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Autoportrait en noir

Autoportrait en noir

Publié le 23 févr. 2025 Mis à jour le 23 févr. 2025 Biographie
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Autoportrait en noir

Je continue mon exploration des couleurs en miroir: noir.


Le noir, bon prince, se prêt à tous les fantasmes et à tous les fantômes.


J’ai grandi dans une maison aux murs clairs de style provençal que l’on avait construite dans une ancienne vigne. Le terrain, sec et rocheux, avait été creusé à la dynamite pour y enfoncer les fondations.


Il subsistait dans la cave un témoignage de cette époque sulfureuse et chaotique que les adultes autour de moi se racontaient d’un air plein de sous-entendus, comme un souvenir de guerre. En effet, au fond derrière les casiers à bouteilles, le mur présentait une béance, une fenêtre immense donnant sur un boyau rocheux, sur une grotte, sur le sous-sol brut et sauvage, humide, noir. Je n’ai jamais compris pourquoi cette cave ne présentait pas de murs lisses en béton gris, comme tout le monde. Je craignais cette cave, à cause de cette ouverture souterraine inappropriée, dont j’étais visiblement la seule à percevoir qu’elle était un portail des enfers.

Mes parents, ne se doutant de rien, m’envoyaient régulièrement y chercher une bouteille de vin pour le dîner. Il faisait déjà nuit, il était tard, il faisait toujours noir dans la cave, il faisait encore plus noir dans le boyau rocheux et mon coeur se rabougrissait, sombre, quand j’entendais l’ordre de la bouche paternelle, d’autant plus ferme que je résistais. Mes parents, considérant que le meilleur moyen de surmonter ses peurs quand on est une petite fille de six ans est d’aller toute seule à la cave, me forçaient et je descendais les escaliers le coeur lourd.


J’avais développé toute une stratégie, tout un subterfuge destiné à prendre les monstres de vitesse.


J’allumais l’escalier, je descendais les marches en accélérant vers le bas pour me jeter sur l’interrupteur du couloir du sous-sol dans une grande enjambée, faisant ainsi s’évaporer les sentinelles infernales.

Je me retrouvais donc face à la porte de la cave en pleine lumière à 60 watts.

Etape escalier: réussie. Etape couloir: réussie.

Maintenant la porte.

Je vais ouvrir cette porte et l’interrupteur est sur la gauche, à peu près à la hauteur de ma tête. Dans un chassé-croisé de bras, main gauche sur la poignée, main droite qui se lance à l’aveuglette sur l’interrupteur, j’ouvre et j’éclaire la cave dans un seul et même mouvement. Monstres intermédiaires neutralisés.


Je profite de ce répit provisoire, j’observe l’ouverture béante et la roche souterraine, à la lueur de l’ampoule qui pendouille au plafond. Petite cambrioleuse, je sais que les créatures difformes et maléfiques qui vivent ici sont temporairement gelées sur place et que je peux contempler impunément leur repaire.

J’attrape une bouteille de vin, faut quand-même pas traîner, la curiosité pourrait m’être fatale.

Je me dirige vers la sortie et me prépare à la mise en oeuvre du deuxième volet de mon plan: fuir.


Une bouteille de Côtes-du-Rhône dans la main gauche, je sors discrètement et dois, de ma seule main libre, réaliser en un éclair deux opérations: éteindre et claquer la porte, avant qu’une émanation des ténèbres ait eu le temps de tendre une phalange en décomposition pour la bloquer et se répandre dans toute la maison. Je n’ai qu’un millième de seconde.

Noir. Porte claquée.

Puis j’éteins le couloir et je gravis les marches sans hésiter.

Mais ma pensée court plus vite, je suis hors d’haleine et pourtant ils sont là: le noir s’est échappé, il s’est même peut-être faufilé sous la porte. Il n’aime pas être dérangé, le lugubre, le moisi, il me poursuit, trop content d’avoir enfin quelque chose à se mettre sous la dent, il bondit derrière moi, il me rattrape, je vole au-dessus des marches, le coeur battant, je hurle pour lui faire peur, je lâche mon fardeau, fuir, plus vite, plus que trois marches, plus qu’une, plus haut…


Mais il est trop tard. Le bruit de verre brisé et l’odeur de l’épouvantable vinasse dégoulinante telle un torrent carmin sur les marches me trouvent penaude et, dans une minute, vertement tancée.



Musée des Confluences, expo sur le rêve, photo prise en décembre dernier et retravaillée.


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Commentaire (1)

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Gwenaelle verif

Gwenaelle Bouvier il y a 1 heure

je n'ai pu lire jusqu'au bout tant cela m'a rappelé mon enfance et l'indifférence de mes parents pour mes peurs enfantines. Je me remémore mes soirs dans mon lit, tétanisée par la peur, incapable de m'endormir, et fautive d'être un enfant avec des peurs inconsidérées. une souffrance extrême que je garde comme une cicatrice dans mon cœur...

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