L'épistolier misanthrope
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
L'épistolier misanthrope
Il n’aurait jamais pu imaginer se retrouver un jour être contraint de se nourrir de cette soupe infâme, à même une gamelle sale et cabossée.
Ayant développé avec le temps une aversion pour cette fourmilière humaine, il s’est forgé pour cela une carapace pareille à l’écorce d’un chêne-liège.
Il écrivasse, il griffonne, il barbouille, il noircit pages sur pages.
Son crayon glisse sur le papier comme glisse un patineur gravant des figures sur la glace d’un lac; Ses yeux dans le vague, son esprit vagabonde, sa main décrit des arabesques, des paraboles, des boucles et des ovales et finit par donner naissance à une phrase, un texte, une lettre, un manuscrit.
C’est le moyen qu’il a trouvé pour ne pas sombrer dans la folie, il lui faut absolument exprimer ses idées, il faut qu’elles s’extirpent de cette réserve sauvage qu’est son esprit embrouillé, tourmenté, torturé. C’est un peu comme s’il réussissait à déjouer la sentinelle et qu’il put enfin s’évader.
L’existence rude qu’il s’est imposée a fait de lui un esclave, vivant dans le silence le plus absolu, il s’interdit à prononcer un seul mot, de peur de troubler la quiétude des lieux, il finit par se croire muet et en a même oublié le son de sa voix.
Seuls le bruit des pas, le vent, une porte qui claque font partie de son quotidien.
Le rideau toujours tiré, la lumière l’effraie, il a déjà vu, dans un magazine, un homme, les yeux brûlés et il craint de devenir comme lui, peut-être est-ce l’image qu’il se fait de l’enfer ?
Il vit dans une mansarde, pièce exiguë, flanquée dun œil-de-bœuf, malgré le rideau un trait de lumière éclabousse le plancher poussiéreux, encombré de papiers froissés, de linge sale et de restes de nourriture.
Après que la maritorne lui ait apporté son repas et cette enveloppe jaunie venant d’un autre temps, il reste planté, là, au centre à regarder le miroir crasseux, interdit, ce qu’il y voit dedans ne ressemble en rien à ce qui est décrit dans cette lettre.
Qui l’a écrite ? Est-ce lui plus jeune ? Dans quel but ?
Il ne sait quoi faire, cette missive, postée il y a plus de cinquante ans, le laisse perplexe, bien qu’à l’époque ce fût le véhicule essentiel à la communication, il ne comprend pas pourquoi et comment elle a fini par arriver chez lui, alors qu’il a déménagé maintes et maintes fois, de peur d’être reconnu.
Elle est tel à une oasis après un long parcours dans le désert. Malgré toutes les lettres qu’il a envoyées discrètement par l’intermédiaire de la tendre servante qui vient tous les jours faire un peu de ménage, c’est la seule qui ait abouti. Y en aura-t-il d’autres ?
Il arbore cette gravité austère qu’ont les moines qui sortent de leur retraite après des semaines de méditation, quelle attitude adopter face à cette situation ? Si le texte dit vrai, il aurait réussi...