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Ce que je n'ai pas su te dire...

Ce que je n'ai pas su te dire...

Publicado el 30, dic, 2026 Actualizado 30, dic, 2026 Romance
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Je viens tôt.


Avant les tintements de porcelaine, les éclats de voix et les visages qui cherchent du regard ce qu’ils n’osent demander. À cette heure, le café au coin de ma rue respire encore la nuit. Les murs sont tièdes, le parquet engourdi.

Tout semble retenir son souffle. Les bruits sont feutrés, les conversations encore enrouées. Le sommeil s’étire dans les ombres et laisse la lumière timide du point du jour flatter le grain du bois.

Je retrouve ma place habituelle, au fond. Pas pour me cacher, mais pour observer sans être vue.

Je m’enfonce dans la banquette au cuir fatigué, sa texture rêche m’accueille comme une vieille peau familière.


Elle garde l’empreinte des jours où je ne dis rien.


Juste à côté, contre le mur, un vieux ficus penche discrètement, vert en toute saison malgré le manque de lumière et le climat incertain. Ses feuilles poussiéreuses frôlent parfois mon épaule quand je me faufile contre lui. Il ne dit rien, mais il est toujours là. Il appartient au lieu, autant que moi.


Ici, je suis un silence installé.


Je pose mon sac, mon carnet, mon corps encore en veille. La serveuse ne me demande plus : macchiato, mousse dense, sucre brun, elle sait. La tasse fumante arrive comme une pulsation anticipée.

L’odeur du breuvage monte jusqu’à mes cils. Je laisse mes doigts s’imprégner de chaleur, la crème effleure mes lèvres.

La première gorgée est toujours brûlante. C’est la seule que je savoure vraiment.

Je sors mes notes, allume mon ordinateur. Les gestes sont automatiques.


Des phrases bien huilées, des punchlines ciselées s’impriment sous mes doigts, mais je ne les ressens pas. Je suis une plume de l’ombre. Une voix sans nom qui donne des mots aux autres, en retenant les siens.

Je n’écris jamais ce qui me brûle. Seulement ce qui arrange les autres.


Mais ce matin-là, avant même que je décapuchonne mon stylo, je l’ai aperçue.

Une lettre, un brin chiffonnée, coincée entre une tasse vide de la veille et une addition froissée. Oubliée par négligence ou par manque de cœur, puis échouée là, tout près.

L’enveloppe était ivoire, les bords légèrement courbés par l’humidité du lieu. Un prénom en arabesque : Raphaël.

Rien d’autre.

Mais il y avait dans l’écriture un tremblement qui me regardait. Une hésitation retenue au bord du trait, une nervosité cachée dans la courbure du “R”, une absence qui respirait encore.


Le genre de fêlure muette qu’on ne remarque qu’en ayant déjà, soi-même, vacillé.


Tout s’est figé. Le décor. Mon souffle. Mon ventre. Ma mémoire. Raphaël. Comme une gifle douce, une réminiscence d’histoire inachevée.


J’aurais dû m’en détourner, la laisser agoniser, je le sais, mais mes doigts avancent sans que je les commande vraiment. Une teinte pivoine me monte aux joues.


Je ne regarde plus autour. La salle m’a oubliée. Ma main hésite, la survole, suspend son geste. Puis la peur d’attendre trop longtemps. J’étouffe un soupir, m’en saisis.

Elle pulse entre mes doigts, comme mue par une existence propre, frissonnante d’une étrange vibration.

Le soir, chez moi, je l’ouvre enfin. Le feuillet est lisse, odorant. Les lettres sont tracées à l’encre noire. L’écriture est intime. Pas d’adresse. Pas d’attente. Juste une femme qui parle d’un amour fragilisé, de non-dits accumulés, d’un manque qu’on apprend à apprivoiser sans le nommer.

Je lis. Et je chancelle. Cette lettre a ouvert une pièce que je n’avais pas osé visiter.

Je ne sais pas qui elle est. Cette femme qui écrit sans attendre de réponse. Mais son phrasé m’a bouleversée comme une caresse brutale. Il ne demandait rien, et pourtant il a mis en lumière mon obscurité.

Je me suis surprise à incanter sa douleur comme si elle m’appartenait.


Et alors, je pense à toi.


À ce que je n’ai jamais dit. Aux après-midis gris où tu m’écoutais parler des autres, mais jamais de moi. À ton regard comme un dimanche, à tes mains qui d’instinct savaient me faire frémir.

Tu surgis dans ma mémoire avec ce que j’ai refusé d’affronter. Ta voix grave dans les escaliers, ta façon de me regarder sans m’interrompre.

Et moi, je me tenais là, toujours en marge de ma propre destinée.


Le lendemain, je retourne au café. La serveuse m’observe intensément. Comme si elle sentait que quelque chose avait changé.

Je retrouve mon refuge, prends le temps de tourbillonner ma cuillère dans la mousse veloutée et fais danser mes doigts sur ma page. Ce n’est pas pour un client.

C’est à toi que je m’adresse.

Moi, pour une fois.


“Raphaël, tu m’as laissée, dépossédée, mes mots devenus orphelins. J’ai aimé ta voix au creux de mon oreille, les silences complices, les départs feutrés. Mais tu ne voulais pas de récits. Juste des fragments. Alors j’ai cessé de me raconter.”


Je relis lentement en caressant du bout des doigts le grain du papier, si fin qu’on croirait qu’il tremble lui aussi. Comme si chaque mot avait trouvé son écrin dans une matière qui l’écoute mieux que moi.

Ils résonnent, mais ce sont les non-dits qui font le plus de bruit.

Ce que j’ai tu, ce que j’ai cherché à maquiller, ce que je n’ai pas su confier.


Ma tasse refroidit. L’encre s’épanche en fils d’obsidienne, prend racine, dénoue patiemment ce nœud de regrets lové sous ma peau.

Je referme soigneusement le pli. Au bas de la page, j’ai signé mon prénom. Pour une fois.


Je le glisse dans une enveloppe crème, jumelle de pudeur. Je ne cherche pas de réponse.

Juste à faire céder les gonds rouillés de ce que je tais depuis tant d’années.

Cette lettre, je ne l’ai pas écrite pour toi.

Je l’ai écrite pour celle que je tenais captive depuis trop longtemps.

Et ce matin, entre le cuir râpé, les effluves de lait chaud et la tension qui palpite encore dans mon ventre, je l’ai laissée revenir à elle.


Libre.


Je glisse mon courrier entre les feuilles du ficus immortel. Il saura garder le secret.

L’endroit s’anime peu à peu. Derrière la vitre embuée, une silhouette floue semble m’observer. Je plisse les yeux.


Rien ne bouge mais tout vacille.


Juliette Norel

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