En remontant le fleuve
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En remontant le fleuve
Marine Jolivet, Comme un pop-corn, (Elvine/Sabrina/Tess/Jolivet/Deteneuille), Philips, 1986.
Pour écouter, c'est ici.
Garde la pose
Voilà le genre de chansons qui me mettent le cœur en joie : une chanteuse sortie de nulle part, un peu actrice, un peu doubleuse, une voix pas tellement juste, un début parlé, un look kitschou typé milieu des 80’s, une posture sexy désarticulée, un jeu de lumière stroboscopique, et des paroles bébêtes à souhait. De manière générale, je trouve qu’une voix un peu fausse distille la sincérité. Mathématiquement, cela n’a aucun sens, le faux qui donne du vrai, heureusement que je ne m’occupe pas de mathématiques.
Une voix autant qu’un physique
Marine Jolivet a commencé sa carrière d’actrice sous le pseudonyme de Jacqueline Jolivet (l’inspiration, tout de même, c’est quelque chose), rien avoir avec Pierre, ni Marc, ni Sophie, en 1979, dans Rien ne va plus, un film à sketchs de Jean-Michel Ribbes, acteur, auteur et metteur en scène de théâtre et de cinéma, spécialiste du genre (Brèves de comptoir, Musée haut, musée bas). Elle a ensuite joué un petit rôle dans Joy en 1983 et, dans Les Trois frères, elle incarne Christine Rossignol, la maman du petit Mickaël que les frangins enlèvent par mégarde. Elle a aussi fait un peu de doublage : Christine Hendricks (Mad Men), Dana Delany (Desperate Housewives) ou Valeria Golino (Hot Shots 1 et 2), rien de honteux en somme.
Épaississement du sens
En regardant les crédits du morceau, on constate qu’ils se sont tout de même mis à cinq pour pondre cette petite merveille et finalement, c’est plutôt bien fait. Bon c’est encore une histoire d’amour achevée dans les larmes : il est parti sans la rappeler, elle refait toute l’histoire en rentrant chez elle à pied dans la nuit. Air connu.
« Ça faisait des mois qu’on me parlait de lui… Il était Polonais, petit, pas vraiment laid. On s’est rencontré un soir chez des amis… Il m’a invitée à dîner, il m’a emmenée danser, puis m’a laissée tomber pour la fille d’à côté.
Je suis rentrée à pied d’Étoile au Père Lachaise
J’avais froid, c’était l’hiver
…
Pourvu qu’il m’appelle »
Mais il ne l’appelle pas, tu penses, sinon il n’y aurait pas de chansons : les histoires d’amour finissent ou finissent mal :
Au refrain :
« Tout comme un pop-corn
Je m’éclate en sanglots
Tout comme un pop-corn
Tu colles à ma peau
…
Tout comme un pop-corn
Croque-moi si tu craques
Tout comme un pop-corn
Dévore-moi sans faim
Petit grain de folie dans ta vie
Couleur de parfum et de confettis »
On remarque que le motif de la comparaison (c’est-à-dire le point de ressemblance) se déplace en cours de refrain. Le pop-corn, c’est d’abord elle, qui « éclate en sanglots », puis lui, qui lui « colle » à la peau. Il y a de la poésie là-dedans : le sens de chaque mot est densifié, enrichi. La synesthésie chère à Baudelaire vient d’ailleurs l’appuyer (« couleur de parfum »).
Architecture
Le texte est plutôt bien construit, et même un peu plus que ça encore. En repassant son histoire au fil de sa mémoire, la chanteuse fait revenir à la surface des objets qui avaient fait partie de son quotidien: d’abord un rameur :
« Comme il m’avait dit
« Quand ça ne va pas bien
Fais du sport ça fait du bien »
J’ai sauté du lit, j’ai acheté un rameur »
Des livres :
« J’ai lu tous ses livres »
Sa langue (au sens de son idiome), ou presque :
« J’ai même appris l’Anglais
Le Polonais c’est dur à suivre »
(Il n’y a plus de choucroute ? Pas grave, je prendrai un couscous !)
Sa musique :
« Par amour pour lui, j’ai acheté un piano
mais c’est très dur d’avoir les voisins sur le dos »
Mais comme il s’en est allé épouser la fille d’à côté, tous les objets réapparaissent, encombrant l’espace autour d’elle. Alors elle fait le tri :
« J’ai reposé ses livres
J’ai rangé le rameur
Je regarde sa photo, posée sur le piano »
Avouez que c’est plutôt bien agencé, non ?
Et l’alchimie fait que tous les éléments épars et un peu ratés de la chanson s’alignent de telle façon que le charme finit par opérer. Et mon cœur est en joie, et la boucle est bouclée, et sur ces considérations, moi aussi je la boucle.
Le titre de cet article est emprunté à Thiéfaine.