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300 km/h

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Publié le 25 févr. 2024 Mis à jour le 29 mars 2024 Drame
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300 km/h

 

« Voie 1 : Le train entre en gare, éloignez-vous de la bordure du quai »

 

Cette annonce provenant des haut-parleurs de la gare peut sembler banale pour tous les voyageurs, qui comme moi, attendent sagement leur train sur le quai. Mais quand elle survient au même moment que le cri strident d'une enfant tombant sur les rails, cela prend une toute autre envergure. Le silence qui suit est insoutenable.

Vite. Dès que j'ai perçu ces deux signaux alarmants, l'annonce et le cri, j'ai su qu'il fallait agir vite. J'ai su que c'était le mot d'ordre, la règle à suivre pour affronter ce genre de situation. Qu'il aurait fallu descendre sur les rails ou du moins aider l'enfant à s'extirper de là afin d'éviter le drame. Mais non, au lieu de ça, je me mets à réfléchir. Aurai-je le temps de soustraire l'enfant avant que le train n'arrive ? N'est-ce pas trop risqué ? Pourtant, je vois bien la petite fille étendue de tout son long sur les rails, dans l'incapacité de se relever et le train au loin qui se dirige irrémédiablement vers sa cible. Vers la gare. Vers l'enfant. Mais plus le temps passe, plus je me dis que je vais en manquer. Je m'encourage dans ma lâcheté. Une petite voix me dit « non, tu n'as pas le temps de toute façon ; tu n'y peux rien. ». Pourtant, je sais que si j'avais agi vite dès le départ...

Mais maintenant, je n'ai plus le temps de toute façon. Et puis ce n'est pas ma faute. Les parents de l'enfant n'avaient qu'à mieux la surveiller. Moi, j'aurais fait un meilleur père. Jamais je n'aurais laissé une enfant sans surveillance près des rails. Je l'aurais tenue par la main. Et quand bien même elle m'aurait désobéi et se serait approchée un peu trop près de la bordure du quai, je l'aurais sévèrement rappelée à l'ordre. Et plus de goûter pendant une semaine ! Là, elle aurait compris et n'aurait pas recommencé. Mais jamais je n'aurais exposé quiconque à cette affreuse scène, digne des mauvais films, où une fillette en détresse est sur le point de se faire écraser par un train. Jamais je n'aurais été responsable d'un tel évènement. Jamais.

Pendant que mes pensées divaguent et que j'essaie de chasser mes scrupules, le train continue d'approcher. Et la petite n'a pas bougé. Elle est toujours là, au même endroit, sur les rails. Elle est restée tout aussi immobile que moi. Le seul qui avance, c'est le train. Mon cerveau continue d'hésiter entre partir en courant et se jeter sur les rails pour tenter de secourir l'enfant. Mais il est incapable de prendre une décision. Alors je reste là, pétrifié.

Mais tout à coup, je pense aux autres. Tous les autres qui sont là, autour de moi sur le quai. Tous ceux qui vont prendre le même train que moi. Tous ceux qui assistent eux aussi, impuissants à cet atroce spectacle. De toute cette foule, personne ne s'est encore porté au secours de la petite ? Mais c'est scandaleux ! Je fais un calcul rapide de tête : le train était presque complet quand j'ai réservé, on doit être quelques centaines de voyageurs au moins. Et personne n'est assez téméraire pour... Eh bien, non ! Je les regarde et ils paraissent tout aussi pétrifiés que moi. Ils attendent tout simplement que la catastrophe se produise, sans rien tenter. Quelle lâcheté ! Une enfant est sur le point de mourir sous leurs yeux et aucun d'entre eux ne risque la moindre chose pour éviter cela ? C'est affligeant.

Cette fois le train est tout proche. J'entends déjà son frein sourd. Je vois toujours la petite sur les rails. Toutes ces images, tous ces sons deviennent insupportables. Alors je ferme les yeux. Mais c'est encore pire, j'imagine les évènements. Le bruit du frein se fait beaucoup plus fort tout à coup. Le conducteur a dû remarquer la présence de l'enfant sur les rails. Mais lancé à pleine vitesse comme il est, il ne pourra pas s'arrêter à temps. C'est 300 km/h un TGV je crois. Oui c'est ça. Non, il a déjà dû commencer à ralentir à l'approche de la gare. Il doit être à 100km/h tout au plus. Je continue à espérer jusqu'au bout. Et puis ça y est, j'entends l'enfant qui crie une dernière fois, je sens le train passer. Tout est fini.

Quand je rouvre les yeux, en face de moi, je ne vois plus d'enfant. A la place, il y a train.

Sur le quai, pendant un instant, c'est le grand désarroi. Tout le monde fixe le train avec stupeur. Puis, au bout d'un moment, quelques voyageurs s'avancent d'un pas timide et commencent à embarquer. Rapidement, d'autres suivent le mouvement. Alors je fais pareil, je saisis ma valise et je monte à bord. J'agis par pur mimétisme. De toute façon, je suis abattu et incapable de penser à ce je fais. J'ai encore du mal à réaliser que quelque part sous mes pieds, sous le train, le corps de l'enfant est là. Mais je n'y pense pas. Je me dirige lentement vers ma place. Place 146. Tiens, j'avais raison me dis-je, il y a plus d'une centaine de voyageurs dans ce train. Un moment passe avant que je me rende compte du caractère anormal de la situation. Un événement tragique vient de se produire et les voyageurs s'installent à bord du train comme si de rien n'était ? Pourquoi ne voit-on pas des dizaines d'agents courir en tous sens pour évacuer la zone ? Pourquoi les haut-parleurs ne délivrent-ils pas un flot ininterrompu d'alarmes en tous genres ? Cela m'interloque. Alors je jette un coup d'oeil par la fenêtre. Elle donne de l'autre côté du train, sur la voie en sens inverse. Je ne remarque rien de particulier si ce n'est la mine alarmée des voyageurs sur le quai d'en face. Mon regard descend lentement sur les rails. Quand je la vois. La petite fille. L'enfant. Elle est encore allongée, en train de gémir sur le chemin de fer. Mais sur la voie 2 cette fois. Une vague de soulagement et d'excitation m'envahit. Elle a dû se décaler juste à temps sur la voie 2, pendant que je fermais les yeux ! Elle est maintenant bloquée dans le creux entre mon train et le quai d'en face mais nous avons à présent tout le temps qu'il faut pour la secourir. Il n'y a plus de train en approche. Il n'y a plus à agir vite ! Tout va rentrer dans l'ordre. Je me détends progressivement suite à cette amélioration imprévue de la situation. Quand soudain mes oreilles captent à nouveau une annonce des haut-parleurs de la gare :

« Voie 2 : Le train entre en gare, éloignez-vous de la bordure du quai »

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Commentaires (2)

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Gand Laetitia il y a 5 mois

Un texte captivant dès les premiers mots. Bravo pour votre texte !

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Jackie H il y a 8 mois

Tout le conflit entre "N'essaie pas, si tu le fais tu vas y passer aussi et de toute façon, tu n'auras pas sauvé cette gamine mais toi, tu seras mort aussi et ça fera deux morts au lieu d'un" et puis "même si tu y restes, au moins tu auras essayé - mourir pour mourir, autant mourir en essayant de sauver quelqu'un, surtout une enfant"... mais qui est prêt de nos jours dans notre société à affronter l'idée même de la mort, que ce soit la sienne ou celle de quelqu'un d'autre ?
Une vraie nouvelle de l'horreur - une analyse psychologique tout à fait pertinente et un vrai sujet de réflexion 👍

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