Sale dimanche
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Sale dimanche
La pluie venait de cesser et l’asphalte, éclaboussé de lumière, luisait comme un miroir.
Pas une voiture ne venait briser cette belle harmonie, de légères volutes flottaient silencieusement au-dessus de la voie avant de disparaître sous l’effet de l’astre du jour. Une douce chaleur envahissait peu à peu le jardin, laissant s'échapper cette odeur singulière que laisse une averse orageuse après les premiers rayons du soleil.
Une brouette, abandonnée, renversée sur le flanc, comme si le jardinier venait d'en verser le contenu, barrait le passage qui menait à la cour arrière.
Un gendarme, en faction devant la maison, l'avait informé que le corps se trouvait près du cabanon et que la police scientifique était déjà sur les lieux.
Ce type d’affaire avait le don de le mettre de mauvaise humeur, surtout un dimanche après-midi.
Il remarqua que l’herbe lui arrivait aux chevilles, elle n’avait pas été tondue et l’on distinguait le passage de ses prédécesseurs; Il prit soin de les suivre scrupuleusement afin de s’assurer de ne rien toucher qui puisse effacer une trace, ou déplacer un cheveu, un morceau de tissus, un indice qui permette aux enquêteurs de comprendre ce qui c’était passé en ce 23 juillet.
Arrivé au coin de la bâtisse, il vit les deux inspecteurs en combinaison blanche, accroupis près du corps de la victime. Il s’approcha d’eux et après un bref salut leur demanda s’ils avaient remarqué un détail, quelque chose de particulier.
Le premier des deux, se redressa, retira son masque blanc, ajusta ses lunettes et entrepris de lui donner ses premières constatations ;
Une femme dans la trentaine, pas de blessure apparente, ni de trace de lutte, la mort semble dater de plusieurs heures, la pluie pourrait avoir effacé certaines traces mais ils collectaient tous ce qui pouvait servir de preuve, l’analyse biochimique devrait donner plus d’information.
Son compte rendu terminé, il retira ses gants de caoutchouc et entrepris de quitter sa combinaison, ramassa ses ustensiles et posa sa main sur l’épaule de son acolyte, encore accroupi, l’appareil photo en position, lui indiquant que leur travail était terminé sur le site.
Une fois seul, l’inspecteur resta immobile durant de longues minutes, analysant la scène afin de s’imprégner de l’ambiance, puis il se déplaça autour de celle-ci et l’examina sous tous ses angles, il sortit de sa poche son cellulaire, prit quelques photos et afficha l’enregistreur, ensuite, accroupit, il regarda avec attention le corps svelte de la jeune femme et commença à dicter ses propres constatations.
- 23 juillet, 15 h 35, au 23 rue de la Romance, la victime, Béatrice Vian, une femme dans la trentaine, cheveux bruns, mi long, légèrement vêtue, allongée sur le ventre dans l’herbe devant le cabanon de jardin dont la porte est restée ouverte, comme si elle se dirigeait vers celui-ci ;
Aucune marque de lutte, pas de blessure apparente, seules quelques traces noires sur la jambe gauche ressemblant à de la suie…
Troublé par la douceur apparente de la peau de la victime, il interrompit sa diction, se pencha pour l’examiner de plus près et en conclut que les jambes de la victime avaient été épilées récemment, peut-être le matin même, les ongles des pieds étaient parfaitement taillés et luisants, ce qui lui fit penser que cette dernière portait un soin particulier à son apparence et qu’elle attendait de la visite.
Une légère odeur de citron émanait de son corps, était-ce les vêtements ?
Il se retourna pour vérifier que personne ne l’observait puis se mit à genoux afin de respirer cette odeur au niveau du mollet gauche et détermina ainsi que Béatrice Vian, c’était parfumé ou avait pris un bain parfumé au citron. Il resta quelques secondes dans cette position les yeux fermés et essaya de se l’imaginer prenant son bain tout en s’épilant les jambes.
Le bruissement de quelqu’un qui marche dans l’herbe le fit sursauter, il se redressa prestement, frotta ses genoux pour enlever les traces d’herbe mouillée et se retourna pour accueillir l’arrivant. Celui-ci n’était nul autre que le gendarme qui, ne voyant revenir l’inspecteur, se demandait s’il devait clôturer l’accès afin d’éviter les curieux et les badauds durant la nuit.
Bedonnant, dans un uniforme défraîchit, rembourrait aux coudes, il arrivait d’une démarche chaloupée tout en dégustant un œuf dur, difficile de ne pas remarquer la miette restée collée à la moustache. L’inspecteur lui fit remarquer, gêné, le gendarme sortit immédiatement un mouchoir en tissus de sa poche et s’essuya rapidement en avalant la dernière bouchée.
- Veuillez m’excuser, j’ai été appelé sur les lieux et je n’ai pas eu le temps de manger avant de partir.
- Vous n’avez pas à vous excuser, je comprends, nous sommes un dimanche, vous deviez être de réserve ?
- C’est exact inspecteur, les autres ont été appelés sur un accident de la route.
- Malheureusement les mauvaises affaires n’attendent pas le lundi, bref faites en sorte que personne n’approche tant que je n’ai pas terminé, est-ce que l’ambulance est arrivée ?
- Affirmatif !
- Faites-les patienter.
Sur ces entre-faits, le gendarme quitta les lieux, laissant l’inspecteur seul avec la victime.
Il fit le tour du corps et visita le cabanon, c’est là qu’il vit la bouteille de vin ouverte, un Château Neuf du Pape, décidément c’était une personne de bon goût. Il remarqua le verre à moitié plein et un bocal ouvert d’olives vertes, à peine entamé, sur le comptoir servant au jardinage.
En voyant la goutte de saumure partiellement séchée sur le bois, il en conclut, en passant le doigt dessus, que celui-ci avait été ouvert sur l’heure de midi, donc la mort ne pouvait avoir eu lieu que vers cette heure-là. Il présuma la présence d’une deuxième personne, ils devaient discuter tout en dégustant quelques olives, la bouteille de vin semblait dire qu’ils avaient bu un verre, mais ou était le deuxième verre ? Y avait-il eu dispute ?
Il se retourna et remarqua le bras droit de la victime, celui-ci était replié sous la poitrine alors que la main gauche semblait agrippée à l’herbe, comme si elle luttait contre la souffrance ou pour ne pas être emportée. L’herbe était écrasée et un creux était visible au niveau de la pointe des pieds, comme si dans sa mort la victime s’était raidie et les doigts de pied avaient gratté le sol.
La bouche ouverte, les yeux légèrement exorbités, le teint blafard, comme si elle avait été étouffée.
Surpris par ce constat, il reprit son dictaphone, termina son rapport préliminaire et s’en retourna poser quelques questions aux voisins immédiats, au passage il fit signe aux ambulanciers d’évacuer le corps.
Son enquête terminée sur les lieux, il prit la direction de son bureau, sa fin de semaine étant foutue, autant commencer à ouvrir le dossier.
Cette affaire ne sentait pas bon à bien des égards, il n’y avait aucun mobile connu, c’était une personne sans histoire, il n’y avait pas d’effraction, ni de vol et pas de trace de violence. Alors de quoi était-elle morte et pourquoi ?
Ce soir-là, il eut du mal à s’endormir, il avait tant de questions, était-il troublé par le souvenir de l’odeur de citron et la douceur de la peau de la victime…si jeune ?
Lundi matin, en arrivant au bureau, il se dirigea aussitôt vers le laboratoire d’analyse et d’investigation, les deux enquêteurs étaient déjà sur place avec le médecin légiste, celui-ci l’accueillit avec un large sourire et lui montra, entre ses doigts, ce qui avait provoqué la mort de la victime par asphyxie ;
- Une olive ?... J’aurais dû m’en douter et dire que je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit.
- Tous les décès ne sont pas criminels, Inspecteur !