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Un verre
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Un verre
UN VERRE – Robin Houillon
Le liquide ambré tourne lentement dans mon verre, capturant la lueur vacillante du néon fatigué au-dessus de moi. Je le fixe comme s'il allait me parler, me donner une réponse, un sens à cette soirée sans fin. Mais l'alcool, comme la nuit, n'a pas de mots. Juste une chaleur trompeuse et une brûlure qui descend lentement dans la gorge.
Je prends une gorgée. Le goût est âpre, un mélange de feu et d'oubli. Un instant, tout semble plus flou, plus léger. Comme si le poids de l'existence s'effaçait, comme si la douleur s'adoucissait, noyée dans ce verre à moitié vide. Ou à moitié plein. Peu importe.
Autour de moi, le bar respire lentement, bercé par une musique trop basse et des conversations murmurées. Des ombres s'attardent sur les murs, des silhouettes fatiguées, échouées ici comme moi. On boit pour oublier, mais on se souvient toujours trop bien.
Je lève mon verre en silence, un toast à rien, à personne. Puis j'avale une autre gorgée, plus grande cette fois. L'alcool réchauffe, embrume, trompe. Mais il ne remplit rien. Juste un autre mensonge doré qui glisse sur ma langue.
Et pourtant, je commande un autre verre.
Parce qu'au fond, je ne sais pas quoi faire d'autre.
Un autre verre. Un autre soupir.
L'alcool danse dans mon estomac comme une flamme hésitante, pas assez forte pour brûler tout ce qui ronge à l'intérieur, mais assez pour anesthésier, un peu. Juste assez.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis ici. Ou plutôt, je sais trop bien. C'est toujours la même chose, la même nuit répétée à l'infini, comme un disque rayé. On croit que le fond est atteint, mais il y a toujours un niveau en dessous. Toujours une gorgée de plus, une pensée de trop.
Pourquoi je suis triste ?
Question stupide. Comme si la tristesse avait une seule cause, comme si elle se résumait à une histoire, un événement, un visage. Non, c'est plus diffus, plus insidieux. Ce n'est pas une blessure nette, c'est une multitude de petites fissures invisibles qui s'entrelacent sous la peau.
C'est la fatigue de toujours devoir se lever.
C'est le poids des jours qui s'empilent sans rien apporter de nouveau.
C'est cette sensation d'être là, mais jamais vraiment présente. De parler, de rire parfois, mais de sentir que tout est creux, que tout sonne faux.
Ce sont ces moments où je regarde autour de moi et que tout semble si loin, comme si je n'étais qu'un fantôme coincé dans un monde trop bruyant. Où les gens s'agitent, aiment, espèrent, et où moi, je reste immobile, à regarder passer le train de la vie sans jamais monter dedans.
Je reprends une gorgée. Trop vite cette fois. L'amertume me brûle la gorge, et je tosse légèrement. Je souris presque. L'alcool me rappelle que j'existe, au moins physiquement.
Mais après ?
Le serveur passe devant moi, essuie le comptoir d'un geste mécanique. Il ne me regarde pas. Personne ne me regarde. Je pourrais disparaître maintenant, ici, et je suis quasiment sûr que personne ne s'en rendrait compte avant la fermeture.
J'effleure mon verre du bout des doigts. Il est presque vide. Comme moi.
Un autre ? Ou est-ce que je rentre ?
Et pour quoi faire ?
La porte du bar s'ouvre, laissant entrer un courant d'air froid. Je frissonne. La nuit m'appelle dehors, tout comme l'ivresse m'appelle à l'intérieur. Deux directions, deux enjeux.
Mais au fond, est-ce que ça change quelque chose ?
Je ferme les yeux une seconde. Juste une seconde.
Et j'attends.
Mains tremblante, je rentre en marchant chez moi, pourquoi je fais tout ça, pourquoi ?
Les larmes viennent, mais pas assez pour couler sur mes joues, la gorge prise. J’insère la clé pour entrer, je m’affale sur mon lit encore habillé. Et je dors pour oublier. Ma vie tourne autour de l’oubli, comment oublier toutes ces choses qui me colle à la peau, comment partir ?
Je me recentre sur ici et maintenant, la vie que j’ai envie de mener est-ce celle-ci ?
La vie, c'est bien plus que cela, me dis-je. L’alcool me fait tourner la tête ce soir, ou alors c’est une prise de conscience comme en être sûr ?
J’attends jusqu’à trouver le sommeil qui ne viendra peut-être jamais.
FIN
Un verre - ROBIN HOUILLON
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