Chapitre 3 : La vie ne fait pas de cadeaux. Jamais.
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Chapitre 3 : La vie ne fait pas de cadeaux. Jamais.
Image de thommas68
J’étais là, au sol, à attendre la sentence. Harvey me releva d’un bras. Je sentis bien à ce moment-là que j’étais un poids plume. Entre les rires, les insultes et les coups qui pleuvaient sur moi, j’avais compris ce que l’enfer pouvait être. Au bout de dix minutes, minimum, mes bourreaux s’interrompirent. Fatigués. Éreintés. Enfin, je l’imaginais. Ou, tout simplement lassé de ne pas avoir plus de répartie en face. Je ne sais pas ce qui me gêna le plus. Le goût du sang dans ma bouche. Les lèvres démolies. Les côtes en piteux états. D’avoir eu mal de partout. Non, je pense que c’était leurs moqueries, qu’ils se permettaient de faire sur moi. J’étais la mauviette, le lâche, le faible. Avant de partir et de me laisser enfin tranquille, j’eus un dernier coup dans le ventre, au cas où je n'aurais pas compris le message. J’encaissais, jusqu’à ce que Zack sorte la phrase qui changea tout dans ma vie :
- Si un jour ta grand-mère ose remettre les pieds sur le campus pour protéger son petit-fils adoré, on la démolira comme on l’a fait avec toi. Pas de cadeau. Pas de favoritisme, fit-il en crachant par terre. La vie, mon pote, ne fait de faveurs à personne.
J’avais vrillé à partir de ce moment-là. On pouvait tout me faire, j’aurais supporté, mais on ne touchait pas à la seule famille qui me restait. Ma haine fut si grande qu’elle m’insuffla la force de me lever.
- Qu’as-tu osé dire ? Fis-je d’un ton qui reflétait toute ma hargne.
- Mais c’est qu’il se rebelle, le petiot. Ça va finalement devenir intéressant.
- Laisse-le, Zack, il a eu son compte. Il ne faut pas que l’on arrive en retard aux cours, on va encore se faire jeter sinon.
Zack regarda méchamment Harvey et continua :
- Alors comme ça, tu veux du rab ? Ça tombe bien, je peux t’en donner, autant que tu le souhaites.
Je me rappelle avoir serré le poing aussi fort que je puisse, à un tel point, que je crus me le broyer. Une sensation de chaleur intense s’empara de mon bras. J’étais tellement énervé que je ne ressentais plus aucune douleur. Mes pas envers ces deux énergumènes étaient lents, mais assurés. Quand Zack leva la main sur moi pour en remettre une couche, il fut surpris d’être expulsé contre le grillage qui se trouvait derrière lui, avec une violence inouïe. Sur l’instant, je n’avais pas réalisé, mais ma frappe était puissante. Crachant tous ces boyaux, il tomba à terre, assommé par le choc. Harvey tenta de balbutier de quelconques excuses voyant cela, mais je ne pus pas me résoudre à le laisser partir indemne. À l’instant où ma frappe allait le fracasser, une voix m’arrêta nette.
- Léorys, qu’est-ce qui te prend ?
Sandy. Toujours là quand il ne le fallait pas. Ce qui me choqua en premier était son regard. Elle n’avait plus ces yeux gentils qu’elle portait sur moi, que ce fut par pitié, ou ce que j’espérais être de l’amitié. Là, c’était un mélange de peur et de … dégoût. Sandy semblait avoir eu honte de moi. Je me suis senti plus bas que terre. Je venais de mettre une raclée mémorable à ces deux rustres, mais, au lieu de bien me sentir, j’étais mal à l’aise. Tellement absorbé par ce que Sandy pouvait penser de moi, je ne m’étais pas aperçu que Ella était allée chercher un surveillant. Quand ils rappliquèrent, j’avais rapidement compris que j’étais fichu. J’étais bon pour une visite chez le proviseur.
Ils emmenèrent Zack à l’infirmerie. J’appris bien plus tard qu’il avait fini aux urgences. Sa vie en dépendait. Que m’était-il arrivé ? La rage m’avait changée. J’étais devenu un danger pour les autres. J’avais beau me dire qu’il l’avait mérité, je n’en trouvais pas le sommeil pour autant. Après ce malheureux événement, je fus suspendu des cours pendant une semaine. Moi qui avais déjà loupé deux jours, je n’étais pas prêt de commencer mes études.
Un coup de poing, un simple coup porté sur une brute, et je m’étais attiré encore plus d'ennui. Faire l’autruche avait au moins ce côté de ne pas s’impliquer, de ne pas subir ce genre de conséquences. Le pire est que je ne pouvais pas me défendre en répliquant qu’ils avaient commencé par m’agresser, car je ne portais plus aucune marque sur mon corps de leur sauvagerie. Je ne sais comment, mais j’avais guéri, et en un rien de temps. Tout jouait contre moi. Je faisais le parfait petit coupable. Celui qui allait ramasser alors que j’étais la victime. Personne pour témoigner en ma faveur.
Ce jour-là, où je fus convié de rentrer chez moi pour ne pas remettre les pieds au bahut jusqu’au prochain mercredi, je ne savais pas quoi dire à ma grand-mère. Elle serait furieuse, ça, je pouvais en être certain. Mais, je savais aussi qu’elle ne serait pas capable de comprendre, ni de me croire. Comment lui dire que j’étais sous les multiples coups de ces molosses et que je n’avais fait que répliquer ? Pour la protéger, qui plus est. Dès que j’en eus l’occasion, je soulevais mon tee-shirt, pour vérifier que je ne rêvais pas. Mais toujours le même résultat. Rien. Je n’avais aucun bleu, aucune trace. D’ailleurs, je ne ressentais aucun mal non plus. Et pourtant, cette scène où je subissais leur rage, je la vivais encore dans mon esprit. J’avais l’impression d’avoir servi de punching-ball. De défouloir. Chaque cri, chaque hurlement de ma part n’avait provoqué qu’un moment de plaisir pour eux. Ils m’avaient dépossédé de mon corps, mais fort heureusement pour moi, pas encore de mon âme. Je sentais comme une force incroyable en moi. Imperceptible jusque-là. Était-ce le simple fait que, cette fois-ci, j’avais décidé d’agir ? De ne plus me laisser faire ? Même si j’avais eu recours à la même méthode qu’eux pour m’en sortir, la violence, je me sentais comme libéré. J’avais beau me répéter que mon geste n’était pas approprié, que j’aurais dû modérer ma force, qui, jusqu’ici, me paraissait insignifiante, une satisfaction personnelle d’avoir pris le dessus me fit un malin plaisir. Je jubilais. Si l’extase avait pu être le mot qui convenait, je l’aurais largement employé. Mais, ce bonheur fut de courte durée.
J’étais arrivé au bas de mon immeuble. Ma grand-mère m’y attendait déjà, son portable à la main. Les yeux débordant de colère, elle me fixait longuement. C’était parti, j’allais de nouveau passer un moment désagréable. Après le poids des coups reçus, j’allais subir le poids des mots. Je vous la fais rapide : Gueulante, suivie de “tu me l’aurais dit plus tôt, j’aurais pu te comprendre, faire quelque chose”, puis repartir à crier, mélange de pleurs et de hurlements, et pour finir, j’ai eu droit à “Comment veux-tu que je te fasse encore confiance après cela ?”
- Te rends-tu compte que, après cet événement, je ne sais plus quoi penser de toi ? J'ai l’impression que tu t’égares. Ne deviens pas comme tous ces délinquants. Je ne t’ai pas élevé comme ça.
Jusqu’ici, j’assumé. Je bus ces paroles comme si elles étaient mon châtiment. Mais, ces dernières paroles …
- Je n’ai pas fait tous ces sacrifices pour que tu arrives à cela. Je ne serais bientôt plus auprès de toi, il faudra que tu t’en sortes seul. Qui sait de quoi demain sera fait, il pourrait m’arriver n’importe quoi.
Cette phrase fit l’effet d’un électrochoc. Elle résonnait sans cesse dans mon cerveau. À chaque passage, je me sentais déboussolé, désemparé. Je me sentais partir, prêt à tomber dans les vapes. Sur un regain de force, les yeux livides et froids, je me suis levé de mon siège pour sortir de la pièce. Enfin, j’avais essayé.
La vie, jamais, non jamais elle ne te prépare à assumer tes erreurs. Nos plus graves conneries. Celles qui laissent une trace à vie dans votre mémoire, vous martyrise, vous obsède.