Le page et la robe tournante
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Le page et la robe tournante
Elle éprouvait une grande satisfaction à n'être jamais seule, peu importe le partenaire, qu'il soit connu ou inconnu, ce qu'elle redoutait le plus c'était de n'avoir personne à ses côtés au réveil dans son grand lit aux draps de soie.
Lorsqu'elle n'était pas d'humeur volage, il lui arrivait parfois, de choisir un femme, comme on choisit un cheval, préférant cette compagnie à celle de n'importe quel étalon prêt à la satisfaire. Durant la nuit, pendant que sa compagne dormait, elle admirait ses courbes gracieuses, le galbe d'un sein, la rondeur de la croupe, le grain de sa peau, cela la troublait de voir ce corps féminin pareil au sien, elle le scrutait de la tête aux pieds, cherchant un défaut, une ride, un marque, afin de s'assurer que la plus belle, c'était bien elle et se disait qu'elle était bête de penser que quiconque puisse rivaliser de beauté avec elle.
Un jour, elle se présenta devant l'un d'eux, telle une Vénus grecque, son corps à peine voilé, émergeant d'une vasque. Une amie lui avait envoyé, la veille au soir, des instructions secrètes, très précises, lui demandant de surprendre son visiteur dont elle ignorait l'identité, l’âge et les origines, de toute façon quelle importance, demain il aurait disparu et un autre prendrait place dans ses filets.
Elle ondula avec lenteur et sensualité, experte dans l'art de la séduction, elle avait développé son talent au fil des ans et était capable de faire fondre n'importe quel soupirant, sans distinction d’âge. Elle pouvait passer des heures à tourner autour de sa proie, l'hypnotisant comme un boa constrictor prêt à l'avaler tout rond, dans ces moments-là elle était inépuisable, comme si rien ne pouvait la satisfaire pleinement.
Être ou paraître, elle ne s'en souciait guère, aucun d'eux ne connaîtra jamais son nom. c'était la règle. Hier, avec l'un, demain et après-demain avec un autre ou une autre et ainsi de suite, son appétit était sans limite, elle avait décidé d'y consacrer sa vie, un ou une par jour, jamais de repos, elle savait, depuis le début, qu'un jour son corps la trahirait, alors elle voulait profiter de chaque instant, de chaque jour qu'il lui était donné de vivre sur cette terre.
Lorsqu' elle partait en chasse dans les bars ou les boites de nuit, elle ne lâchait jamais sa proie pour l'ombre, jusqu’à ce que sa future victime tombe dans le piège de soie parfumée, telle une mante religieuse dévorant son partenaire, elle les vidait de toute leur énergie, tout leur suc, jusqu’à ce qu'il demande grâce, puis, au matin, elle leur signifiait leur congé, comme on remercie un serviteur d'avoir fait sa besogne.
Nous parcourions le monde, elle tournant comme une girouette au grès de ses désirs et moi suivant ou devançant les bagages à la main, aujourd'hui Florence, demain Amsterdam et après-demain Paris, nous ne savions à l'avance la prochaine destination. La vie pour elle était comme un livre de voyage ou l'on tourne les pages pour en connaître la suite.
Ce qui influençait ses décisions? je ne l'ai jamais vraiment compris, d’où venait tout cet argent? À ce jour, c'est encore un grand mystère pour moi...
Je préparais tout pour elle, je planifiais, j'organisais tout avec soin et cela dans la plus grande discrétion, personne ne devait jamais savoir qu'elle était accompagnée...J'étais, tour à tour son major d’homme, son cuisinier, son homme de ménage, son intendant, je n'irais pas jusqu’à dire que j'étais son esclave, loin de là, j'étais plutôt son éminence grise avec certaines compensations. Lorsqu'il lui arrivait d'être en panne, je devenais sa bouée de secours, elle testait sur moi ses nouvelles tenues érotiques, elle essayait de nouvelles passes sexuelles ou tout simplement je satisfaisais un désir inassouvi avec une de ses partenaires d'un soir.
Vous devez penser que notre relation était tordue ? Inconcevable ? Immorale ? détrompez-vous, les choses ont toujours été claires entre nous, tout avait été défini dès le premier jour, je ne devais en aucun cas m'interposer, discuter, contester, je devais l'accepter, telle qu'elle était, c'était ça ou je devais m'effacer.
L'amour que j'éprouvais pour elle était sans borne et je pense qu'elle en éprouvait autant pour moi. Elle était pour moi une déesse envoyée sur terre pour répandre l'amour dans le cœur des hommes et des femmes et elle c'était donnée pour mission de toucher le plus grand nombre. La tâche était ardue car elle savait que ses jours étaient comptés.
Il avait été décidé entre nous que le jour ou l'amour ne serait plus au rendez-vous, que la vie n'aurait alors plus aucun sens pour elle, plus aucune valeur et je devrais devenir son passeur. Tâche difficile pour le simple mortel que j'étais à ses yeux.
Moi qui l'ai côtoyé, jour après jour, pendant près de trente ans, je devais me résoudre à finir ma vie seul, pour cela elle me fit le plus beau des cadeaux, passer la dernière nuit d'amour dans ses bras.
J'ai été le premier, j'étais maintenant le dernier.
Depuis ce jour, je suis devenu une coquille vide et n'ai ni la force, ni le courage de me résoudre à la rejoindre...