent notre regard. Ensemble, elles créent la magie du récit, l’invitant à danser entre ombre et lumière, entre mots et silence.
La description neutre
Dans ce premier style, le narrateure est un témoin silencieux. Il observe, sans juger ni interpréter, et retranscrit ce que l’œil et les autres sens perçoivent. Chaque mot est pesé, chaque phrase dépouillée de tout superflu. L’objectif ? Coller au réel, sans le déformer.
Les mots sont simples, précis. Ils se posent sur la page, sans fioritures ni artifices. Le lecteur ne trouvera pas ici d’envolées lyriques, mais plutôt une sobriété qui laisse place à l’essentiel.
Cette écriture peut servir à créer un univers, à bâtir une atmosphère. Elle est comme un écran blanc sur lequel se projettent les images, les sons, les odeurs. Elle éveille l’imaginaire dans un mouvement proche de l’image cinématographique : chaque détail compte, chaque silence résonne.
La cafetière est en faïence brune. Elle est formée d’une boule que surmonte un filtre cylindrique muni d’un couvercle à champignon. Le bec est un S aux courbes atténuées, légèrement ventru à la base. L’anse a si l’on veut, la forme d’une oreille, ou plutôt de l’ourlet extérieur d’une oreille ; mais ce serait une oreille mal faite, trop arrondie et sans lobe, qui aurait ainsi la forme d’une « anse à pot ».
Alain Robbe-Grillet, « Le Mannequin », dans Instantanés, Minuit, 1962.
Georges Perec nous invite à explorer une autre forme de description neutre et singulière : celle de l’inventaire. Tel un archiviste minutieux, il rend compte du monde en classant, en énumérant. Son style s’apparente souvent à une prise de notes, à la capture méthodique de chaque détail.
La date : 19 octobre 1974, l’heure : 12 h 30, le lieu (N.B. : Place St Sulpice, Paris 6e) : sur un banc en plein soleil, au milieu des pigeons, regardant dans la direction de la fontaine (bruits de la circulation derrière).
Le temps :le ciel s’est tout à fait dégagé.Les pigeons sont quasi immobiles. Il est cependant difficile de les dénombrer (deux cents peut-être) ; plusieurs sont couchés, les pattes repliées. C’est l’heure de leur toilette (avec leur bec, ils s’épluchent le jabot ou les ailes) ; quelques-uns se sont perchés sur le rebord de la troisième vasque de la fontaine. Les gens sortent de l’église.
J’entends parfois des coups de klaxon. La circulation est ce qu’on appelle fluide.
Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Christian Bourgeois, 1975, p 44.
La description subjective
Ici, l’auteur, tel un peintre devant sa toile vierge, traduit le réel selon son regard, le réinvente à sa guise. Chaque mot devient pinceau, chaque phrase une palette de couleurs. L’objet décrit n’est plus une simple réalité, mais l’expression affirmée d’un point de vue singulier.
Les images se bousculent, se métamorphosent. Les rues ne sont plus de simples chemins, mais des veines urbaines, palpitantes d’histoires et de secrets. Les visages se parent de métaphores, les regards deviennent des énigmes à déchiffrer.
L’auteur use de toutes les figures de style, comme autant de sortilèges : les comparaisons tissent des ponts entre les mondes, les allitérations dansent au rythme des saisons, les métaphores transforment le banal en extraordinaire. Et dans cette alchimie des mots, la réalité se transfigure. Les pavés deviennent des galets polis par le temps, les arbres se courbent comme des vieillards fatigués, les parfums flottent comme des souvenirs évanescents.
Ainsi, l’auteur donne à sentir et à voir un monde recomposé, vibrant d’émotions et de sensations. Chaque détail compte, chaque nuance est une promesse. Et dans ce regard réinventé, la réalité se pare d’une beauté insoupçonnée, comme un tableau qui s’anime sous nos yeux éblouis.
[Le matin] se leva derrière la broussaille pluvieuse et les nuages bas d’une plaine déserte. De durs cahots secouèrent la voiture sur une piste écorchée et galeuse, rongée de larges plaques malsaines d’une herbe maigre. Cette piste ressemblait à une tranchée basse. De chaque côté, à hauteur d’homme, elle paraissait taillée à angles vifs dans une mer de joncs serrés et grisâtres dont l’œil balayait la surface jusqu’à l’écœurement, et dont les détours continuels de la route paraissaient murer à chaque instant les issues. Aussi loin que l’œil portât, à travers la brume liquide, on n’apercevait ni un arbre ni une maison. L’aube spongieuse et molle était trouée par moments de louches passées à la lumière, qui boitaient sur les nuages bas comme le pinceau tâtonnant d’un phare. L’intimité suspecte et pénétrante de la pluie, le tête-à-tête désorientant des premières gouttes hésitantes de l’averse calfeutraient ces solitudes vagues, exaspérant un parfum submergeant de feuilles mouillées et d’eau croupie […]
Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, José Corti, 1951, p 18.
La description caméra
Aujourd’hui, dans l’écriture, l’image et l’émotion règnent en maîtres. La littérature ne se contente plus de raconter, elle nous fait vivre intensément. Images, sons, rythme, souffle, précision… Tout concourt à maintenir le lecteur en haleine, comme dans un film à suspense.
La description, quant à elle, a gagné en vitalité. Elle n’est plus un simple décor, mais un acteur à part entière du récit. Influencée par la culture visuelle, elle emprunte au cinéma et à la photographie. Elle se nourrit d’images mentales, de sensations palpables. Chaque mot est une lentille qui grossit le réel, le transforme, l’enrichit d’imaginaire.
Celle nuit-là donc, une camionnette freine dans un parking désert, s’immobilise de travers, les portières avant claquent tandis que coulisse une ouverture latérale, trois silhouettes surgissent, trois ombres découpées sur l’obscurité et saisies par le froid […] des garçons semble-t-il, qui zippent leur blouson jusqu’au menton, déroulent leur bonnet au ras des cils, glissent sous la laine polaire le haut charnu de leurs oreilles et, soufflant dans leurs mains jointes en cornet, vont s’orienter face à la mer, laquelle n’est encore que du bruit à cette heure, du bruit et du noir.
Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Gallimard, col. Folio, 2014.
Pour bien décrire, il faut partir de la réalité, même si celle-ci doit être modifiée, amplifiée. Imaginez-vous derrière une caméra ou un appareil photo. Choisissez l’angle de vue, le cadrage : premier plan, gros plan, second plan, panoramique. Situez l’objet de la description, localisez-le dans le temps et l’espace. Donnez-lui une âme, une histoire. Et n’oubliez pas d’imaginer le décor, même s’il reste invisible sur le papier. Car décrire, c’est un peu comme peindre un tableau figuratif : chaque coup de pinceau compte, chaque nuance est une promesse.
Exercice 1 (15 minutes chrono maximum)
Décrire à la facon d'Alain Robbe-Grillet l'objet qui se trouve devant vous. Sans aucune fioriture. Sans chercher l'esthétique. Avec des mots simples et précis.
Exercice 2 (30 minum chrono maximum)
Imaginez que votre personnage est un aveugle. Il est assis à cette table de pique-nique. Comment perçoit-il l’environnement autour de lui ? Quels autres sens sont sollicités ?
Décrivez un lieu à la manière de Georges Perec, en utilisant les sens du toucher, de l’ouïe et de l’odorat. Cela ajoutera de la profondeur à vos descriptions et permettra aux lecteurs de s’immerger davantage dans l’univers de votre histoire.
Exercice 3 (30 minutes chrono maximum)
A partir de la description écrite lors de l'exercice 2, imaginez votre propre univers. Ajoutez les couleurs, les formes et toutes les créatures pour enrichir cet imaginaire.
Texte de L.S.Martins corrigé par GPT-4.
Image par Petra de Pixabay
Source :
Faly Stachak, Ecrire, Eyrolles, 2019.