La Terre des Ancêtres
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La Terre des Ancêtres
17Avril 13
Peut on rêver plus vibrant hommage avant son départ ?
Ici au mois de novembre, je suis venu découvrir le Congo. A l’heure du départ, je prends conscience qu’on m’a fait découvrir le Kongo.
Il y a d’un côté le pays laissé par les colonisateurs, avec ses frontières arbitraires, fruit des rivalités entre européens. Et de l’autre un territoire hérité d’un royaume ancien, le royaume Kongo, qui s’étendait bien au delà du fleuve en RDC et en Angola. D’un côté la version officielle, un pays uni avec une langue officielle, un drapeau, un Etat et un président ; de l’autre la version authentique, un ensemble d’ethnies aux dialectes différents, issues de divers royaumes qui ont été souvent rivaux, et aux zones d’influence qui dépassent largement les frontières officielles. Le royaume du sud, c’est le royaume Kongo. C’est de là que proviennent mes frères rastas. C’est là qu’ils puisent leurs origines. Et c’est là qu’ils m’ont amené ce week-end, à la rencontre de leurs ancêtres.
Le Congo est un pays fortement urbanisé. La plupart des gens habitent à Brazza, Pointe Noire ou Dolisie, ou dans le nord du pays, Ouesso, Impfondo, à plus de 80% urbanisé je crois. Pourtant, chacun se réfère toujours au village dont il provient. Ce village où ses ancêtres sont enterrés, et où il ira lui-même se faire enterrer. Ce lien est viscéral, comme un point de repère immuable malgré les changements et la vie que l’on mène à Brazza. Ce lien est sacré, car c’est celui qui rattache l’être d’aujourd’hui à tous ceux qui l’ont précédé et qui lui ont permis d’exister. C’est vers le village que la famille B., comme beaucoup d’autres, a fui lors des évènements de 1997 et 1998, et c’est grâce à ce lien permanent avec le village qu’ils sont encore en vie aujourd’hui. C’est ici ; à Boko. C’est ici que je termine mon séjour, comme un accord magistral de clôture.
La route est longue, 2h30. Imaginez une lame de bitume traçant la campagne verdoyante congolaise faite de collines et de vallées, étendues d’herbes hautes et d’arbres aux sommets, végétation luxuriante et dense avec de nombreux palmiers dans les creux. Pas la moindre habitation visible aux alentours, sur des kilomètres. On est au milieu de nulle part, et pourtant. De temps en temps un passager fait arrêter le bus où nous sommes complétement entassés pour descendre rejoindre sa maison, probablement cachée derrière les fourrés. Le village, c’est comme ça. Quand on arrive chez les Batola, Kitio et Moise me montrent l’étendue du domaine. Eux qui sont sans le sou à Brazza sont des grands propriétaires terriens ici. Ce sont des terres immenses héritées des ancêtres, et que personne ne penserait revendre de crainte de froisser leur susceptibilité ou susciter leur ire. Nous nous faufilons parmi les hauts fourrages, franchissons le petit ruisseau aux couleurs brunâtres, et arrivons enfin à la maison.
C’est une grande bâtisse, construite par le Grand-Père au beau milieu de nulle part. Au milieu de la Nature. Il voulait fonder un nouveau petit village à proximité de celui de Boko. Sa tombe se situe un peu plus en contrebas, à côté de deux autres. Pendant que nous nous installons, Kitio va saluer comme il se doit les ancêtres. Cela fait plus d’un an qu’ils ne sont pas venus ici. C’est trop. Le gardien de la maison part nous chercher le tsamba, le vin de palme, pour nous permettre de célébrer ce retour au village. Moise sert un gobelet et va à son tour sur la tombe échanger avec eux, et leur verser un peu de vin. Puis il revient et commence à verser de petites lampées à différents endroits de la maison où les ancêtres ont l’habitude de siéger. Sur la terrasse, sur le pas de la porte ; dans la cuisine, à côté du feu ; au pied de certaines chambres, mais pas toutes, car il sait dans quelles chambres ils ont l’habitude de se retrouver. Je lui demande d’accomplir le même rituel pour moi aussi remercier les ancêtres de cet accueil qui m’est fait. Je lui demande comment ça s’est passé en bas. Il me dit : « Ah ! Mon vieux Charles ! Les ancêtres m’ont dit qu’il fallait désherber, là, que l’herbe est trop haute, ce n’est plus possible ! ». Discussion simple et très pragmatique entre les esprits qui siègent là et les vivants, descendants de ces derniers, et seuls pouvant agir concrètement sur les éléments matériels.
Sossolisso et Gédéon partent chercher du bois pour faire cuire un petit en-cas composé de safu, poisson salé et manioc tandis que nous échangeons avec les deux frères assis sur la terrasse. Nous mangeons, accompagnés de vin de palme. Kitio prend alors la guitare et entame ma chanson préférée. Tikululé en direct, en acoustique, et dédiée à Charles Kongo. « Charles wellé, Charles wellé,… » Charles s’en va. Moment très fort et unique. L’âme vivante du groupe qui me rend ce bel hommage. Qui est là présentement à Boko pour me dédicacer ses plus beaux morceaux, avec toute la simplicité et la gentillesse qui le caractérise ; accompagné de son frère Moise, de mon frère Gédéon, et de notre ami Sossolisso. Qui peut espérer plus bel au revoir ? J’ai le sourire jusqu’aux oreilles, les oreilles et le cœur grand ouverts, et essaie de savourer autant que faire se peut chaque instant qui passe.
Nous prenons ensuite la route pour aller à Boko, à quelques kilomètres de là. Tout au long du chemin, les frères évoquent leurs souvenirs d’enfance, les histoires de famille, me montrent l’étendue des terres de leurs ancêtres. Nous parlons de la tsamba et du rôle sacré du palmier dans la tradition congolaise. Ils me font rencontrer d’autres tombes d’autres ancêtres à qui nous rendons également hommage avant de poursuivre notre chemin. Nous arrivons enfin à Boko village que nous découvrons la nuit, avant de rebrousser chemin. Après quelques trois heures de marche, nous arrivons à bon port et nous installons autour d’un grand feu pour manger le repas préparé par Sossolisso. Kitio reprend la guitare et nous entamons à nouveau tous ensemble d’autres chansons et de longues discussions jusque tard dans la nuit.
Le lendemain, Moise me conduit sur la tombe du grand père. Il me présente à lui, comme un mundelé pas comme les autres, venu non pas dans un esprit de colonisateur mais dans un esprit de partage et de découverte de leur propre culture. Il leur demande de bien vouloir m’accueillir parmi eux et de me protéger par le pouvoir de leur esprit, en Europe que je m’apprête à regagner. Derrière les mots désormais il y a les faits, et cette présentation aux ancêtres officialise ma place en tant que membre de la famille Batola. Kitio se penche et ramasse un bout de leur terre pour la conserver avec moi.
Le soir, ce sont tous les amis qui sont venus me retrouver sur la terrasse avant mon départ. On est pas loin de quinze. Encore un vibrant hommage. Magic et Baladeur sont là désormais. Mon vieux Magic, frère parmi les frères. Il prend la guitare et entame son répertoire, qui compte aussi certaines de mes chansons favorites. Deuxième concert privé. A la place du refrain habituel, il chante : « Bon voyage, Charles, bon voyage !... ». Tout le monde reprend en chœur. Encore un moment très fort dont j’essaie de goûter à toutes les saveurs. Ici, j’ai trouvé des gens pour qui je compte vraiment, et qui m’ont fait le plus beau témoignage de leur gratitude pour les six mois extraordinaires que nous avons passé ensemble. Et ça, vraiment, ça n’a pas de prix.